logo

Plan d'occupation de Gaza-ville : "Netanyahu veut éliminer les conditions d'une vie dans l'enclave"
Le Premier ministre israélien entend prendre le contrôle de la ville de Gaza, un projet qui inquiète une partie de la société israélienne, qui craint pour ses otages et ses soldats. Pourquoi Benjamin Netanyahu veut-il désormais concentrer ses forces sur cette ville ? Décryptage avec Hasni Abidi, politologue, spécialiste du Moyen-Orient.
Des bâtiments détruits par des frappes israéliennes et des abris de fortune, dans la ville de Gaza, le 8 août 2025. © Bashar Taleb, AFP

"Finir le travail à Gaza" : Benjamin Netanyahu a fixé cet objectif en présentant son dernier plan pour l'enclave palestinienne, validé par le cabinet de sécurité israélien dans la nuit de jeudi 7 à vendredi 8 août.

Pièce maîtresse du projet, l'occupation de la ville de Gaza, principale agglomération de ce territoire, où vit près de la moitié de la population gazaouie.

En s'emparant de la bande de Gaza en juin 2007, le Hamas avait établi dans la ville ses quartiers généraux. Aujourd'hui, celle-ci abriterait "un des deux derniers bastions" du mouvement islamiste, selon Benjamin Netanyahu.

Son plan, qui prévoit l"'évacuation" préalable de la ville, a essuyé une pluie de condamnations. L'Allemagne – alliée historique d’Israël – a ainsi décidé vendredi, pour la première fois, de suspendre ses livraisons d'armes à l'État hébreu.

Une fronde a aussi émergé en Israël même, au sein des familles d’otages et jusque dans les hauts rangs de l’armée.

Pourquoi Benjamin Netanyahu promet-il désormais d'occuper Gaza-ville ? France 24 fait le point avec Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen, qui a dirigé l'ouvrage collectif "Le Moyen-Orient selon Donald Trump".

France 24 : Les objectifs annoncés par Benjamin Netanyahu sont-ils réalisables ?

Hasni Abidi : Le paradoxe, c'est que le Premier ministre affiche les mêmes objectifs que ceux déjà annoncés il y a 22 mois, le 8 octobre 2023, à savoir l'anéantissement du Hamas, la libération des otages et la fin de toute menace venant de la bande de Gaza.

Mais aujourd’hui, Netanyahu entend montrer que le Hamas conserve des forces à l'intérieur de la ville. On est donc en droit de se poser la question suivante : à quoi ont justement servi ces 22 mois ?

En ce qui concerne les otages, le Premier ministre affirme qu'ils ne peuvent être libérés que par la force militaire. Un non-sens, puisque les otages israéliens précédemment libérés l'ont été après des négociations.

Quel est donc l'objectif principal de Benjamin Netanyahu derrière la prise de Gaza-ville ?

Cela revient à occuper ce qui reste encore inoccupé. Dans les faits, Israël contrôle déjà plus de 74 % de la superficie de la bande de Gaza, et plus de 80 % de ses infrastructures sont détruites.

Le Premier ministre israélien veut aller dans la ville de Gaza pour la vider de sa population, et y détruire tout ce qui reste, à savoir les rares infrastructures et bâtiments qui sont encore debout.

Des centaines de milliers de réfugiés ont fui vers cette ville depuis le début de la guerre. Celle-ci abrite ainsi désormais entre 900 000 et un million de personnes [contre environ 780 000 avant la guerre, NDLR].

L'occuper est donc l'opportunité rêvée pour Benjamin Netanyahu de faire de l’expulsion forcée hors de l’enclave l'unique option restante pour les Gazaouis.

Désavoué par une partie de l’armée, le plan de Benjamin Netanyahu relève-t-il de la stratégie militaire ou de la politique ?

Curieusement, ce sont les militaires, et non Benjamin Netanyahu, qui agissent ici comme des responsables politiques. Ils connaissent mieux que lui les risques d'une énième occupation, dans un contexte de moral en berne et d'épuisement des troupes : en entrant dans la ville de Gaza, il est très difficile de savoir quand et dans quel état on va en sortir.

L'état-major constitue ainsi un des deux contre-pouvoirs en Israël. Le second, ce sont les familles des otages, mais aussi une partie de la société civile israélienne. Non pas parce qu'elle est contre la guerre à Gaza ou contre l'occupation, mais parce que l'occupation de la ville de Gaza va encore causer plus de morts au sein de l'armée israélienne.

Toutefois, Benjamin Netanyahu, lui, est dans une dynamique de conflit. Celle qui lui a permis de résister aux critiques de l’extrême droite et à toute opposition contre son gouvernement. Le Premier ministre ne veut surtout pas arriver à une dynamique de négociation, car elle serait synonyme de sa chute politique.

Que représente la ville de Gaza pour les Gazaouis ? Son occupation dépasserait-elle l'aspect militaire ?

C'est le cœur battant de Gaza. Pour les Gazaouis, cette ville, bon gré mal gré, demeure le symbole d'une certaine souveraineté palestinienne, d’une gouvernance politique à Gaza.

L'attachement à cette ville, c'est celui à une terre qui – jusqu'à maintenant – a échappé au contrôle et à l'occupation israéliennes.

Que resterait-il de l'enclave s'il ne se trouvait plus dans la ville de Gaza des médecins, des commerces, des écoles, des universités ?

Une pression militaire israélienne dans un espace si densément peuplé signifierait aussi, probablement, des centaines de morts par jour.

Le plan de Benjamin Netanyahu, c'est la négation de la vie dans l'enclave, dont la ville de Gaza est le symbole. Benjamin Netanyahu n'anéantit pas le Hamas : il élimine les conditions d'une vie dans l'enclave.