
L'épave du Boeing 787 d'Air India dans une zone résidentielle près de l'aéroport d'Ahmedabad, le 14 juin 2025. © Punit Paranjpe, AFP
Un premier rapport publié par le Bureau indien d'enquête sur les accidents aériens (AAIB) a été rendu public, samedi 12 juillet, un mois jour pour jour après le crash d'un Boeing 787 Dreamliner d'Air India moins d'une minute après son décollage de la ville d'Ahmedabad, dans le nord-ouest de l'Inde. Un seul passager a miraculeusement survécu à ce vol condamné, qui a causé la mort de 260 personnes, dont 19 au sol, après que l'avion à destination de Londres s'est écrasé sur le réfectoire d'une école de médecine. Ce qui fait de cet événement la catastrophe aérienne la plus meurtrière des dix dernières années.
Cet accident est un électrochoc pour l'industrie aéronautique. "C'est un rappel brutal que les événements rares mais graves peuvent encore se produire, même avec l'automatisation moderne", affirme Marco Chan ancien pilote, aujourd'hui maître de conférences en opérations aériennes de l'université Buckinghamshire.
Les résultats de cette toute première enquête étaient très attendus pour les familles endeuillées, notamment pour comprendre comment une telle catastrophe a pu se produire.

Une erreur humaine ?
Les premiers éléments de l'enquête de l'AAIB indiquent que l'alimentation en kérosène de l'avion s'est coupée juste après son décollage. L'appareil a alors commencé à perdre de la poussée avant même d'avoir franchi le périmètre de l'aéroport.
Les interrupteurs d'alimentation en carburant se sont presque simultanément mis en position "arrêt", les privant de leur puissance, révèle aussi le document de 15 pages. Un élément que les experts trouvent étrange, puisque le mécanisme de verrouillage des avions est censé empêcher leur manipulation accidentelle.
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Selon les constatations de l'AAIB, le Boeing avait atteint une vitesse de 180 nœuds (333 km/h) lorsque les interrupteurs d'alimentation en carburant sont soudainement passés de la position "run" (ouvert) à la position "cutoff" (arrêt) pour le premier moteur puis pour le second une seconde après.
L'enregistreur des conversations du cockpit, contenu dans la boîte noire, a quant à lui révélé que l'un des pilotes avait demandé à l'autre "pourquoi il a coupé l'alimentation en carburant" et que ce dernier avait répondu "qu'il ne l'a pas fait". Le rapport n'en mentionne qu'un court extrait.
Le jour de l'accident, le copilote Clive Kunder, 32 ans, était chargé de piloter le Dreamliner, tandis que le commandant de bord Sumeet Sabharwal, 56 ans, s'occupait des communications avec le contrôle aérien et la surveillance du système. Tous deux étaient expérimentés : Sabharwal totalisait 15 638 heures de vol, dont 8 596 sur le Boeing 787, et Kunder 3 403 heures de vol, dont plus d'un millier sur le Dreamliner. Tous deux avaient passé avec succès tous les tests physiques, psychologiques et toxicologiques obligatoires.
Certains n'ont pas tardé à interpréter ce bref échange comme le signe d'une erreur de pilotage, voire d'un sabotage. Mais pour Marco Chan, il est trop tôt pour le dire.
Colères des pilotes de l'aviation indienne
"Le rapport préliminaire a pour objet de consigner la chronologie, les preuves matérielles et les données initiales de l'enregistreur. Il évite délibérément de tirer des conclusions ou d'attribuer des responsabilités", explique Marco Chan. "Une simple ligne de dialogue dans le cockpit ne peut pas suffire à constituer la preuve d'une erreur humaine, et le rapport ne dit pas pourquoi les interrupteurs ont bougé, ni si c'était le résultat d'une action humaine, mécanique ou électronique."
Les spéculations selon lesquelles l'un des pilotes, ou les deux, auraient causé l'accident, volontairement, ou par erreur, a provoqué la colère de deux grandes associations de pilotes en Inde. Elles ont toutes deux rejeté ces soupçons ciblant leurs confrères.
"Nous avons le sentiment que l'enquête suit une piste qui présume la responsabilité des pilotes et nous nous y opposons fermement", a réagi samedi Sam Thomas, président de l'Association des pilotes de ligne indiens (ALPA). L'ALPA, qui revendique 800 membres, a déploré le "secret" qui entoure l'enquête et regretté de ne pas y être associée en tant qu'"observatrice".
Une autre organisation, l'Association des pilotes commerciaux indiens (ICPA), s'est dite, pour sa part, "très perturbée par ces spéculations (...) notamment celles qui insinuent de façon infondée l'idée du suicide d'un pilote". L'ICPA a qualifié ces théories de "violation flagrante de l'éthique de l'information et d'atteinte à la dignité de la profession".
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Pour Marco Chan le rapport de l'AAIB n'est pas biaisé, mais qu'en tant qu'ancien pilote, il dit comprendre le mécontentement qu'il suscite. "Je compatis. Dans l'aviation, nous nous appuyons sur une culture de la sécurité fondée sur des preuves. Les accusations prématurées – qu'elles soient adressées aux pilotes, aux régulateurs ou aux constructeurs – mettent à mal cette culture et alimentent inutilement l'angoisse du public."
Un sentiment partagé par Bernard Lavelle, consultant chez BL Aviation Consulting. Pour cet expert, ce rapport est un point de départ : "Il est important de comprendre le but de ce document. Il n'a jamais été question de dire comment et pourquoi le crash s'est produit. Pour l'instant, il ne peut que nous dire ce qui s'est passé. Il a rempli son rôle et je ne pense pas qu'il mette l'accent sur l'erreur humaine."

