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Migrants dans la Manche : comment la France veut intercepter les taxi-boats
Alors que plus de 39 000 migrants ont traversé la Manche en direction du Royaume-Uni depuis le début de l'année, la France s'apprête à expérimenter une nouvelle doctrine d'interceptions maritimes pour bloquer les passeurs, jusqu'à présent écartée en raison de sa dangerosité.
Des gendarmes français à bord d'un bateau s'approchent d'un groupe de migrants voyageant sur un canot pneumatique près de Calais, en France, le 25 août 2025. © Hannah McKay, Reuters

La France et le Royaume-Uni cherchent la parade aux traversées d'embarcations de migrants dans la Manche. Depuis le début de l'année, plus de 39 000 personnes ont traversé le bras de mer sur des embarcations pneumatiques, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur britannique, soit presqu'autant qu'en 2022 où un record de 45 000 passages avait été établi.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer avait été élu en juillet 2024 sur la promesse de faire baisser cette statistique, mais un an et demi plus tard, le constat est accablant. Non seulement les migrants sont toujours plus nombreux sur les embarcations (59 contre 53 en moyenne l'année dernière), mais la technique du Taxi-boat, qui consiste pour les passeurs à embarquer les passagers directement dans l'eau, est devenue quasi infaillible. Selon l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim), les taxi-boats constituent près d'une traversée sur deux, et leur taux de réussite atteint environ 85 % en 2025, contre 58 % lorsque les migrants embarquent depuis la plage. Et pour cause, les forces de l'ordre n'ont, en théorie, pas le droit d'intervenir sur les embarcations une fois qu'elles sont à l'eau, où la doctrine du sauvetage prévaut sur celle de l'interception.

Des filets pour enrayer les hélices des bateaux

Face à ce constat d'impuissance, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord ainsi que les préfets du Nord, de la Somme et du Pas-de-Calais, ont décidé d'expérimenter une nouvelle doctrine sur laquelle le Secrétariat de la mer a planché tout l'été. Comme le révèle Le Monde, les gendarmes vont désormais procéder à des interceptions maritimes "en amont des phases d'embarquement", dans un premier temps en mer, puis dans les canaux et ports de la Côte d'Opale d'où partent parfois les bateaux.

Le document signé par les préfets évoque "des mesures graduées et réversibles couvrant un spectre allant de l’injonction d’arrêt, à l’immobilisation du moyen, au déroutement et à la remise des personnes aux autorités compétentes". Si le cadre de ces interceptions reste encore flou, les forces de l'ordre pourraient utiliser des filets afin de bloquer les hélices des moteurs. Interrogée à ce sujet, la préfecture de la Manche et de la mer du Nord n'avait pas répondu lors de la publication de cet article.

Dans un courrier rapporté par Le Monde, le Premier ministre britannique Keir Starmer presse Emmanuel Macron d'appliquer ce changement de doctrine : "Il est essentiel que nous déployions ces tactiques ce mois-ci". Au plus bas dans les sondages, le locataire du 10 Downing Street sait que le bilan migratoire dans la Manche pourrait devenir très préjudiciable pour la suite de son mandat.

"Approche intrinsèquement imprudente"

En France, les policiers, qui assistent les gendarmes dans la lutte contre l'immigration clandestine sur les 2 000 kilomètres de littoral entre la baie de Somme et la Belgique accueillent avec scepticisme cette mesure : "On est capable d'arraisonnements, mais ça peut créer des mouvements de panique à bord donc je suis surpris de la décision du gouvernement", s'étonne auprès de France 24 Cédric Castes, délégué national Unité de la Police aux frontières. "Ce qui me semble compliqué, c'est la responsabilité juridique en cas de drame", ajoute le policier.

Le risque est similaire en mer : mi-juillet, deux migrants sont morts à Mayotte après une collision entre une pirogue de migrants et une vedette de la police nationale. Par ailleurs, sept militaires membres des secours sont toujours mis en examen pour non-assistance à personne en danger, à la suite du naufrage qui avait fait 27 morts en 2021 au large de Calais. Contactés, ni le préfet délégué à la Défense dans la zone Nord, ni le ministère de l'Intérieur n'ont souhaité communiquer.

Côté association, les nouvelles méthodes d'interceptions sont, sans surprise, mal accueillies : "Le recours à des tactiques conçues pour arrêter les navires de contrebande de drogue à grande vitesse contre des canots pneumatiques surchargés et instables remplis de personnes en quête de protection est une approche intrinsèquement imprudente et dangereuse", a notamment dénoncé l'ONG Amnesty international dans un communiqué. Pour rappel, 78 migrants sont morts en 2024 lors de tentatives de traversées dans la Manche. Si une partie a péri par noyade lors de naufrages, beaucoup de décès sont intervenus dans le cadre de mouvements de panique à bord des embarcations, elles-mêmes en piteux état. Interrogée, une responsable de l'association d'aide aux migrants Utopia 56 à Grande-Synthe estime que "toute opération forcée causerait forcément plus de drames à notre sens" et que "le seul moyen de les éviter reste de développer des voies de passages sûres et légales pour demander l'asile en Angleterre".

Reste à savoir comment les passeurs de migrants, qui s'adaptent continuellement aux techniques d'investigations policières, vont s'adapter à cette nouvelle méthode. Signe de cet éternel jeu du chat et de la souris, 17 prévenus doivent comparaître à partir de lundi devant le tribunal judiciaire de Lille, accusés d'avoir fait passer plus d'un millier de migrants en Angleterre au printemps 2023. Il s'agit du premier dossier de taxi-boats jugé en France.