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Sur Facebook, l'anti-islam met d'accord extrême droite et extrême gauche

L'initiative d'organiser un apéro "saucisson et pinard", vendredi, à Paris, n'en finit plus de faire des vagues. Un projet dans lequel se retrouvent des mouvements politiques de toute obédience, comme l'explique le politologue Jean-Yves Camus.

Le mouvement d'extrême droite Bloc identitaire, initiateur de l’apéro "saucisson et pinard" initialement prévu dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris, avant d'être interdit mardi par la préfecture de police, ne baisse pas les bras. Il appelle à "entrer en résistance contre l'islamisation de la France" et appelle à un rassemblement le même jour à la même heure, mais cette fois place de l'Étoile où, "le 11 novembre 1940, 2 000 lycéens et étudiants eurent le courage de se réunir pour défier l'occupant" nazi, affirme-t-il dans un communiqué. Un appel similaire à un apéro "rosette et pinard" a été lancé sur Facebook pour un rendez-vous à Lyon.

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Qui sont les groupuscules réunis autour de ces "apéros" ? Ces initiatives augurent-elles d’une percée politique du Bloc identitaire ? Réponses avec Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite et politologue à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

France24.com : Qui est exactement derrière l'initiative d'apéro "saucisson et pinard" ? Et qui est son organisatrice, Sylvie François ?

Jean-Yves Camus : Sylvie François n’existe pas. La femme que l’on a entendue par téléphone sur plusieurs médias est un prête-voix. Ce pseudonyme, assorti de la photo d’une femme blonde, élégante, est une façade habile. Se présenter sous une forme féminine permet, pour les initiateurs du projet, de se montrer sous un jour rassurant. Cela aurait été moins plausible qu’un homme explique qu’il n’est pas bien dans son quartier parce qu’il ne porte ni barbe, ni babouches. Une femme qui se plaint de ne pas pouvoir se vêtir élégamment suscite plus d’intérêt. En termes de communication, c’est assez bien vu.

La nouveauté de cette initiative, c’est que la gauche extrême et la droite radicale s'y retrouvent. Elle regroupe aussi bien le Bloc identitaire, clairement identifié à l’extrême droite et à l'origine de cet "apéro", que des associations originellement de gauche comme Riposte laïque et Résistance républicaine. Pierre Cassen, fondateur de Riposte laïque, vient de la gauche. On peut y voir un héritage de l’anti-cléricalisme qui ne s’exerce plus contre les curés mais contre les musulmans.

Bloc identitaire : petit mouvement, gros "buzz"

"L’ampleur du mouvement, en termes de militance, se situe entre 500 et 1 000 personnes pas plus, assure Jean-Yves Camus. Ce n’est pas énorme. Pour vous donner une référence chiffrée fiable, voyez les résultats du Bloc identitaire (BI) aux dernières élections régionales, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur (Paca). Ils ont obtenu 1,76 % des voix sur toute la région, 2,05 % dans les Alpes-Maritimes et 8,37 % dans le Vaucluse. C’était la première candidature à une élection nationale du BI, qui s'est constitué en parti politique au mois d'octobre dernier. Auparavant, il avait présenté des candidats à Nice, avec des résultats pas totalement nuls, autour de 5 %.

Ce regroupement autour de l’opération "saucisson et pinard à la Goutte d’Or" tente de créer un créneau sur la droite extrême, aux côtés d’un Front national plus connu. Derrière, il n’y a pas plus de cinq personnes aux commandes de l’opération. Mais l’opération médiatique a bien marché. Regardez le nombre d’articles qui y est consacré."

D’autres mouvements sont tombés dans le panneau, comme les jeunes du MPF (Mouvement pour la France, le parti de Philippe de Villiers) et la Droite libre, associée à l’UMP. Ce mélange inédit sème la zizanie.

France24.com : C’est en se délestant des querelles sur le pétainisme et le négationnisme et en axant son discours sur l’islamophobie que cette branche de l’extrême-droite peut brasser aussi large ?

J-Y.C. : Les points communs sur lesquels se sont retrouvés tous ces mouvements sont l’anti-islam et le sentiment de décadence de la France. Ces personnes ont l’impression que l’État ne joue plus son rôle de bouclier contre l’islamisation. Elles sont nostalgiques d’une France sans visibilité de l’islam. On peut interpréter cela comme une dérive post-11 Septembre.

Cette convergence entre l’extrême gauche et l’extrême droite sur la thématique de l’islamophobie est à rapprocher du phénomène Geert Wilders [leader du Parti néerlandais d'extrême droite PVV, NDLR] aux Pays-Bas. Son discours est axé aussi bien sur l’anti-islamisation que sur les revendications sociales qui empruntent à la gauche, voire à l’extrême gauche. D’ailleurs, en France, voilà plusieurs années que l’extrême droite s’aventure sur le terrain républicain, en instrumentalisant l’héritage de Jean Jaurès par exemple, dont elle fait un porte-drapeau du patriotisme. La conjonction de ces thématiques est possible. L’argument est de dire : si vous perdez vos avantages sociaux, c’est à cause de l’immigration, principalement musulmane.

France24.com : Quel avenir peuvent avoir, en France, ces mouvements ?

J-Y.C. : Je suis persuadé qu’ils vont avoir d’autres initiatives communes. C’est la politique de Bloc identitaire de faire des coups médiatiques, comme celui du Quick Hallal à Roubaix et, cette semaine, des apéros "saucisson et pinard". Voyons ce qui se passera vendredi soir, place de l’Étoile, où se sont donnés rendez-vous les sympathisants de cette initiative. Voyons combien de personnes vont venir, et comment cela se termine.

La question est de savoir si ces conjonctions ponctuelles se transformeront en mouvement politique. Il faudra observer ce qui se passera en janvier 2011, quand le départ de Jean-Marie Le Pen de la direction du Front national ouvrira la voie à une grande remise à plat de tout ce qui existe à l’extrême droite.