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FC Barcelone : pourquoi le géant du foot s’est associé avec une mystérieuse société de cryptomonnaie
Le FC Barcelone est fortement critiqué pour son récent accord de partenariat avec Zero-Knowledge Proof, une société de cryptomonnaie basée aux îles Samoa. Le club catalan n’est pas le seul à avoir succombé aux sirènes des cryptomonnaies… avec tous les risques associés.
Le club de football de Barcelone a conclut un accord de sponsoring controversé avec une énigmatique société de cryptomonnaie basée dans les îles Samoa. © Studio Graphique France Médias Monde

C’est l’histoire de l’un des plus grands clubs de football au monde qui signe un contrat de sponsoring avec une obscure société sise dans les îles Samoa, et dont personne ne connaissait l’existence auparavant. Le FC Barcelone subit un feu nourri de critiques depuis la signature d’un accord avec Zero-Knowledge Proof (ZKP), spécialiste des cryptomonnaies, vendredi 14 novembre.

La controverse a pris une telle ampleur que le club catalan s’est senti obligé de prendre officiellement ses distances, mercredi 26 janvier, avec la cryptomonnaie que ZKP a mise en circulation juste après l’annonce de l’accord de sponsoring.

Bons baisers des îles Samoa 

À l’origine, le FC Barcelone et ZKP ont signé un contrat de trois ans qui doit rapporter au club trois millions d’euros par an jusqu’en 2028. En contrepartie, Zero-Knowledge Proof devient le partenaire officiel du géant espagnol du foot en matière de blockchain. Cette technologie - étroitement liée à l’essor du bitcoin - représente une sorte de registre dématérialisé censé permettre de stocker des données en ligne en toute sécurité. Barcelone promet que ZKP va lui faciliter la gestion des données des fans et du club.

Mais derrière cette promesse, il y a un grand point d’interrogation qui fait tiquer les fans du Barça et les médias : on ne sait rien ou presque sur Zero-Knowledge Proof. Cette société n’avait aucune présence en ligne avant de signer avec le mastodonte du foot. Elle poste son premier message sur X le jour même de la signature de l’accord avec le FC Barcelone. Son compte n’avait alors "qu’une poignée d’abonnés", note le Financial Times.

Pire encore : personne ne sait qui sont les dirigeants de ZKP. Sur leur site internet, la société s’en vante presque. "Tout le monde demande 'qui est derrière tout ça ?', comme si connaître les noms rendrait notre code plus performant", peut-on lire sur leur site qui brandit comme valeurs centrales pour ZKP… la confiance et la transparence.

L’opacité autour de ZKP n’a pas été le seul élément à éveiller les soupçons et susciter les critiques. La société des îles Samoa a reçu un soutien aussi inattendu que controversé : Andrew Tate, la très sulfureuse figure centrale du mouvement masculiniste, a appelé à soutenir l’initiative ZKP sur X. Cet influenceur d’extrême droite a été inculpé pour traite d’êtres humains et viol.

Le Barça a besoin d'argent

"Quand vous êtes un club tel que le FC Barcelone, avec une marque si puissante et autant de fans dans le monde, toutes les entreprises, même les plus grandes, devraient vouloir se lier avec vous. Alors pourquoi signer un contrat avec une entité comme ZKP ?", s’interroge Xavier Ginesta, spécialiste du marketing sportif à l’Université de Vic - Université centrale de Catalogne, et coauteur de l’ouvrage collectif "FC Barcelona - History, Politics and Identity" ("FC Barcelone : histoire, politique, et identité", non traduit).

"Le FC Barcelone a besoin de liquidités rapidement", souligne Kieran Maguire, expert de l’économie du Football à l’université de Liverpool. Le club catalan, fortement endetté depuis des années, affiche un trou de 469 millions de dollars dans ses comptes. Cependant, "il a commencé à améliorer ses finances, et il n’est plus très loin de pouvoir être dans les clous des règles du fair-play financier", nuance Xavier Ginesta.

Il peut donc avoir été tenté de multiplier rapidement les contrats de sponsoring pour être enfin de nouveau en règle au détriment du principe de précaution. Dans ce cas, l’accord avec ZKP illustre la tentation "de prendre l’argent d’abord et de réfléchir ensuite", résume Kieran Maguire.

