
Le président russe Vladimir Poutine avant une réunion en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin, le 1er septembre 2025. © AFP, Alexander Kazakov
"Un outil redoutable", résume le chercheur David Rigoulet-Roze. Le "snapback", mécanisme de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, permet, en cas de triche iranienne, de ré-imposer ("snapback" en anglais) toutes les mesures punitives, sans craindre un veto d'un autre Etat.
La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont décidé de le déclencher jeudi 28 septembre, en raison du non-respect par l’Iran de ses obligations avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et de la question des stocks d'uranium enrichi, ne laisse aucune chance à Téhéran d’échapper aux sanctions de l’ONU le 18 octobre. D’ici là, un compte à rebours est lancé pour des négociations de la dernière chance entre Européens et Iraniens.
L’accord de Vienne prévoit un encadrement des activités nucléaires iraniennes en échange d'une levée des sanctions. Ce qui est encore le cas actuellement, et ce jusqu’au 18 octobre, date à laquelle cet accord deviendra caduc.
En 2015, au moment de la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, la France, par le biais de son chef de la diplomatie de l’époque, Laurent Fabius, avait jugé l’accord défendu par Barack Obama « trop souple", raconte David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef d'Orients Stratégiques. "Alors il a fait ajouter cette procédure inédite. Et c’est pour cette raison que les Iraniens nous en veulent autant", ajoute le chercheur.
L’échéance du 18 octobre
Ce mécanisme de "snapback", alors suggéré par la France, arrive lui aussi à échéance le 18 octobre, d’où la décision par les puissances européennes de lancer le processus.
Un choix qui a aussitôt provoqué la colère de Pékin, Moscou et Téhéran. Dans une lettre, signée lundi à l'occasion du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les ministres des Affaires étrangères chinois, russe et iranien ont déclaré que la décision de rétablir les sanctions dans le cadre du "snapback" était "juridiquement et procéduralement viciée".
Le courrier publié par le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araqchi dans un message sur X affirme que la décision prise par la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne (E3) "abuse de l'autorité et des fonctions du Conseil de sécurité des Nations unies".

"Notre lettre signée conjointement avec mes collègues, les ministres des Affaires étrangères de Chine et de Russie, à Tianjin, reflète la position ferme selon laquelle la tentative européenne d'invoquer le snapback est juridiquement sans fondement et politiquement destructrice", a déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères sur X.
La Chine et la Russie ont tout intérêt à ce que le rétablissement des sanctions onusiennes contre l'Iran échoue. Celles-ci impliqueraient de nouveaux embargos sur les armes et un contrôle renforcé des exportations de produits pétroliers iraniens. Pékin continue d'acheter du brut iranien en toute discrétion, tandis que Moscou s'appuie sur les drones et missiles fournis par Téhéran pour alimenter sa guerre en Ukraine.
La riposte diplomatique de Pékin et Moscou
Reste alors une question centrale : Pékin et Moscou, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et signataires de l'accord de 2015, pourraient-ils empêcher ce mécanisme de s'appliquer ?
Le "snapback" fonctionne comme "en quelque sorte comme une sorte de veto inversé", explique David Rigoulet-Roze. Il prévoit que les sanctions soient rétablies à l'issue des 30 jours, une fois qu'un des Etats signataires de l'accord sur le nucléaire – en l'occurrence la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne le 29 août - a notifié au Conseil de sécurité du non-respect de cet accord par les Iraniens. Et ce, sans passer par un nouveau vote au Conseil.
En revanche, l'un des membres du Conseil peut demander une résolution visant à prolonger la levée des sanctions, ce qui revient à annuler le "snapback".
C'est ce que viennent de faire Pékin et Moscou, qui ont fait circuler fin août un projet de résolution afin de prolonger de six mois, jusqu'au 18 avril 2026, la durée de l'accord de 2015. Une initiative qu'ils ont justifiée comme "un effort pour donner plus de temps aux efforts diplomatiques".
Mais cette démarche n'a aucune chance de passer, de car il faudrait pour l'adoption de cette résolution une majorité au Conseil de sécurité, or les Occidentaux sont contre. Et surtout, cette fois, le texte proposé par la Chine et la Russie peut faire l'objet d'un veto de la part de n'importe lequel des membres permanents.
Pouvoir de nuisance à l'ONU
À défaut de pouvoir stopper la procédure de "snapback", Moscou dispose toutefois d'un pouvoir de nuisance. Les Russes assurent début octobre la présidence tournante du Conseil de sécurité, "ce qui leur donnerait l'occasion de bousculer les ordres du jour et de ralentir certaines procédures", relève David Rigoulet-Roze.
La réactivation des sanctions onusiennes contre l'Iran nécessite la constitution d'un comité onusien des sanctions. Or, les membres du Conseil, notamment la Russie, pourraient tenter "de contrecarrer la mise en œuvre ou de saper la légitimité des sanctions rétablies en bloquant la nomination d'un président pour ce comité ou en boycottant ses consultations", prévient l'International Crisis Groupe dans une analyse publiée fin août.
"La Russie et la Chine pourraient aussi s'efforcer de contrecarrer les efforts du Secrétaire général António Guterres visant à nommer un nouveau groupe d'experts chargés de surveiller le rétablissement des sanctions en bloquant la sélection d'experts, comme ils l'ont déjà fait par le passé avec d'autres groupes nommés par l'ONU, ou encore en bloquant les fonds nécessaires à cette nomination", poursuivent les experts de cette ONG basée à Bruxelles.
Autrement dit, si les manœuvres russes et chinoises n'affecteront pas la validité des sanctions rétablies, elles risquent en revanche d'en compliquer la mise en œuvre.