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L'effet Mamdani, la victoire new-yorkaise qui galvanise la gauche française et européenne
L'élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York résonne jusqu'en Europe, où la gauche cherche à se reconstruire. En France comme chez ses voisins européens, le succès de cet "outsider" socialiste américain inspire les partisans d'une ligne plus sociale et assumée, symbole d'une gauche décomplexée.
Le maire élu de New York, Zohran Mamdani, devant l'Unisphère, dans l'arrondissement du Queens à New York, le 5 novembre 2025. © Heather Khalifa, AP

C'est un scénario que d'aucuns rêvent d'importer en France, et ailleurs en Europe. La victoire à la mairie de New York de Zohran Mamdani – issu de l'aile gauche du Parti démocrate – fait en premier lieu saliver la gauche française, des rangs des insoumis à ceux des écologistes, de François Ruffin au Parti socialiste (PS). L'occasion était trop belle, mercredi 5 novembre, de surfer sur le succès du nouveau maire de la mégalopole américaine en le revendiquant comme un membre de leurs camps politiques respectifs.

"Cette victoire porte en elle une leçon : seule la gauche de rupture peut battre l’extrême droite", a réagi sur X la cheffe de file des députés La France insoumise (LFI), Mathilde Panot, dans une comparaison à peine dissimulée avec la situation française et la perspective d'un second tour face au Rassemblement national lors de la présidentielle de 2027. "Le futur nous appartient."

Dans la même veine, le coordinateur de LFI Manuel Bompard estime que cette "énorme victoire" est la preuve que "seule une ligne de rupture peut mobiliser largement le peuple pour transformer la société".

Zohran Mamdani a mené campagne sur un programme plus à gauche que celui de la direction du Parti démocrate, à un moment où beaucoup à gauche pensent que la clé de la survie politique réside dans un recentrage. Il a remporté l'élection en proposant notamment un impôt sur la fortune bien plus radical que la taxe Zucman : 2 % sur les actifs supérieurs à un million de dollars – ce qui concernerait 34 000 foyers new-yorkais, selon son équipe de campagne.

La France insoumise se reconnaît dans cette figure qui s'est démarquée idéologiquement des leaders de son mouvement – ce qui ne l'a toutefois pas empêché de voir sa candidature officiellement approuvée par le chef du Parti démocrate Ken Martin –, et a émergé notamment grâce à un programme à destination des classes populaires et des jeunes, ainsi qu'à un discours résolument propalestinien.

Né en Ouganda, musulman issu d'une famille indienne, Zohran Mamdani, aujourd'hui âgé de 34 ans, avait sept ans lorsqu'il a immigré aux États-Unis, et a été naturalisé américain en 2018. Sa victoire sert le récit de conquête électorale de la gauche française, à un an et demi de la présidentielle.

"Le rêve américain est finalement toujours vivant", a ainsi réagi dans la nuit Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, à l'annonce de la victoire du candidat des Socialistes démocrates d'Amérique (en anglais, "Democratic Socialists of America" ou DSA) en tant que 111e maire de la Grosse Pomme.

"Dans la bascule fasciste en cours aux États-Unis, cette victoire est une source d'espoir incroyable et une inspiration pour la gauche qui ne renonce ni à ses valeurs, ni à gouverner pour changer la vie des gens maintenant", a poursuivi Marine Tondelier, qui se positionne à mi-distance des insoumis et des socialistes, appelant à "méditer les leçons qu'il nous enseigne".

Selon un récent sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, dans toutes les configurations testées, le Rassemblement national – qu'il soit représenté par Jordan Bardella ou Marine Le Pen – apparaît largement en tête en vue de l'élection présidentielle, avec 35 % des suffrages, en progression de quatre points par rapport au mois d'avril.

Un modèle pour la présidentielle de 2027... et les municipales de 2026

"Face à l'establishment médiatique, économique et politique qui a dépensé des dizaines de millions de dollars pour lui barrer la route", Zohran Mamdani a réussi "à renverser la table avec des propositions radicalement concrètes (gel des loyers, bus gratuits, crèches publiques...) et sans jamais détourner le regard sur le racisme et Gaza", s'est réjouie sur X l'eurodéputée insoumise Manon Aubry, qui s'est elle-même rendue à New York où elle a participé à la dernière ligne droite de la campagne aux côtés des équipes de Zohran Mamdani.

L'objectif de son voyage : comprendre comment un jeune élu local a réussi à battre lors de la primaire démocrate Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur de l’État de New York, qu’il a ensuite de nouveau battu lors du scrutin municipal de mardi – Andrew Cuomo s'étant finalement présenté en tant que candidat indépendant.

De ce parcours, plusieurs ex-insoumis, candidats possibles à une éventuelle primaire de la gauche à la présidentielle, retiennent d'ailleurs avant tout le succès de Zohran Mamdani lors de la primaire organisée en juin, qui lui avait permis de "renverser l'establishment démocrate".

"Comment a-t-il renversé la table ? Par une primaire. Par la question sociale comme obsession. Par une campagne de terrain. Par un candidat qui se fait reporter", s'est de son côté enthousiasmé François Ruffin, qui siège au sein du groupe écologiste à l'Assemblée et revendique les mêmes méthodes de campagne.

