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États-Unis vs Venezuela : le grand flou de l’opération Lance du Sud
Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, a annoncé, jeudi, le début de l’opération Lance du Sud en Amérique latine pour lutter contre les narco-terroristes. Mais les incertitudes sont nombreuses sur cette opération de grande envergure.
Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, a lancé officiellement l'opération Lance du Sud en Amérique latine. © Studio Graphique France Médias Monde

Opération Lance du Sud : Pete Hegseth vient de baptiser l’ensemble des actions militaires menées officiellement contre les narcotrafiquants en mer des Caraïbes. Au nom de Donald Trump, de la lutte contre le trafic de drogue et de la défense des intérêts américains dans cette région, le ministre américain de la Défense a lancé cette opération par un tweet jeudi 13 novembre.

"Dirigé par la force opérationnelle interarmée Southern Spear [Lance du Sud] et le Southern Command [le commandement militaire pour l’Amérique latine, NDLR], cette mission défend notre patrie, élimine les narco-terroristes de notre hémisphère et protège notre pays contre les drogues qui tuent notre population", a affirmé Pete Hegseth sur le réseau social X.

Une opération qui existe depuis janvier 2025

Une annonce inhabituelle à plus d’un titre. À commencer par le nom, puisqu'il existe déjà une opération Lance du Sud, à en croire un communiqué publié par la marine américaine le 28 janvier 2025 - soit une semaine après l’entrée en fonction de Donald Trump. Celle-ci consiste à mobiliser des drones et autres systèmes robotiques pour mieux surveiller les opérations de trafic de drogues en Amérique latine.

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États-Unis vs Venezuela : le grand flou de l’opération Lance du Sud
Venezuela : un porte-avions américain au large de l'Amérique latine attise les tensions © Marine américaine
01:19

Pete Hegseth se serait-il trompé ? "Il est possible qu’il s’agisse d’une erreur de date sur le site de la marine américaine ou alors que le ministre de la Défense n’était pas au courant. Après tout, un certain niveau d’incompétence n’est pas à exclure de la part d’un ministre qui a invité par erreur un journaliste à un groupe de discussion sur des opérations militaires secrètes [une référence au Signalgate]", estime Rubrick Biegon, , spécialiste de la politique étrangère des États-Unis à l’université de Kent et auteur de "US Power in Latin America: Renewing Hegemony" ("La puissance américaine en Amérique latine : renouveler l’hégémonie").

"C’est en effet surprenant. Mais Pete Hegseth a pu décider de transformer en réalité une opération qui était en préparation", note Markus-Michael Müller, spécialiste des questions de conflits en Amérique latine à l’université de Roskilde au Danemark.

Tout aussi étonnant est le fait que Washington semble avoir fait les choses à l’envers. Généralement, "le lancement d’une nouvelle opération constitue le début d’une campagne militaire", souligne Rubrick Biegon.

Pourtant, les manœuvres et actions militaires "ont commencé le 2 septembre avec la première attaque d’un bateau menée par les États-Unis, juste au large des côtes du Venezuela. Et on en est déjà à la 20e frappe américaine contre ces prétendus trafiquants de drogue en bateau, ce qui a coûté la vie à au moins 80 personnes. En parallèle, les États-Unis ont concentré un grand nombre de forces armées dans la région, y compris le plus grand porte-avions au monde. Donc une opération militaire était déjà en cours", détaille Markus Hochmüller.

Vers une nouvelle "guerre contre le terrorisme"

Alors pourquoi cette annonce tonitruante du ministre de la "Guerre ?" Sur ce point, les avis des experts interrogés par France 24 divergent. "C’est avant tout une question de promotion de la marque [trumpienne]", assure Tom Long, spécialiste de l’Amérique latine à l’université de Warwick qui a écrit sur les stratégies de confrontation entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine.

Pour lui, il y avait avant une succession d’initiatives - les attaques de bateaux, le retour de la CIA au Venezuela, les gangs désignés organisations terroristes - qui vont dans le même sens sans pour autant "former d’ensemble". Regrouper tout sous un même parapluie "Lance du Sud" permettrait "de donner l’impression d’un déploiement massif et cohérent", précise Tom Long.

D’autres y voient une manière pour l’administration Trump de faire savoir que "la lutte contre le narcotrafic est devenue une priorité militaire stratégique pour les États-Unis", souligne Adriana Marin, spécialiste des relations internationales et de la lutte contre le terrorisme et les crimes transnationales à l’université de Coventry. "Il ne s’agit plus d’activités militaires contre les narco-trafiquants décidées au jour le jour, mais bien d’un effort de guerre plus global", ajoute cette experte.

Pour Adriana Marin, on retrouve dans l’opération Lance du Sud les mêmes ingrédients qui ont façonné la guerre contre le terrorisme. "Le lancement officiel de cette guerre après le 11 septembre 2001 conférait un sentiment d’urgence qui permettait de justifier une approche plus militaire que purement sécuritaire", explique-t-elle.

Elle n’est pas la seule à faire ce parallèle. "Les mêmes justifications sont brandies aujourd’hui. Comme avec les terroristes, Washington affirme que ces narcotrafiquants sont des combattants ennemis illégaux que les États-Unis peuvent donc éliminer sans aucune forme de procédure et sans avoir besoin d’apporter des preuves solides", note Tom Long.

Quand c'est flou...

Au moins à l’époque, les États-Unis fournissaient des précisions sur leurs opérations. L’annonce de Pete Hegseth reste très floue. "Il est frappant de constater à quel point rien n’est clair quant aux règles d’engagement, à la portée géographique de cette opération, au fondement juridique. On ne sait même pas quels sont les groupes désignés comme narco-terroristes qui vont être ciblés", résume Adriana Marin.

Une chose est sûre pour les experts interrogés : "La concentration de forces armées est disproportionnée par rapport aux buts évoqués de lutte contre le narcotrafic. Vous n’avez pas besoin du plus grand porte-avions du monde pour bombarder quelques bateaux accusés de transporter de la drogue", souligne Markus-Michael Müller.

Lancer une opération officielle pour coordonner autant de navires, avions et troupes "représente plutôt une manière d’accroître la pression symbolique et politique sur le régime de Nicolas Maduro, le président vénézuélien", assure Markus Hoffmüller.

"Cette pression militaire peut apparaître comme un soutien aux mouvements d’opposition à Maduro au Venezuela", ajoute Markus-Michael Müller. Ils se sentiraient davantage soutenus sachant qu’il y a dorénavant toute une opération militaire américaine au large des côtes vénézuéliennes organisée par une "administration américaine dont l’un des objectifs avoué est de contribuer à la chute du régime de Nicolas Maduro", ajoute Rubrick Biegon.

Et puis rester flou est un peu la marque de fabrique de Donald Trump en matière de politique étrangère, estime Tom Long. L’avantage pour le président américain est que "sans objectifs clairement définis, il peut crier victoire de 100 manières différentes", précise ce spécialiste.

L'opération Lance du Sud enterre en tout cas un peu plus l’image d’un président "de paix" que Donald Trump cherche à projeter depuis qu’il a fait campagne pour son deuxième mandat. "C’est quelqu’un qui a toujours prétendu vouloir mettre un terme à toutes les ‘guerres éternelles’, mais en déclarant la guerre à la drogue, il ouvre un nouveau front qui risque de durer longtemps", prévient Rubrick Biegon.