Panne mécanique ou électronique ?
Pour l'instant, les données recueillies peuvent être interprétées de trois façons, selon Marco Chan : une action involontaire de l'équipage, un incident électronique imprévu ou une défaillance du câblage qui a simulé le mouvement de l'interrupteur. Mais l'expert estime que les preuves sont insuffisantes pour valider l'un de ces scénarios.
Air India et Boeing auraient beaucoup à perdre si de futurs rapports révélaient une quelconque erreur électronique ou mécanique. L'an dernier, Air India a fusionné pour tenter de redorer son image. Et Boeing est embourbé dans des controverses depuis des années, principalement en raison d'une série d'accidents impliquant son avion 737 Max.
La compagnie américaine a publié le 13 juillet un rapport, conjointement avec l'Administration fédérale de l'aviation (FAA), indiquant que les dispositifs de verrouillage des interrupteurs de commande de carburant sur les avions Boeing étaient sûrs et que des vérifications n'étaient pas nécessaires. Cependant, l'Inde et la Corée du Sud ont ordonné le lendemain à leurs compagnies aériennes d'examiner ces mêmes interrupteurs sur plusieurs modèles de Boeing.
En 2018, la FAA avait publié une note d'information sur "le désengagement potentiel de la fonction de verrouillage de l'interrupteur de contrôle du carburant" sur certains Boeing, dont le 787. Elle recommandait aux opérateurs d'inspecter le dispositif pour s'assurer qu'ils ne pouvaient pas être déplacés accidentellement, mais ne les obligeait pas à le faire.
Or le rapport préliminaire d'Air India indique que la compagnie aérienne n'a pas effectué les inspections suggérées par la FAA car l'avis n'est pas obligatoire, mais il précise que les dossiers de maintenance montrent que le module de commande des gaz - qui comprend les interrupteurs de commande de carburant - a été remplacé en 2019 et 2023 sur l'avion qui s'est écrasé.
"Il se peut également que le matériel [verrouillage de l'interrupteur de commande de carburant] soit mécaniquement en bon état, mais qu'il reçoive quand même un signal de coupure parasite", explique Marco Chan. "Nous ne le saurons pas avant la fin des bancs d'essai et des inspections complètes".
L'expert met en garde contre la tentation de rejeter prématurément la faute sur les pilotes, ce qui risquerait de "masquer des problèmes systémiques plus profonds".
Il reste toutefois confiant quant à la découverte de la vérité, notamment parce que l'AAIB a invité des observateurs tiers à participer à l'enquête. Il y voit "un signe encourageant". "Si les preuves indiquent en fin de compte une défaillance du système, il sera alors difficile pour les parties prenantes de se cacher derrière l'étiquette d'erreur humaine", juge-t-il.

"Mieux vaut être juste que rapide"
Bernard Lavelle estime qu'il faudra patienter au moins un an avant que des conclusions finales ne soient rendues publiques, conformément au processus d'enquête.
La récupération et l'analyse correcte des données va prendre plusieurs mois. Il faudra aussi que les enquêteurs examinent les dossiers de maintenance sur cinq ans et les antécédents des deux pilotes dans le détail.
Des experts compétents seront probablement consultés. Selon Bernard Lavelle, chaque découverte permettra d'éliminer des hypothèses jusqu'à ce que la vérité finisse par être révélée.
"C'est comme pour un puzzle", conclut-il, "il vaut mieux avoir raison que d'aller trop vite."
Cet article a été adapté de l'anglais. Retrouvez la version originale ici.