Également intéressée par la présidentielle de 2027, une autre ex-insoumise, Clémentine Autain, a quant à elle salué "un candidat élu par une primaire innovante" avec "un profil franchement de gauche".

Au contraire, LFI estime que sa volonté de ne pas participer à une primaire pour la prochaine présidentielle est également renforcée dans la mesure où la primaire démocrate n'a pas empêché Andrew Cuomo, battu par Zohran Mamdani, de se présenter ensuite en candidat indépendant.

Du côté du PS, le numéro un Olivier Faure a dit se sentir "parfaitement en phase" avec le programme de Zohran Mamdani, notamment dans la défense des services publics qui sont "le patrimoine de ceux qui n'en ont pas". "Il se revendique comme socialiste, mais à la sauce américaine. Ce n'est pas un insoumis", a-t-il encore fait valoir mercredi devant l'Association des journalistes parlementaires (AJP).

De quoi susciter des réactions qui montrent bien que si la victoire de Zohran Mamdani réjouit l'ensemble de la gauche française, elle ne règle pas pour autant ses divisions.

"Très drôle tous ces cadres du PS qui se réveillent pour féliciter Zohran Mamdani", a notamment réagi sur X la députée LFI Gabrielle Cathala. "Lui qui porte une ligne antiraciste claire, qui dénonce depuis des mois le génocide à Gaza, et qui a défendu tous les militants propalestiniens arrêtés. Soit tout ce que le PS n’a jamais fait."

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Au PS, d'autres tirent des leçons du succès de Zohran Mamdani non pas pour la présidentielle, mais pour les municipales.

"Inspirons-nous de cet élan pour ouvrir la voie d'une victoire de la gauche à Paris en 2026 face aux droites extrêmes et réactionnaires qui tournent le dos aux urgences sociales et climatiques", a ainsi réagi le candidat socialiste à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire.

Un message auquel Sophia Chikirou, députée LFI dans la sixième circonscription de Paris, a répondu : "Si vous soutenez Zohran Mamdani à NYC, vous devez soutenir La France insoumise à Paris. Ce qui fait la victoire de Zohran, c'est son programme et ses positions : s'attaquer aux riches, à la spéculation, rendre gratuits les transports publics, soutenir la Palestine, porter la voix des travailleurs contre la gentrification. C'est le contraire de ce que vous faites depuis des années. Vous voulez ce programme à Paris : votez pour La France insoumise !"

Symbole d'une gauche décomplexée et populaire, la victoire de Zohran Mamdani nourrit les espoirs français. Mais elle souligne aussi combien, en France, la gauche reste divisée sur la voie à suivre.

Une inspiration pour toute la gauche européenne

De Londres à Berlin, en passant par Madrid, dans un contexte global marqué par la poussée des droites et la défiance envers les partis traditionnels, c'est à toute la gauche européenne que l’émergence d’un maire socialiste américain assumant un discours de rupture offre un récit de victoire possible.

La semaine dernière, des personnalités de gauche venues de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni se sont rendues à New York pour étudier la campagne de Zohran Mamdani et pouvoir reproduire son approche.

Zack Polanski, chef du Parti vert d'Angleterre et du pays de Galles – qui a déjà été comparé à Zohran Mamdani pour son utilisation des médias sociaux et ses appels à un impôt sur la fortune pour réduire les inégalités –, a déclaré à Reuters que la victoire du socialiste démocrate montrait que "l'espoir avait triomphé de la haine". "C'est important, non seulement pour New York, mais aussi, je pense, pour le monde entier. Il s'agit d'améliorer la vie des gens, de reconnaître les inégalités qui sont au cœur de New York, mais aussi, franchement, présentes dans une grande partie du monde."

En Espagne, plusieurs figures de Sumar et de Podemos ont salué la victoire du candidat new-yorkais, parmi lesquelles Ione Belarra, ministre espagnole de l’Égalité. "Il apparaît de plus en plus évident que la droite est mieux contenue par une gauche forte et courageuse qui défend ses droits. Prenons-en note."

En Allemagne, le parti anticapitaliste Die Linke (La Gauche) voit dans cette victoire une justification de sa propre stratégie d’ancrage social. Responsable du bureau parlementaire du coprésident fédéral de Die Linke Jan van Aken, Liza Pflaum estime auprès de Politico que "si son parti a fait mieux que prévu lors des élections fédérales allemandes de février, c’est en utilisant le même schéma que Zohran Mamdani : se concentrer sur les questions liées au coût de la vie, solliciter les petits donateurs et investir massivement dans des opérations de porte-à-porte avec des bénévoles".

Le parti a d'ailleurs envoyé quatre représentants à New York pour y rencontrer des responsables politiques, dont le chef de la stratégie de campagne de Zohran Mamdani, Morris Katz, rapporte le média politique américain. La coprésidente fédérale Ines Schwerdtner et le coprésident de la section berlinoise Maximilian Schirmer se sont également rendus sur place.

En Italie enfin, Elly Schlein, cheffe du Parti démocrate, a quant à elle affirmé que "la gauche renoue avec la victoire grâce à un programme ambitieux", évoquant un "triomphe de la politique de l'espoir sur la politique de la peur".

En s'emparant de la victoire new-yorkaise, la gauche européenne s'est ainsi offert un récit commun : celui d'un possible retour au pouvoir, à condition de transformer l'inspiration en stratégie.

Avec AFP et Reuters