Après l'évacuation du camp du canal Saint-Martin, une centaine de demandeurs d'asile ont été placés dans des centres d'accueil. Selon France Terre d'Asile, ils sont 8 000 en France, dont la moitié à Paris, à attendre une solution d'hébergement.
Deux lits superposés, une table, deux chaises et un lavabo. Sa petite chambre du centre de Créteil est sommaire, mais cela lui suffit. Depuis des mois, Jalal*, 23 ans, dormait sur un trottoir. Il fait partie des quelque 200 Afghans à avoir été évacué mardi du campement situé au bord du canal Saint-Martin, dans le nord de Paris. "J’ai une chambre et une douche, c’est très bien, explique Jalal en français. Si c’était possible, j’aimerais rester ici."
Originaire de la ville de Ghazni, dans l’est de l’Afghanistan, il est passé par l'Iran, la Turquie et l'Italie avant d’arriver en France il y a près de 7 mois. Il dit avoir déposé sa demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) à ce moment-là. Il attend toujours une réponse. "J’aime beaucoup l’Afghanistan, c’est mon pays. Mais je ne peux pas y rester, il y a trop de problèmes. Je suis chiite. Ma ville est entourée de Taliban pachtounes sunnites", explique-t-il.
"Caricature"
- Avec 47 686 dossiers en 2009, la France est le 2e pays du monde et le 1er pays européen en termes de demandes d'asile.
- Près de 40 000 demandes ont été déposées en 2000 ; plus de 65 000 en 2003.
- Environ 22 000 places d'hébergement en Cada sont disponibles, contre 12 500 en 2003.
- 45 % des demandes d’asile sont concentrées en Ile-de-France.
- 17 % des places d’accueil se trouvent en Ile-de-France.
- La durée moyenne de séjour en Cada était de 557 jours en 2008.
- Près de 30 % des demandeurs d'asile obtiennent une décision positive.
- Le taux d'octroi du statut s'élève à 46 % pour les Afghans.
(Source : Office français de l'immigration et de l'intégration)
Aujourd’hui, Jalal fait pourtant partie des "chanceux". Selon l’association France Terre d’Asile, financée par le ministère de l’Immigration et qui gère une trentaine de centres d'accueil, près de 8 000 demandeurs d’asile attendent une solution d’hébergement, dont plus de la moitié à Paris. "Cela fait des mois que je répète que la situation en Ile-de-France est dramatique, assène Pierre Henry, le directeur général. Seules 10 places en centres d'acueil pour demandeurs d'asile (Cada) se libèrent chaque semaine en France."
Au ministère de l’Immigration et de l'Identité nationale, on assure en revanche que l’évacuation du campement afghan du canal Saint-Martin est le signe d’une "bonne gestion" de l’accueil des demandeurs d’asile. "Ils ont été relogés en une journée, explique le ministère à France24.com. C’est la preuve que ces places existaient et leur avaient été proposées auparavant. Ces personnes ont préféré squatter à proximité des deux gares qui mènent vers le Royaume-Uni et l’Europe du Nord plutôt que d’être relogées."
Pour le ministère, les migrants du canal Saint-Martin ne chercheraient pas réellement à s'établir en France. "On peut penser que ce campement pouvait être une zone de transit des filières d’immigration clandestine. Le fait qu’ils aient déposé une demande d’asile ne prouve en rien que leur finalité n’est pas d’accéder à l’Europe du Nord."
"Le discours des pouvoirs publics pousse à la caricature, juge Pierre Henry. Ils nous disent qu’il n’y a que des migrants clandestins dans les rues de Paris. Mais, nous, associations, estimons que ce sont des demandeurs d’asile en situation régulière… En réalité, les migrations sont complexes et il y a effectivement une population en transit en France. La question est de savoir comment répondre à ce type de migration."
Lenteur de la procédure et régionalisation
"Tout le monde ne fait qu'éteindre les feux lorsqu'il y a urgence, mais il n'y a aucune réflexion de fond, continue-t-il. Il faut absolument mettre en place, avec l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs, un schéma national d'accueil cohérent."
Pourtant, depuis 2002, le nombre de places en Cada ne cesse d’augmenter. Alors pourquoi de telles difficultés ? La lenteur de la procédure administrative, d’abord, est pointée du doigt. "Le taux d’octroi du statut de réfugié par l'Ofpra en première instance est l’un des plus bas d’Europe, explique Pierre Henry. Tout le monde fait appel et doit attendre la deuxième instance." Résultat, les demandeurs d’asile restent, en moyenne, 20 mois en centre d'hébergement.
{{ scope.legend }}
© {{ scope.credits }}Les associations dénoncent également les effets de la réforme de la régionalisation du dispositif d’accueil, entrée en vigueur en 2007. "Les préfets n’ont la responsabilité que des personnes qui se trouvent dans leur région, explique Lenka Middlebos, responsable adjointe du centre d'accueil de Créteil. Peut-être qu’en Dordogne, par exemple, ça va, mais l’Ile-de-France concentre plus de 40 % des demandes d’asile pour 17 % des places d’accueil. La solidarité nationale est essentielle, nous ne pouvons pas absorber tous les flux." Les préfets "peuvent, sinon doivent, faire appel à leurs collègues" s'ils manquent de places dans leur région, répond le ministère de l'Immigration.
"C'est un peu difficile, mais c'est normal"
Quelque 120 Afghans du canal Saint-Martin ont été dirigés vers des Cada de l’Est de la France, en Moselle et dans le Bas-Rhin, l'Etat ayant débloqué des places dans des centres de ces départements. Jalal, lui, devra certainement à nouveau déménager. Avec une dizaine d’autres personnes, il est pour l’instant dans la partie réservée aux personnes en transit du centre de Créteil. "Notre Cada est plein à 100 %, assure Lenka Meddilbos. C’était le seul endroit où l’on a trouvé des places temporairement, mais ils ne pourront pas rester."
Pour l’instant, Jalal espère obtenir une réponse de l’Ofpra, "peut-être dans un mois". "Si j’avais de l’argent, je me serais acheté un ordinateur pour étudier, regarder des films… Mais je n'ai pas le droit de travailler. Peut-être plus tard. C’est un peu difficile en France, mais c’est normal. C’est moi qui suis venu ici, personne ne m’a demandé de venir."
* Le prénom a été modifié
Signe de la crise, la plateforme d’accueil de Paris a cessé la domiciliation des nouveaux arrivants pendant une quinzaine de jours, début juillet. Une première en 7 ans. La domiciliation est la toute première étape du parcours du demandeur d’asile : sans cette adresse postale, attribuée par la plateforme, impossible de se rendre à la préfecture et donc de déposer un dossier à l’Ofpra.
"8 000 personnes sont domiciliées dans notre plateforme du XVIIIe arrondissement, explique Pierre Henry, le directeur général de France Terre d'Asile. Nous n'avons que 14 salariés ; les conditions de sécurité n'étaient plus assurées. Ces derniers jours, il y a quasiment eu des scènes d'émeutes."
France Terre d'Asile a finalement obtenu l'embauche de deux agents de sécurité. A la plateforme d'accueil de Créteil, la domiciliation a également été suspendue, jusqu’à ce que l’Etat accorde deux postes supplémentaires.