
Illustration des marqueurs neuronaux de la maladie d'Alzheimer © Getty Images, iStockphoto - Artur Plawg
La maladie d’Alzheimer, qui touche 35,6 millions de personnes de personnes dans le monde, pourrait-elle être traitée grâce à un produit naturellement présent dans l'organisme ?
Le lithium (Li) est un élément chimique. De couleur argenté, il est surtout connu pour être un composant de batteries, utilisé notamment pour les batteries de voitures électriques. Mais il est aussi présent dans l’organisme humain à l’état de traces, réparti dans l’ensemble des organes.
Et des chercheurs américains viennent de faire un constat : on trouve moins de lithium dans les zones du cerveau humain affectées par Alzheimer que dans les zones saines.
L’étude, détaillée dans la revue Nature et dirigée par la prestigieuse Harvard Medical School - combine deux approches : l’analyse de tissus cérébraux humains et des expériences sur les souris. Et les résultats observés sur les rongeurs confirment ceux constatés sur l’homme.
Des "aimants" à lithium dans le cerveau
Pourquoi le lithium fait-il défaut aux personnes souffrant d’Alzheimer ? L'équipe de chercheurs pointe du doigt un suspect : les plaques amyloïdes, des amas de protéines - l'un des principaux marqueurs de la maladie.

L'expérience démontre en effet que ces structures agissent comme des "aimants" à lithium. Chez les souris présentant un déficit de lithium, on constate en effet un développement accru des plaques amyloïdes et l'apparition d'un cercle vicieux : moins de lithium entraîne plus de plaques amyloïdes, lesquelles raréfient davantage le lithium disponible. Cette mécanique expliquerait la progression fulgurante de la maladie, note la revue Nature.
Autrement dit, en piégeant ce métal, les plaques amyloïdes raréfient le stock de lithium nécessaire aux fonctions cérébrales. S'ensuit la perte de mémoire caractéristique d' Alzheimer.
Choisir le bon lithium
L'importance du lithium pour nos cellules grises est connue depuis le XIXe siècle, où on lui prêtait la vertu d'améliorer l'humeur. Dans l’entre-deux-guerres, l'étrange métal figurait même dans la recette originale du soda 7-Up.
Puis, dans les années 1970, le lithium est revenu sur le devant de la scène, comme traitement contre la bipolarité.
Jusqu'ici, essais cliniques testant ses effets sur le déclin cognitif ont toutefois donné des résultats mitigés. L'expérience de Harvard fournit enfin une explication : la plupart des essais avaient testé du carbonate de lithium, une forme que piègent facilement les fameuses plaques amyloïdes.
Mais une autre variété, l'orotate de lithium, donne d'autres résultats : les souris qui en ont ingéré de faibles doses ont retrouvé la mémoire, selon les résultats publiés dans Nature.
Plus frappant encore, même chez des individus sans troubles cognitifs, ceux avec les plus hauts niveaux de lithium dans le cerveau ont obtenu de meilleurs scores aux tests de mémoire, a aussi noté l'équipe de chercheurs.
Mais à trop forte concentration, le lithium présente aussi des risques sérieux pour l'organisme, perturbant notamment la fonction rénale, rappelle Luc Buée, directeur du Centre de recherche Lille Neuroscience & Cognition. "Mais les doses administrées dans lors de l'expérience sont si faibles qu'elles ne seraient sans doute pas toxiques", précise ce spécialiste d'Alzheimer.
Dix à 25 ans avant de guérir Alzheimer ?
"Cette expérience représente une bonne nouvelle face à la maladie. À ce stade, il n'y en a d’ailleurs pas de mauvaises", se réjouit Luc Buée.
Sauf peut-être le délai nous séparant d'un traitement concret. L'expérience actuelle est au stade "pré-clinique". Suivront les essais cliniques sur des individus, qui confronteront les constats du laboratoire à la réalité du terrain.
Au total, il faudra compter entre 10 et 25 ans pour que les espoirs se transforment – peut-être – en solution concrète sur le marché, prévient Luc Buée.
Autre enjeu, le financement du potentiel traitement. Le lithium étant un élément, il ne peut être breveté. "Aucune compagnie pharmaceutique ne va faire de profit sur le lithium", s'inquiète Tomas Hajek, psychiatre à l'Université Dalhousie, cité dans Nature.
L'aspect lucratif joue un rôle fondamental dans l'industrie de la santé. Toutefois, des entreprises pourront tout de même breveter "la formulation du traitement", nuance Denis Vivien, spécialiste des troubles neurovasculaires. "À l'image du gel hydroalcoolique : l'alcool n'est pas brevetable, mais les marques ont pu breveter sa formulation en gel, notamment lors de la pandémie de Covid-19".
Le potentiel marché du lithium pourrait dépasser le cadre d'Alzheimer. En Europe, une personne sur six souffre d'un trouble de santé mentale, et un tiers d’entre elles ne reçoit pas de soins adaptés, selon l'OMS.
Notre cerveau, cette horloge suisse
Certaines souffriraient-elles d'un manque de lithium ? "Il n'est pas du tout idiot de penser qu'une supplémentation en lithium à très faible dose pourrait s'avérer utile pour d'autres pathologies", tranche Luc Buée, "puisqu’on a besoin d'avoir une concentration suffisante dans notre cerveau pour ne pas déclencher des mécanismes délétères."
"Notre cerveau, c'est de l'horlogerie suisse" conclut Claire Rampon, directrice de recherche au CNRS : "chaque petit rouage a un rôle à jouer".