Xavier Vilajoana, ancien responsable de la formation au FC Barça et l’un des principaux candidats à la succession l’an prochain du président du club Joan Laporta, s’est demandé publiquement si un minimum de vérifications préliminaires avait été effectué avant de signer avec ZKP.

"En tant qu’universitaire je ne peux qu’espérer que les vérifications nécessaires ont été faites dans ce cas, mais il faut bien reconnaître que ce ne serait ni la première fois, ni la dernière fois que dans le football une enquête préalable suffisante n’a pas été faite", souligne Argyro Elisavet Manoli, spécialiste des questions de marketing et de gouvernance dans le sport à l’université de Bergame (Italie).

Il existe, en outre, une épidémie de partenariats entre les sociétés de cryptomonnaies et les clubs de foot ces dernières années. "En Italie, c’est devenu très courant. Il y a un certain nombre de clubs qui ont des accords de maillots ou de stade avec des entreprises de ce secteur", souligne Argyro Elisavet Manoli. Le FC Barcelone a très bien pu se dire qu’il ne faisait que monter dans un train déjà largement en marche.

Mauvais exemple pour les fans ?

Mais donner autant de visibilité à une entreprise de crypto inconnue peut être très risqué, assure au Financial Times Martin Calladine, auteur d’un livre sur l’irruption des cryptomonnaies dans le monde du football. Les fans du club peuvent y voir une incitation à investir dans ces actifs très volatiles "qui peuvent perdre toute valeur", et ainsi faire perdre les sommes investies aux socios qui y ont cru, ajoute cet expert.

Le risque est réel, reconnaît Argyro Elisavet Manoli. Mais "où est-ce qu’on trace la ligne rouge ? Les contrats de sponsoring avec des marques d’alcool sont aussi controversés. Et, les accords de partenariat de clubs britanniques avec des sociétés de paris sportifs font également courir des risques de perdre de l’argent aux fans qui vont utiliser ces services. Et puis on peut se demander si ce sont les clubs qui doivent fixer ces limites", explique Argyro Elisavet Manoli.

La différence entre les grands groupes de paris en ligne ou les marques d’alcool "est qu’on a affaire à des entités déjà établies dont le nom est connu. Ce n’est pas le cas avec ces sociétés de cryptomonnaies", souligne Kieran Maguire. Pour lui, ces contrats avec des équipes prestigieuses comme le Barça permettent de normaliser un secteur où il y a encore pas mal de moutons noirs.

Et puis ce n’est pas seulement risqué pour les fans. "Les clubs aussi peuvent y perdre si ces sociétés font faillite ou ont des problèmes de trésorerie. On l’a vu avec Chelsea dont l’accord avec la société de cryptomonnaie Whalefin a été interrompu avant la fin, tout comme l’AS Rome qui n’a pas reçu tout l’argent que lui avait promis DigitalBits", détaille Kieran Maguire.

Pari risqué

Le pari n’est pas que financier. En termes d’image et de réputation, c’est difficile à justifier. "C’est un accord qui n’est pas vraiment en phase avec les valeurs historiques défendues par le club, comme l’humanisme, le catalanisme ou encore la démocratie. Il se marie aussi assez mal avec les valeurs actuelles mises en avant, comme le travail d’équipe et la solidarité. Ce sont des critiques qui peuvent résonner chez les supporters", estime Xavier Ginesta.

C’est d’autant plus un problème potentiel, que le club a déjà signé cet été un accord de partenariat controversé avec la RD Congo, souligne la BBC. Les dirigeants du FC Barcelone ont été critiqués pour aider le pays à "redorer son image par le sport. Mais au moins dans ce cas là, le club peut justifier cet accord en arguant qu’il s’agit de sa contribution au développement du pays", note Xavier Ginesta. Dans le cas de Zero-Knowledge Proof, ce n’est qu’une publicité pour une entreprise aux dirigeants inconnus qui, potentiellement, peut devenir un nouveau nom dans la longue liste des arnaques aux cryptomonnaies. 

En fin de compte, "les fans du club ne tiendront pas rigueur aux dirigeants du Barça, si cet accord permet d’acheter de nouvelles stars et si les résultats sont au rendez-vous", affirme Kieran Maguire. En revanche, si ce n’est pas le cas, ce pourrait très bien être le faux pas qui coûte son poste à l’actuel président lors des élections de l’an prochain.