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Narcotrafic : comment l’administration Trump tente de briser le cartel de Sinaloa
Le cofondateur du cartel de Sinaloa, Ismael Zambada García, a plaidé coupable de plusieurs crimes, lundi, laissant envisager une collaboration avec la justice américaine. Depuis quelques mois, les États-Unis multiplient les efforts pour endiguer l’influence grandissante des narcotrafiquants comme "El Mayo" sur leur territoire.
Ismael "El Mayo" Zambada, cofondateur présumé du cartel de Sinaloa et accusé de trafic de drogue aux États-Unis, prête serment avant de plaider coupable devant la cour fédérale de New York, le 25 août 2025. © Jane Rosenberg, Reuters

Son arrestation rocambolesque dans un aéroport privé du Texas, en juillet 2024, avait fait le tour du monde. Le cofondateur du cartel mexicain de Sinaloa, Ismael Zambada García, alias  "El Mayo", a plaidé coupable lundi 25 août d’une vingtaine de chefs d’accusation, dont meurtre et trafics d'armes et de drogue, devant le tribunal fédéral de Brooklyn, aux Etats-Unis.

Pour l’occasion, la très médiatique ministre de la Justice américaine Pam Bondi, qui a fait de la lutte contre les narcotrafiquants l’une de ses priorités, avait fait le déplacement à New York : "Zambada Garcia, alias ‘El Mayo’, a reconnu qu'il avait eu une vie de criminel au service du cartel de Sinaloa, une organisation terroriste étrangère", a-t-elle lancé aux côtés de procureurs et agents fédéraux du parquet de Brooklyn. "El Mayo passera le reste de sa vie derrière les barreaux. Sa culpabilité nous rapproche de notre objectif : éliminer les cartels de la drogue et les organisations criminelles internationales", a martelé cette proche du président Donald Trump.

Washington mise sur les repentis

De fait, les Etats-Unis ont réussi à mettre en prison sur leur sol les deux fondateurs du cartel de Sinaloa puisque Joaquín Guzmán, dit "El Chapo", est déjà incarcéré depuis 2017 dans une prison ultrasécurisée de Florence, dans le Colorado.

Avec la procédure de plaider coupable d’"El Mayo", l’administration américaine s’offre une prise de luxe et porte un nouveau coup à ce cartel qui inonde de drogue (majijuana, cocaïne, fentanyl) le territoire américain. En échange d’informations de la part du repenti, le ministère public américain s’engage à ne pas requérir contre lui la peine de mort. 

Narcotrafic : comment l’administration Trump tente de briser le cartel de Sinaloa
Les membres de la DEA écoutent la procureure générale des États-Unis Pam Bondi s'exprimer lors d'une conférence de presse au bureau du procureur général des États-Unis, le 25 août 2025, à New York. © Michael M. Santiago, Getty Images via AFP

Le 13 août, le Mexique avait déjà remis aux Etats-Unis 26 personnes accusées de trafic de drogue et d’assassinat sur le sol américain, après l’extradition de 29 autres en février. "Ce qu’on voit se dessiner, ce sont des négociations de plus en plus poussées entre le gouvernement américain et les dirigeants de cartels afin d’identifier des structures mafieuses », décrypte Frédéric Saliba, journaliste et auteur de "Cartels : voyage au pays des narcos" (Editions du Rocher).

Cerveau du cartel de Sinaloa

"El Mayo" va-t-il se mettre à table ? "Ce qui nous laisse penser ça, c’est d’abord son changement de position [il avait initialement plaidé non coupable en septembre 2024, ndlr], et le fait que les deux fils d’El Chapo ont déjà collaboré avec les autorités américaines. Il est assez logique de penser qu’El Mayo ait droit au même traitement, avec des conditions de détention un peu meilleures", analyse Frédéric Saliba.

Âgé de 77 ans, Ismael Zambada Garcia est en mauvaise santé. Bien moins connu que son compère "El Chapo", célèbre pour ses évasions spectaculaires, "El Mayo" n’avait jusqu’à présent jamais été arrêté. Il n’en reste pas moins le véritable cerveau du cartel : "C’est lui qui s’est retrouvé à gérer, grâce à ses talents de négociateur, le réseau de corruption très haut placé du cartel au sein des autorités mexicaines", raconte Frédéric Saliba.

Lors du procès d’El Chapo en 2018, la défense avait notamment accusé le président mexicain Enrique Pena Neto, et son prédécesseur Felipe Calderon, d’avoir touché plusieurs centaines de millions de dollars de pot de vin pour fermer les yeux sur les activités du cartel. Si les deux hommes ont immédiatement démenti l’information, Genaro Garcia Luna, ancien ministre de la Sécurité de Calderon et architecte de la lutte contre le narcotrafic, a été condamné en octobre 2024 à 38 ans de prison… pour trafic de drogues et corruption, en lien avec le cartel de Sinaloa. Mais "d’autres fonctionnaires restent corrompus, malgré les changements de gouvernement, assure le journaliste Frédéric Saliba. C’est à ce réseau que veulent s’attaquer les autorités américaines via la collaboration avec des repentis".

Activités criminelles diversifiées

La guerre que mène les Etats-Unis aux cartels mexicains n’est pas sans conséquence. Depuis l’arrestation d’El Mayo, le cartel de Sinaloa s’est scindé en deux : d’un côté "Los Chapitos", les fils d’El Chapo, de l’autre "La Mayiza", les proches d’"El Mayo". Les deux clans se mènent désormais une guerre sanglante qui a déjà fait 1 200 morts et plus de 1 400 disparus au Mexique depuis août 2024, selon les autorités mexicaines. Cette guerre fratricide profite aux autres groupes mafieux, notamment le cartel "Jalisco Nueva Generacion" (CJNG), considéré comme le plus violent du Mexique, et qui connaît une influence grandissante depuis quelques années.

Les cartels continuent d’inonder les Etats-Unis, mais aussi le Canada, de fentanyl, un opioïde 50 fois plus puissant que l’héroïne, qui a fait 500 000 morts aux Etats-Unis entre 1999 et 2019, selon les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC). Si le nombre d’overdoses a chuté de 27 % en 2024, grâce à la mise en place de traitements de substitution, "les overdoses restent la principale cause de mortalité pour les Américains âgés de 18 à 44 ans", selon les données des CDC.

Profitant de l’attention portée par les pouvoirs publics sur le trafic de drogue, les cartels mexicains se sont diversifiés, de la fraude téléphonique au trafic de migrants. Le 13 août, le département de la Justice américain a mis en garde contre de nouvelles techniques de fraudes du cartel de Jalisco : "Selon les données du FBI, les victimes américaines auraient perdu près de 300 millions de dollars à cause de fraudes à la multipropriété au Mexique entre 2019 et 2023 ". Le même jour, parmi les narcotrafiquants livrés aux États-Unis, apparaissait le nom du Sierra-léonais Abdul Karim Conteh, accusé d’avoir fait passer clandestinement via le Mexique des milliers de migrants en provenance notamment d’Iran, d’Afghanistan et de Somalie.

"Le narcotrafic n’est qu’une partie des gains de ces cartels. Avec les politiques de Trump, l’immigration clandestine devient très lucrative pour les cartels. On a l’impression que la sphère mafieuse a toujours un coup d’avance par rapport aux autorités", conclut le journaliste Frédéric Saliba.