
L'unité française de soutien à la lutte contre le terrorisme reçoit de plus en plus d'appels de parents craignant que leurs adolescents ne tombent dans l'extrémisme. © Montage photo de Nayoun Kim, Julien Le Maguer / France 24
Implantée au sein du ministère de l'Intérieur, une petite équipe de policiers "écoutants" reçoit les appels de parents, d'amis, d'enseignants ou de collègues inquiets qu'une personne de leur entourage représente un risque pour la sécurité. "Je vous confie un formulaire qui est arrivé ce matin concernant une jeune femme signalée par son père", explique Nicolas*, qui gère le service, à un membre de son équipe.
"Elle s'est convertie il y a deux ans [à l'islam, NDLR] et commence à tenir des propos quelque peu inquiétants en lien avec l'actualité", poursuit-il. "Ce qui inquiète son père, c'est qu'elle projette de quitter la France et de se marier bientôt, alors qu'elle n'a que 18 ans. Je vous laisse rappeler le père pour obtenir plus de détails."
La hotline du Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) est née en avril 2014, avant les attentats meurtriers de 2015, alors que la France voyait déjà de jeunes radicalisés partir en Syrie et en Irak pour y rejoindre des groupes jihadistes, dont le groupe État islamique, qui avait revendiqué la folie meurtrière d'il y a 10 ans. Depuis sa création, la hotline a reçu 108 000 appels.
Pascale*, qui est là depuis le début, se souvient qu'en 2014, une mère avait appelé pour signaler que son fils voulait partir. "La mère savait qu'il avait rendez-vous dans une mosquée de la région parisienne. Elle se trouvait à trois heures de route et elle nous a appelés, désemparée, parce qu'elle voulait que nous l'empêchions de partir."

Les policiers n'ont pas pu intervenir. Malheureusement pour cette mère, cet appel a été passé avant que le gouvernement ne mette en place des interdictions de voyager pour les individus soupçonnés de vouloir rejoindre des groupes extrémistes hors de France. Ces interdictions, instaurées fin 2014, sont délivrées par le ministère de l'Intérieur sur la base d'évaluations des services de renseignement et de suspicions, et elles ne nécessitent ni condamnation pénale, ni inculpation.
"Alors cette mère a dit 'Je prends la voiture, je vais le chercher à la mosquée.' Et de toute évidence, elle n'a jamais pu l'empêcher de partir", poursuit Pascale. "Il était majeur".
"Tous types de radicalisation, y compris l'extrémisme d'extrême droite"
Par la suite, Pascale a dirigé le service pendant cinq ans. Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 13 novembre à Paris, des milliers d'appels ont été reçus. Du personnel supplémentaire a été mobilisé. La hotline a dû rester ouverte jour et nuit pendant plusieurs semaines.
Désormais retraitée, Pascale a tout de même choisi de revenir prêter main-forte au service, en tant qu'officier de réserve, pour continuer à répondre aux appels. Elle dit que ce travail lui donne un sentiment d'utilité.
"Quand la plateforme a été créée, le but était de prévenir le basculement dans la radicalisation islamique. Aujourd'hui le travail a été élargi sur tous types de radicalisation, y compris celle d'ultra-droite. Et on a de plus en plus de signalements de personnes, de survivalistes, d'incel [célibataire involontaire NDLR], et de radicalisation également d'ultra-gauche", explique-t-elle. "Quel que soit le type de radicalisation, ce qu'ils ont tous en commun, c'est une idéologie basée sur la négation de l'autre".
Dans son fonctionnement, l'équipe de la hotline garantit l'anonymat de toute personne qui appelle et assure que la personne signalée ne saura pas qu'elle a été dénoncée. Aussi, France 24 n'a pas été autorisée à enregistrer les appels, mais a eu accès à des cas spécifiques, dont celui d'un jeune français radicalisé en ligne sous l'influence de la mouvance d'extrême droite pro-Poutine.
Ses proches ont contacté la hotline après qu'il a quitté la France pour se rendre dans le Donbass, en Ukraine, afin de combattre aux côtés des forces russes. La famille s'est vu proposer l'aide d'un psychologue formé à ce type de situations, dans lesquelles les parents se sentent souvent démunis et coupables de ne pas avoir pu empêcher la radicalisation de leur enfant. Dans la mesure du possible, ces professionnels les conseillent sur la manière de maintenir le lien avec leur enfant.
La proportion de mineurs a triplé
Carine Vialatte, qui dirige l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), dont fait partie la hotline, explique que la ligne téléphonique d'écoute reçoit de plus en plus d'appels de parents redoutant que leurs adolescents ne basculent dans l'extrémisme. "La part des mineurs suivis pour radicalisation à caractère terroriste a triplé entre 2020 et 2025", indique-t-elle.

Autre évolution observée ces dernières années : le processus de radicalisation est devenu plus rapide. "On fait face à des individus qui parfois ne sont pas connus des services de renseignement et qui peuvent se radicaliser assez rapidement, notamment par l'intermédiaire des réseaux sociaux", détaille Carine Vialatte.
"Il s'agit de prévention"
Les "écoutants" de la hotline comme Pascale recueillent autant d'informations que possible par téléphone. Ces éléments sont ensuite transmis à des analystes, pour rechercher des indices supplémentaires, avant d'être transférés aux services de renseignement et aux autorités régionales qui décident si l'individu représente un risque réel ou non.
"En France, la liberté de culte, c'est une liberté, un droit fondamental. Donc il ne s'agit pas de prendre tous les convertis ou toutes les personnes qui ont une idéologie qui peut ne pas plaire aux voisins ou à la famille", avertit Pascale.
"C'est de la prévention. Dès l'instant où il y a quelques indicateurs qui montrent un comportement de dissimulation, un repli sur soi, un changement d'attitude, on prend les informations et on transmet", poursuit-elle. "Souvent il y a un conflit de loyauté. Les membres de la famille craignent de trahir leur proche. Mais s'il y a suspicion de radicalisation, il faut appeler parce que seul le travail d'un service de renseignement, chargé d'évaluer la situation, permettra de le confirmer ou de l'infirmer".
* Il n'a pas été possible de photographier les policiers ni de divulguer leurs noms dans cet article, afin de protéger leur sécurité.
Cet article a été adapté de l'anglais. Retrouvez la version originale ici. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
