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Pourquoi des contraceptifs financés par les États-Unis pourraient être détruits en France
Un vaste stock de contraceptifs financés par les États-Unis et destinés à des femmes des pays pauvres risque d’être détruit et incinéré en France. À l'origine : une décision controversée de l’administration Trump. Associations et parlementaires s’insurgent. Explications.
Photo d'illustration de plaquettes de pilules contraceptives. © Philippe Huguen, AFP

Des millions de contraceptifs vont-ils être détruits en France ? C'est ce que redoutent plusieurs organisations féministes et syndicales après la décision de l'administration Trump de faire incinérer un stock colossal de pilules, stérilets et implants initialement destinés à des femmes vivant dans les pays les plus pauvres.

Bloqués depuis plusieurs mois dans un entrepôt en Belgique, ces produits de santé reproductive, d'une valeur de 9,7 millions de dollars (8,3 milliards d'euros ), pourraient prochainement être acheminés vers la France pour y être détruits. Une pétition contre ce projet, lancée mercredi 30 juillet par un collectif d'associations – parmi lesquelles le Planning familial, Osez le féminisme, la FSU ou encore la Ligue des droits de l'Homme –, a déjà recueilli plus de 6 000 signatures en 24 heures.

"Nous ne laisserons pas cette décision inique et sexiste être appliquée", dénoncent les signataires, pointant un gaspillage "économique et humain". "Ne laissez pas la France devenir complice de ce scandale", a exhorté de son côté Charles Dallara, petit-fils de Lucien Neuwirth, pionner de la pilule contraceptive.

Comment en est-on arrivé là ? Qui peut encore empêcher cette destruction ? Et quelles seraient les conséquences pour les femmes concernées ? France 24 décrypte les enjeux.

  • Que sait-on précisément de la décision américaine ?

L'administration Trump a ordonné la destruction d'une partie de ces produits. Lors d'un point presse, la porte-parole du département d'État, Tammy Bruce, a parlé d'une "décision préliminaire" concernant des "produits contraceptifs abortifs" achetés sous la présidence de Joe Biden par l'Usaid. Démantelée en février, l'Agence américaine pour le développement international a officiellement arrêté ses activités le 1er juillet. Ses financements représentaient plus de 40 % de l’aide humanitaire mondiale en 2024.

"Seuls un nombre limité de produits ont reçu l'autorisation d'être détruits", a précisé la porte-parole, en assurant qu'aucun médicament contre le VIH, ni les préservatifs n'étaient concernés.

L'opération, qui devrait avoir lieu dans une installation française spécialisée dans le traitement des déchets médicaux, est estimée à 167 000 dollars (environ 146 000 euros). En raison de la forte concentration en hormones de ces contraceptifs, ils devront "être incinérés à deux reprises", a indiqué un assistant parlementaire américain à CNN.

D'après les calculs du Washington Post, le stock est composé de plus de 50 000 dispositifs intra-utérins (DIU, couramment appelé "stérilet"), de près de deux millions de doses de contraceptifs injectables, de 900 000 implants et plus de deux millions de plaquettes de pilules. Leur acheminement vers la France pourrait prendre au moins deux semaines et nécessiter des dizaines de camions, selon une source citée par Reuters.

  • Pourquoi l'administration Trump a-t-elle pris cette décision ?

Cette décision s'inscrit dans la politique portée par Donald Trump, notamment à travers le rétablissement et l'élargissement de la "politique de Mexico", lancée lors de son premier mandat en 2017. Ce texte interdit aux ONG étrangères recevant des fonds américains de proposer ou de promouvoir l'avortement. Un argument invoqué par le département d'État pour justifier la destruction du stock.

Autre facteur : la réduction drastique du budget de l'aide étrangère, avec une coupe de 9 milliards de dollars (7,8 milliards d'euros) décidée en juillet. L'administration Trump a également invoqué la péremption supposée des produits. Une affirmation contredite par Médecins Sans Frontières (MSF) et l'organisation internationale MSI Reproductive Choices, qui assurent que les dates d'expiration s'échelonnent entre 2027 et 2031.

  • Des alternatives ont-elles été proposées ?

Plusieurs ONG ont proposé de prendre en charge le stock à leurs frais. MSI Reproductive Choices s'est dite prête à "acheter, reconditionner et gérer la logistique" des contraceptifs. Même proposition du côté de la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF), qui souhaitait les collecter à Bruxelles, les reconditionner aux Pays-Bas et les redistribuer dans le monde. Toutes ces offres ont été refusées.

