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"La violence à l'école est permanente"

Un élève de 17 ans blessé au cutter dans un gymnase de lycée lundi, un adolescent de 14 ans agressé au couteau dans un autre établissement : les actes de violences se multiplient dans les écoles. Trois enseignants témoignent.

Lundi dernier, six personnes, dont les visages sont dissimulés sous des capuches et des foulards, ont fait irruption dans le gymnase du lycée Apollinaire de Thiais (Val de Marne), dans la banlieue parisienne. Ils ont aspergé des élèves avec des bombes lacrymogènes avant d'attaquer au cutter un jeune de 17 ans. Il s’agirait d’un règlement de comptes, selon des sources proches de l'enquête. Le ministre de l’Education Luc Chatel a réagi, jugeant "intolérable que des règlements de comptes se déroulent pendant le temps scolaire". Il a, en outre, annoncé la tenue début avril, d’états généraux sur la sécurité à l’école.

Cette nouvelle agression survient quelques semaines après une autre attaque au lycée Adolphe Chérioux de Vitry-sur-Seine (Val de Marne). Pendant deux semaines, les enseignants y ont cessé le travail après qu'un élève de 14 ans a été blessé au couteau par sept personnes extérieures à l'établissement. Autre drame début janvier : un élève de 18 ans du lycée Darius-Milhaud au Kremlin Bicêtre avait été poignardé à mort par l'un de ses camarades.

Un sondage publié aujourd'hui révèle que 90% des Français estiment que la violence avaient augmenté à l'école au cours de ces dix dernières années. Las d’un quotidien plus que tendu, un millier d’enseignants de l’Académie de Créteil ont manifesté hier, à Paris.

Trois enseignants travaillant dans des établissements dits "difficiles" témoignent des difficultés rencontrées au quotidien.
 

"Les rivalités dans les cités s'exportent dans les lycées"
Catherine Liber, professeur de Lettres Modernes au Lycée Guillaume Apollinaire à Thiais.

"Le lycée n’est pas réputé difficile et même plus tôt calme, mais c’est moins vrai depuis quelques temps. Il s’est passé des évènements pénibles, notamment depuis l’affaire de Chérioux : tout le lycée a été complètement tagué, les fils électriques du parking ont été coupés, on voit souvent des personnes extérieures s'introduire dans le lycée.

L’adolescent qui a été agressé faisait partie de mes élèves. J’ai interrogé ses camarades pour comprendre ce qu'il s’est passé, et ils m’ont expliqué que c’était un règlement de comptes entre bandes rivales d’une cité voisine, ce sont des batailles rangées. Les rivalités dans les cités s’exportent dans les lycées, certains jeunes considèrent le lycée comme une partie de la cité.

Encore une fois, on demande à l’école de résoudre des problèmes qui ne sont pas de sa compétence. Avec les autres enseignants, on a décidé d’exercer notre droit de retrait aujourd’hui et demain [arrêt des cours]. Nous demandons des conditions de travail meilleures, plus sereines. À l’heure actuelle on ne se sent pas en sécurité dans l’établissement. Il faut plus de surveillants, nous avons six postes et demi de surveillants pour 1500 élèves."

"Ces établissements ont besoin de moyens supplémentaires"
Laurent Escure, du syndicat SE-UNSA (syndicat majoritaire dans le primaire), enseignant dans une zone sensible à Toulouse-Montmirail.

"Avant tout, il ne faut pas oublier que ce sont des établissements où l'on fait classe, ce ne sont pas des zones de non-droit. Au quotidien, les violences verbales y sont très nombreuses, le climat est tendu, les incidents graves arrivent plus facilement qu’ailleurs.

Ce n’est pas la barbarie, mais les enseignants ne sont pas épargnés. Il faut savoir que pour faire cours à une classe, il faut être en pleine forme. Or, dans ces établissements, il y a des phénomènes d’usure, qu’on observe plus qu’ailleurs.

C’est pour cette raison que ces écoles, collèges et lycées dits "difficiles" ont besoin de moyens supplémentaires. Dans les zones sensibles, on a ressenti plus lourdement l’absence des assistants d’éducation et des surveillants qui sont partis avec les 50 000 postes que le gouvernement a supprimé en quatre ans. Dès qu’il y a des endroits sans présence d’adultes (couloirs, coin de cour…), on observe que cela favorise des situations qui dégénèrent, que ce soit en termes d’agressivité ou même de jeux dangereux. Même quand ils ne sont pas impliqués, les jeunes voient et vivent la violence, et cette violence vécue est difficile à évacuer une fois la récréation terminée.

Il est temps que Luc Chatel fasse un geste, il a les moyens de mettre fin au conflit avec les enseignants de banlieue, et de Vitry notamment. Il doit leur donner les postes qu’ils réclament."


"Les élèves ramènent en classe la violence subie dehors"
Elodie*, enseignante dans un lycée du Blanc-Mesnil en Seine Saint-Denis, classé en zone prévention violence.

"La violence est omniprésente du matin au soir. Elle est essentiellement verbale, mais se manifeste aussi par du bruit en permanence, des bousculades constantes dans les couloirs et des bagarres. Tout peut donner lieu à un conflit. Confisquer un portable ou une casquette -chose que nous sommes amenés à faire 10 fois par jour- peut, avec certains élèves, donner lieu à des hurlements ou de l’agressivité envers l’enseignant. L'élève va refuser de donner l’objet confisqué, puis il va refuser de donner son carnet de correspondance et de descendre s’expliquer avec le conseiller d’éducation. Ça devient des situations de blocage, qui paralysent toute la classe.

En début d’année, un élève a mis le feu dans une poubelle. Il y a aussi des bagarres dans les couloirs. Tout ça, parce que les surveillants ne sont pas assez nombreux et ceux qui sont là ne peuvent pas être partout : à l’intercours, ils sont à l’entrée du lycée et du coup, dans les couloirs, les élèves sont livrés à eux-mêmes.

En plus, depuis les suppressions de postes, il n’y a plus de conseiller principal d’éducation, il n’y a que deux conseillers d’éducation qui ne s’en sortent pas. Il ne faut pas oublier non plus tout ce qui passe juste devant l’entrée du lycée. Le début de l’année scolaire a été marqué par une vague d’agressions très violentes à l’extérieur, des rackets, de véritables passages à tabac. On a même eu la police, la garde montée, qui est longtemps restée en poste devant le lycée. Tout cela crée un climat très tendu dans l’établissement. Les élèves ramènent avec eux en classe la violence subie dehors."

*nom d’emprunt

Tags: France, Éducation,