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"Les Américains ne risquent rien à exiger davantage des Israéliens"

Pour Alain Dieckhoff, spécialiste d'Israël, la crise ouverte entre Washington et Tel Aviv illustre un véritable changement de la politique américaine à l'égard de l'État hébreu, où des voix dissidentes commencent à s'élever.

Le report de la visite de l’émissaire américain George Mitchell au Proche-Orient témoigne de la crise que traversent les Etats-Unis et Israël. Alain Dieckhoff, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences-Po (CERI) et spécialiste d’Israël, décrypte ces tensions.

France 24 - Quelle est l'ampleur de cette crise diplomatique ?

Alain Dieckhoff - Il ne faut pas la surinterpréter, elle ne marque absolument pas la fin de la relation particulière entre les Etats-Unis et Israël. Ce sont cependant des turbulences sérieuses, qui tranchent avec les époques précédentes. On voit qu'on a changé de présidence américaine ! Avec George W. Bush au pouvoir, la situation aurait été totalement différente, tant l'entente était bonne : les deux Etats avaient alors une lecture du monde très similaire. 

Il est évident qu'Israël pensait que la situation allait se tasser après la fin de la visite du vice-président américain, Joe Biden, mais ça n'a pas été le cas. Depuis un an, il y a beaucoup d'incompréhension entre les deux pays. On ne peut pas imaginer des gouvernements ayant des options politiques plus éloignées.

En 1991, le secrétaire d'Etat américain James Baker avait dit au Premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Shamir : "Quand vous serez sérieux quant au processus de paix, vous pourrez m'appeler à mon numéro à la Maison Blanche". Mais depuis cette date, il n'y a pas eu de geste aussi fort.

F24 - Quelles conséquences ces tensions peuvent-elles avoir sur le processus de paix ?

A. D. - Si les Américains réussissent à obtenir, à la faveur de cette crise, ce que la secrétaire d'Etat Hillary Clinton aurait exigé du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, c'est-à-dire le gel de facto de la colonisation à Jérusalem-Est, ce serait du jamais vu. Les Américains sont dans tous les cas en position de force. Face à ce qui est plus qu'un mouvement d'humeur de leur part, il est très vraisemblable que l'Etat hébreu fasse un geste. Des voix dissidentes, modérées, s'expriment d'ailleurs en ce sens au sein du gouvernement israélien.

Comme les Palestiniens se sont retirés des négociations avec Israël, les Etats-Unis ne risquent donc rien à exiger davantage des Israéliens. Ils n'ont plus rien à perdre.

Mais Netanyahou peut aussi rester insensible aux desiderata de Clinton et la situation peut se tendre davantage... Pour lui, la difficulté est de faire preuve d'ouverture vis-à-vis des Américains, sans aller trop loin pour la majorité de droite de son gouvernement. Il ne doit pas donner l'impression de capituler.

F24 - Sur le terrain, les Palestiniens manifestent leur colère. Cela peut-il dégénérer ?

A. D. - On constate une nette dégradation de la situation à Jérusalem depuis l'été. Il est prématuré de parler de "troisième Intifada", cela fait trois ans qu'on la prédit et elle n'a pas encore eu lieu. Mais il y a certainement un potentiel pour que la situation se détériore encore davantage. Les tensions entre Israël et les Etats-Unis peuvent donner du grain à moudre aux manifestants. Ils peuvent tenter de profiter des tensions pour jouer leur carte.