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Ukraine : la course aux atrocités du groupe néonazi russe Rusich
Une photo publiée mi-novembre par le groupe paramilitaire néonazi russe Rusich, déployé sur le front ukrainien, montrant l’un de ses membres devant trois cadavres de soldats ukrainiens est révélatrice des crimes de guerre systémiques.
Rituels païens, mitrailleuses lourdes et salut nazis… Le groupe paramilitaire Rusich n'hésite pas à faire la promotion de sa violence et d’une idéologie suprémaciste sur ses réseaux sociaux. © Telegram / dshrg2 - Molfar.Institute

AVERTISSEMENT :  CERTAINS DES FAITS RELATÉS DANS CET ARTICLE PEUVENT CHOQUER

Kalachnikov au bras, cagoule sur la tête et gilet pare-balles sur le dos, un combattant russe pose fièrement devant trois cadavres. Les corps sans vie arborent le camouflage de l’armée ukrainienne ainsi que son brassard jaune emblématique. Les trois soldats, qui gisent sur le sol, ont été dépouillés de tous leurs équipements avant d’être tués. Publiée sur Telegram le 15 novembre, la photo est accompagnée du texte suivant : “Prenez exemple. C'est ainsi que se photographie une armée de vainqueurs, pas de victimes.”

Selon le blogueur pro-ukrainien ButusovPlus, la photo aurait été prise dans la région de Pokrovsk. Il est cependant impossible de vérifier cette localisation de façon indépendante. 

Quelques heures plus tard, la publication de la photo est suivie d’un second message appelant les abonnés à envoyer des photos similaires contre une rémunération en crypto monnaie dont le montant n’est pas mentionné. 

Cet appel à participation prend des airs de concours macabre : 'Nous annonçons un concours. Les trois premières personnes qui enverront une photo avec des prisonniers manifestement exécutés recevront une récompense en crypto monnaie de la part de Rusich. Le post a depuis été supprimé par l’administrateur du canal Telegram.

Le canal Telegram qui diffuse ces images est tristement célèbre. Depuis sa création, il relaie régulièrement des contenus faisant l’apologie de crimes de guerre telles que des décapitations, des humiliations de prisonnier encore ou des exécutions. 

Ces atrocités sont la marque de fabrique de l’unité dite Rusich, un groupe de mercenaires russes qui affiche des références néonazies et qui s’est fait un nom dans le Donbass en 2014, puis aux côtés du groupe Wagner. Aujourd’hui, des membres du groupe sont actifs sur le front ukrainien. S’il est difficile d’estimer leur nombre, les analystes s’accordent à dire que Rusich comptait quelques dizaines de combattants en 2022.

“Leur but est de terroriser l’adversaire”

Aujourd’hui, Rusich est devenu un label de terreur, comme l’explique Candace Rondeaux, professeure à l’Arizona State University

"Rusich est l’une des pièces maîtresses de la guerre irrégulière du Kremlin depuis 2014. Leur but est de terroriser l’adversaire en mettant en scène leur brutalité. 

Rusich a été proche de la sphère Wagner et du groupe Redut [un groupe de mercenaires russes proches de services de renseignement, NDLR] ; ils sont donc intervenus en Syrie, mais aussi en Libye. C’est également une organisation paramilitaire qui opère avec l’aval du GRU [le renseignement militaire russe, NDLR], tout en recrutant dans la mouvance ultranationaliste russe et chez les anciens parachutistes russes [également appelés les VDV, NDLR].

Dès la création du groupe en 2014, Rusich a été perçu comme une force destinée à mener des opérations en profondeur, qu’il s’agisse de missions de reconnaissance, de sabotage ou de sniping [des missions pour tireur d’élite, NDLR]. En Ukraine, ils opèrent en partie derrière les lignes ennemies."

Une idéologie néonazie assumée

Sur Telegram, les membres de l’unité arborent fréquemment des symboles ultranationalistes et néonazis, à commencer par l'écusson même de l’unité. Orné du drapeau impérial russe (noir, jaune, blanc), sur lequel est apposée la Kolovrat, un signe ultranationaliste, ce blason est souvent porté par les membres de l’unité.

Selon l’expert en symbolique d’extrême droite Ricardo Parreira, la Kolovrat est devenue un étendard pour les groupes néonazis d’Europe de l’Est :

“Ce symbole serait un signe utilisé par les civilisations slaves, notamment au XIᵉ siècle. Mais il y a très peu de traces archéologiques qui documentent cela. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a été adopté par plusieurs groupes néonazis en Europe de l’Est et en Russie, comme le parti néonazi Unité nationale russe.

