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Pour la première en fois en près de 25 ans, le Soudan organise des élections multipartites - non sans mal. FRANCE 24 décrypte les embûches logistiques que rencontre le plus grand pays d'Afrique dans sa course à la démocratie.

Organiser les premières élections multipartites - législatives, régionales et présidentielle - depuis près d'un quart de siècle au Soudan n'aurait de toutes manières pas pu être une tâche facile. Le pays, déchiré par des années de guerre civile, garde toujours les stigmates d'une profonde méfiance entre le nord musulman et le sud chrétien-animiste.

Depuis cinq jours que les élections ont commencé, les enjeux politiques ont été éclipsés par les “irrégularités techniques”, qui ont obligé, mardi, la commission électorale à suspendre les votes dans certaines circonscriptions.

Tour d'horizon des difficultés qu'électeurs et autorités doivent affronter.

Présidentielle, législatives, élection des gouverneurs… Trop c’est trop ?

Organiser une simple élection nationale dans le plus grand pays d’Afrique relève déjà du défi. Mais mettre en place en même temps différents scrutins nationaux et régionaux est synonyme d’un cauchemar logistique pour les autorités électorales.

Quelque 16 millions de Soudanais doivent désigner leur président, députés, ainsi que gouverneurs et assemblées des Etats fédérés. Les habitants du sud du pays doivent en outre désigner leur propre président et Parlement, comme le prévoit l'accord de paix de 2005 qui a mis fin à 21 ans de guerre civile et assure le Sud-Soudan son autonomie.

En définitive, les Soudanais du Nord ont huit bulletins différents à glisser dans l’urne, ceux du Sud, 12. “C’est déjà compliqué pour les journalistes, alors j’ai du mal à imaginer comment les citoyens qui n’ont jamais voté peuvent s’en sortir”, estime Pamela Kesrouani, envoyée spéciale de FRANCE 24 au Soudan.

Qui sont les candidats ?

Un coup d'œil rapide aux bulletins de vote devrait normalement répondre à cette question. Mais pas ici : les bulletins de vote, imprimés des semaines avant les élections, portent toujours les noms de plusieurs candidats de l’opposition qui boycottent le scrutin.

Encore plus perturbant, le principal parti du Sud-Soudan, le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM, ex-rebelles sudistes), s’est retiré de la course présidentielle tout en maintenant ses candidats pour l’élection parlementaire du Sud-Soudan, ainsi que dans plusieurs circonscriptions du Nord.

Par ailleurs, selon la loi électorale soudanaise, Yasser Arman, un musulman laïc du SPLM peut potentiellement toujours finir à la tête de l’Etat. "Dans la mesure où le nom de Yasir Arman est toujours imprimé sur les bulletins, ses partisans peuvent encore voter pour lui, et s’il obtient la majorité des voix la commission électorale devra le déclarer président de la République", expliquait le 5 avril un membre de la commission au quotidien le ”Sudan Tribune”.

La patience des électeurs éprouvée par de longs retards

Aux dires de tous, le scrutin a démarré lentement - dans les bureaux où il a démarré. Les bureaux de vote étaient censés ouvrir le 11 avril à 8 heures du matin, mais de nombreux retards ont forcé des électeurs à patienter pendant des heures sous une chaleur accablante.

Pamela Kesrouani rapporte également avoir rencontré plusieurs électeurs frustrés selon qui plusieurs bureaux de vote n’auraient jamais ouvert. D’autres électeurs encore ont attendu pendant des heures avant qu’on leur annonce qu’ils étaient enregistrés dans d’autres bureaux, à plusieurs kilomètres de là.

Selon une chercheuse à Djouba, dans le Sud-Soudan, Maggie Fick, qui s'exprimait dans les colonnes du magazine "Foreign Policy", sur les cinq bureaux qu’elle a visité au premier jour des élections, un seul était ouvert - celui “bourré d’observateurs de l’Union européenne”.

Manque d'expérience pour tenir de telles élections

En pratique, les fonctionnaires des bureaux de vote ont semblé au départ troublés par l’aspect compétitif de ces élections et les électeurs ont signalé le manque d'équipement pour assurer un scrutin secret.

“Au premier jour des élections, nous filmions dans un bureau de vote de Khartoum et nous avons remarquez que nous pouvions voir pour qui votaient les électeurs. Le personnel du bureau n’étaient pas habitué au scrutin secret, mais la situation s'est améliorée plus tard dans la journée ”, raconte Pamela Kesrouani.

Comment voter quand on ne sait pas lire?

Un coup d'œil rapide au factbook de la CIA sur le Soudan donnerait la migraine à n'importe quel organisateur d'élection.

Plus de 39 % des Soudanais sont illettrés (et 85 % des Sud-Soudanais), ce qui complique un peu plus le processus électoral. Ne pas savoir lire empêche en effet de décrypter les noms des candidats sur les bulletins de vote.

“Les officiels soudanais ont tenté de faciliter les démarches pour les électeurs illettrés en imprimant les photos des candidats ainsi que le symbole de leur parti. Le problème, c’est qu’apparemment ils ont confondu certains logos”, explique notre envoyée spéciale.

Un autre défi logitisque est lié à la géographie du pays. Seulement 43% de la population vit en zone urbaine, ce qui signifie que le gouvernement doit transporter les bulletins et tout le matériel nécessaire à la bonne tenue d’une élection dans des zones reculées où, souvent, les infrastructures manquent cruellement.