Aux États-Unis aussi, des parlementaires démocrates tentent de bloquer la destruction. La sénatrice démocrate du New Hampshire Jeanne Shaheen et son confrère de Hawaii Brian Schatz ont présenté une proposition de loi - le Saving Lives and Taxpayer Dollars Act - visant à empêcher ce type de gaspillage. Selon un communiqué de presse, ce texte interdirait leur destruction, "à moins que tous les efforts pour les vendre ou les donner aient été épuisés". Mais il pourrait ne pas être adopté à temps.

  • Pourquoi parle-t-on d'un enjeu pour la France ?

Actuellement stockés dans un entrepôt dans la ville de Geel, près d'Anvers, les contraceptifs devraient être incinérés en France, sans que Paris n'ait confirmée l'information. Plusieurs voix s'élèvent donc contre "l'opacité" de la position française.

Pourquoi des contraceptifs financés par les États-Unis pourraient être détruits en France
Dans cet entrepôt de la société Kuehne + Nagel à Geel, en Belgique, le 23 juillet 2025, des millions de contraceptifs restent bloqués depuis la décision du président Donald Trump de démanteler l'USAID, en février. © Luc Claessen, AFP

Les signataires de la pétition lancée mercredi estiment que le pays, devenu en mars 2024 le premier à inscrire explicitement l'avortement dans sa Constitution, "ne peut déroger à un engagement de diplomatie féministe alors qu'(il) prétend servir de modèle à l'international".

Céline Thiébault-Martinez, députée socialiste, a déclaré jeudi sur France Inter que si la France ne s'exprimait pas sur la question, elle "perdrait en crédibilité auprès des femmes". Le petit-fils de Lucien Neuwirth a lui aussi interpellé Emmanuel Macron dans une lettre publiée mardi, l'appelant à "ne pas laisser la France devenir complice de ce scandale". Pour cet élu de Saint-Étienne, laisser faire reviendrait à "renier" les "combats" menés par son grand-père et Simone Veil.

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  • Quels sont les risques d'une telle destruction ?

Selon la chercheuse Chelsea Polis, du Guttmacher Institute, ce stock aurait pu couvrir les besoins en contraception de plus de 650 000 femmes pendant un an, et jusqu'à 950 000 sur trois à dix ans, en fonction de la méthode utilisée.

"Il s'agit de produits essentiels, pouvant sauver des vies" dans des régions déjà vulnérables, déclare-t-elle à NPR. 'Ils pourraient permettre de soutenir l'autonomie reproductive et d'éviter des avortements à risque, ainsi que des décès maternels."

Ce stock de contraceptifs serait à l'origine destiné aux femmes vivant dans les pays les plus défavorisés, notamment en Afrique subsaharienne.

  • Pourquoi les États-Unis parlent-ils de produits "abortifs" ?

Les produits concernés sont des contraceptifs, c'est-à-dire qu'ils permettent d'éviter une grossesse non désirée et non d'interrompre une grossesse. Il ne s'agit donc pas de produits abortifs au sens médical du terme. Mais dans un glissement sémantique assumé, le département d'État les a qualifiés de "contraceptifs abortifs", brouillant volontairement les définitions.

La sénatrice démocrate du New Hampshire Jeanne Shaheen a dénoncé cette confusion : "Ces produits n'ont rien à voir avec l'avortement. L'administration tente de justifier une décision injustifiable."

Même réflexion pour Jennifer Lincoln, gynécologue américaine suivie par près de 3 millions d'abonnés sur TikTok, qui s'alarme dans une vidéo : "Ils ferment les centres de planning familial, interdisent l'avortement... mais ils n'aident pas les gens à obtenir les moyens de contraception dont ils ont besoin pour éviter les grossesses. Ça n'a jamais été une question d'avortement. C'est une question de contrôle !"

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  • La Belgique ou la France peuvent-elles empêcher leur destruction ?

Le gouvernement belge affirme explorer "toutes les pistes possibles", y compris un transfert temporaire des stocks. De son côté, la France "soutient fermement la volonté des autorités belges de trouver une solution pour éviter la destruction des contraceptifs" et "suit la situation de près", selon une source diplomatique citée par RFI, mais affirme n'avoir été informée d'aucun transfert.

Dans une lettre ouverte adressée samedi à Emmanuel Macron, les Écologistes demandent au chef de l'État d'intervenir en urgence. "Nous ne pouvons pas laisser l'agenda anti-choix de Donald Trump se déployer sur notre territoire", a déclaré à Euronews la députée européenne Mélissa Camara, l'une des signataires de la lettre. L'élue a également écrit à la Commission européenne. Celle-ci affirme avoir "pris note des lettres et pris acte des préoccupations soulevées".

Pour MSF, la seule solution viable reste d'acheminer ces produits vers les ministères de la Santé des pays qui en ont besoin.