La Kolovrat va ensuite se répandre au sein de l’extrême droite mondiale avec la guerre en Ukraine à partir de 2014, un conflit pendant lequel les nationalistes ukrainiens et russes arborent tous deux ce symbole, bien qu’ils soient ennemis.”

Les hommes de Rusich arborent d’autres symboles utilisés par les groupes néonazis du monde entier. Parmi eux, on retrouve des runes païennes issues de la mythologie nordique. Comme les runes de Thyr et d’Odal qui sont portées par les combattants de Rusich.

Ricardo Parreira note que ces symboles sont utilisés par de nombreux groupes ultra-nationalistes dans le monde :  

"Aujourd’hui, toutes ces runes sont des références à une idéologie suprémaciste blanche et néonazie. Mais elles ont également été utilisées par les nazis, puis par les mouvements païens, dont certains sont racistes.

L’idée derrière ces symboles est d’activer le mythe d’un peuple blanc aux origines indo-asiatiques, dont seraient originaires tant les Slaves que les Nordiques. Ce sont donc des symboles d’une idéologie ethno-différentialiste que l’on retrouve aussi bien dans une partie de l’extrême droite française (Institut Iliade, Nouvelle droite) que dans les courants suprémacistes blancs russes."

 Les membres de Rusich semblent régulièrement s’amuser avec les codes propres au Troisième Reich. Dans un post Telegram daté du 30 mai 2025, les combattants de l’unité souhaitent l’anniversaire d’un de leurs proches en dédicaçant l’aile d’un drone avec un signe SS.

L’un des fondateurs et leader de Rusich, Alexeï Milchakov, a publiquement affirmé dans une interview se considérer comme un nazi, et non comme un patriote ou un nationaliste. Il a également appelé à l’extermination des Ukrainiens “afin qu’ils ne puissent plus élever leurs enfants”. Selon le groupe d'enquêteurs ukrainiens Molfar, Alexeï Milchakov aurait découpé l’oreille de combattants ukrainiens en 2014 avant de publier ces images sur sa page VKontakte.

D’après le blogueur pro-ukrainien ButusovPlus, Alexeï Milchakov serait actuellement déployé au sein du 417e bataillon de reconnaissance de la 42e division de fusiliers motorisés des forces armées russes. Selon l’Institute for the Study of War, son unité aurait été active à l’ouest de la ville de Zaporijia en octobre 2025. 

Des crimes de guerres postés sur les réseaux sociaux

Tout au long de son existence, Rusich s’est démarqué des autres groupes de mercenaires russes par sa cruauté. En 2017, à proximité de la ville de Palmyre en Syrie, l’un de ses membres pose fièrement avec la tête d’un homme décapité.

Plus récemment, les administrateurs du canal Telegram de Rusich continuent de poster des scènes d’horreur. Le 26 novembre 2024, le compte poste la photo d’une tête découpée avec une main, elle aussi arrachée, placée dans la bouche - la localisation du cliché n’est pas précisé. En juillet 2024, le groupe publie également l’image d’un cadavre vêtu d’un pantalon de l’armée ukrainienne gisant sur une route avec une épée plantée dans le torse. Une image qu’ils présentent comme “une surprise pour nos abonnés”... 

Ce genre d’images de crime disséminées sur les réseaux sociaux ont servi de preuves dans le procès d’un leader de Rusich, Yan Petrovsky. Arrêté en Finlande le 20 juillet 2023, il a été condamné à la réclusion à perpétuité pour quatre crimes de guerre commis dans l'est de l'Ukraine en 2014.

“Rusich véhicule l’idée qu’il peut agir en totale impunité”

Pour Candace Rondeaux, ces publications répondent à une stratégie de communication pensée en amont par le groupe : 

La communication est dans l’ADN de Rusich depuis 2014. À cette époque, le groupe possédait déjà son propre compte Instagram, sa chaîne YouTube et menait une activité intense sur VKontakte [réseau social russe, NDLR].

Rusich mène une guerre psychologique sur les réseaux sociaux en publiant des images de ses crimes. Il véhicule l’idée que le Kremlin et ses troupes peuvent agir en totale impunité.

Cela sert un certain narratif, surtout au moment où l’on envisage un potentiel accord de paix entre l’Ukraine et la Russie, qui ne prendrait pas en compte le mécanisme de réparation des crimes de guerre russes.