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Le séisme vu par David Charlier, un "enfant de la liberté"

, envoyée spéciale à Port-au-Prince – David Charlier est un "enfant de la liberté" : il a grandi pendant les quelques années de calme, entre la fin du règne de Duvalier et le début de l’ère Aristide. Il incarne l’esprit indépendant et cultivé de la jeunesse dorée haïtienne.

"Je vous préviens, je ne suis pas représentatif de la majorité des Haïtiens." David Charlier, 29 ans, artiste touche-à-tout, n’a pas pour habitude de mâcher ses mots. Il appartient au petit clan des "privilégiés", dans ce pays où 80 % de la population vivait, avant le séisme, avec moins de deux dollars par jour. Sa famille a longtemps été propriétaire du Rex Théâtre, la plus grosse salle de spectacle et cinéma de Port-au-Prince, dont il ne reste plus grand-chose après "le 7,3", le tremblement de terre qui a détruit une grande partie de la ville le 12 janvier.

Sa maison est aussi en ruine mais son atelier d’artiste, lui, n’a pas bougé. "C’est au moins ça", lâche le jeune homme, un peu dandy et gêné par la barbe qu’il n’a pas rasée depuis la catastrophe. Peintre, comédien, metteur en scène, réalisateur… David est un artiste pour le moins polyvalent. Avant le séisme, il dirigeait aussi une entreprise de décoration événementielle. "2010 s’annonçait comme une belle année, pleine d’espoirs", affirme-t-il. Il avait notamment été contacté pour s’occuper du carnaval de Port-au-Prince, le 14 février prochain."Un grand projet..."

"Hâter la reconstruction et redonner l’espoir"

Depuis la catastrophe, le jeune Haïtien s’est reconverti en fixeur, c’est-à-dire chauffeur-traducteur-conseiller pour les journalistes étrangers - et notamment pour FRANCE 24- arrivés sur place après le 12 janvier, jour du séisme. "Je suis restée quatre-cinq jours prostré après l’événement", raconte-t-il, dans son français parfait, discrètement teinté d’un accent caribéen. Sa famille proche a survécu. Pas son cousin ni plusieurs de ses amis. "À un moment, il a fallu que je bouge, que je comprenne ce qu’il s’était passé. J’ai eu envie de faire quelque chose pour m’occuper l’esprit." Alors armé d’une pancarte sur laquelle était inscrit "chauffeur-interprète", le jeune artiste s’est planté devant un hôtel et a attendu qu’un journaliste l’aborde.

"Ce qui m’a choqué, c’est que les journalistes venaient chercher des informations précises et n’ouvraient pas forcément les yeux sur la réalité du pays", regrette-t-il, après presque deux semaines plongé dans les coulisses de l’information. "J’ai parfois un pincement au cœur quand je vois leurs reportages. Une foule d’Haïtiens mènent des initiatives intelligentes pour améliorer la vie dans les camps, dans la ville, hâter la reconstruction et redonner l’espoir. Mais on ne montre que la misère et la souffrance, même presque deux semaines après le séisme."

"On nous traite comme des animaux"

David a beau toujours avoir le sourire, il en a gros sur le cœur. L’aide internationale n’échappe d’ailleurs pas à non plus à son regard acerbe. "Je sais que mes critiques sont dures, mais l’aide internationale est un grand show. Il n’y a rien de concerté, la distribution est vraiment mal organisée", lâche-t-il, les mâchoires crispées, traversant Port-au-Prince dévasté, au volant de sa voiture. "Dix militaires armés vont se pointer avec un seul camion d’eau à l’entrée d’un camp de 50 000 personnes assoiffées. Forcément, il va y avoir un mouvement de foule. Forcément il va y avoir des bousculades. Pourquoi les militaires ne viennent-ils pas avec vingt camions d’eau d’un coup ? Ils ont les moyens, les denrées, le matériel mais ne parviennent pas à s’organiser."

Les yeux rivés sur la route, David dissimule mal sa colère. "On nous traite comme des animaux, on ne nous permet pas de participer aux opérations de distribution. On ne nous écoutera pas pour la reconstruction", enrage-t-il. Lui veut agir et tout de suite pour reconstruire son pays. Pas question de se fier au gouvernement, "tombé dans les dérives d’une politique populiste". Pour lui, le salut se trouve au sein même de la population. "Nous avons évidemment besoin d’être coordonnés, mais il faut observer la société civile, elle s’organise, elle se débrouille vite et plutôt bien."

La nuit est tombée sur Port-au-Prince. La porte de sa voiture claque. David a terminé sa journée, quitte le parking de l’hôtel après avoir ramené les journalistes français. Le lendemain, il revient, frais, enfin rasé et un peu reposé. Il a un nouveau projet artistique : une chorégraphie inspirée du séisme.