logo

La journaliste Octavia Nasr avait exprimé sur Twitter sa tristesse après la mort de Mohammad Hussein Fadlallah, un membre éminent du Hezbollah. Son employeur, CNN, a estimé que cela ruinait sa crédibilité professionnelle.

Vingt ans de carrière effacés d’un coup de tweet. La journaliste américano-libanaise Octavia Nasr a dû démissionner de CNN, mardi, à cause d’un "gazouilli" controversé concernant un dignitaire chiite proche du Hezbollah. Cette chef du service Moyen-Orient à la chaîne d’informations en continu américaine avait rendu hommage en ligne au Grand ayattolah Mohammad Hussein Fadlallah.

"Je suis triste d’avoir appris la mort d’un des grands hommes du Hezbollah que je respecte beaucoup", a-t-elle "tweeté" peu après l’annonce de sa mort le 4 juillet. Un message suivi d’une avalanche de réactions aux États-Unis. En tant qu'ancien "leader spirituel" du mouvement radical chiite, il est considéré par les Américains comme un membre important d’un groupe "terroriste". Il est par ailleurs accusé, par les États-Unis, d’avoir, par ses prêches, provoqué l’attentat de l’ambassade américaine à Beyrouth en 1983. Près de 300 personnes y avaient trouvé la mort. La CIA aurait même tenté de l’assassiner en 1985.

Mea-culpa

Bref, Mohammad Hussein Fadlallah n’est pas le genre de personnage à qui on rend d’ordinaire hommage aux États-Unis. Surtout lorsqu’on s’exprime en tant que représentante d’un grand média d’information. "C’était une erreur de jugement de ma part d’écrire un message aussi simpliste et je suis désolée que cela ait pu laisser croire que je soutenais ses actions", écrit l’ex-vedette de CNN sur le site de la chaîne.

Peu avant l’annonce de sa démission, elle s’était en effet fendue d’un long éditorial pour s’excuser et tenter de justifier son tweet auprès de l’opinion américaine. "J’ai utilisé les termes 'triste' et 'respect' car, en tant que femme aux racines orientales, je salue ses vues progressistes sur le statut de la femme dans l’islam", explique Octavia Nasr. Elle continue en soulignant qu’il représentait un islam chiite modéré et conclut que "la vie d’un homme respecté dans tout le Moyen-Orient tout en étant considéré comme un terroriste n’aurait pas dû être résumé par un tweet de 140 caractères".

Ce mea-culpa circonstancié n’a pas suffi à la chaîne. "Nous pensons que sa crédibilité à son poste a été irrémédiablement compromise", a jugé mercredi Parisa Khosravi, le vice-président de CNN.

Liberté d’expression à deux vitesses

Cette démission provoquée a suscité en retour une vaste campagne de soutien à la journaliste sur la Toile. Aussi bien dans le monde arabe qu’aux États-Unis. Ainsi le site américain "The Next Web" - spécialisé dans les tendances des nouveaux médias - trouve "étrange" de se priver d’une telle expérience sur un "simple message sorti de son contexte". L’écrivaine et chercheuse américaine au Berkman Center for Internet & Society d’Harvard, Jillian C. York qualifie la décision de CNN de "honte pour les médias américains". Elle dénonce une liberté d’expression à deux vitesses dans un pays où un politicien peut impunément "nier l’existence même du peuple palestinien".

Au Moyen-Orient, le sort réservé à Octavia Nasr a suscité un tollé général. Du fondateur du célèbre portail arabophone Maktoob, Samih Touqan, à Mohamad Tikriti, le PDG de la société à l’origine des sites d’Al-Jazeera, tous dénoncent une "inacceptable atteinte à la liberté d’expression". Sur Twitter, les messages de soutien se multiplient. "Licencier Octavia Nasr est honteux, c’est le genre de chose qui va faire grossir les rangs des intégristes anti-américains !", estime ainsi sur le site de micro-blogging alhussainym. Au Liban, cette démission a même eu des conséquences politiques. Les Forces libanaises, un des principaux partis chrétiens pourtant opposant au Hezbollah, a lancé sur son site à un appel au soutien de l’ancienne journaliste de CNN.