Plus de 2 000 morts, des milliers de blessés et près de 1,2 million de déplacés. Tel est le bilan, selon les autorités libanaises, de la campagne israélienne de bombardements massifs au Liban. Si l'État hébreu affirme se concentrer sur le Hezbollah et ses bastions dans le sud et l'est du pays du Cèdre, ainsi que dans la banlieue sud de Beyrouth, les civils payent un très lourd tribut.
Les ONG locales et internationales se mobilisent dans l'urgence pour gérer l'exode massif d'une population livrée à elle-même et une catastrophe humanitaire dans un pays fragilisé par une crise socio-économique aiguë, avec près de 80 % de la population vivant désormais sous le seuil de pauvreté selon l'ONU.
"La situation est actuellement catastrophique au Liban, où plus d'un million de personnes ont fui leur domicile après avoir reçu un ordre israélien d'évacuation ou parce qu'ils craignaient pour leur sécurité et même pour leur vie, confie depuis Beyrouth, Maya Andari, directrice de la qualité des projets chez Care, une ONG de solidarité internationale spécialisée dans les situations d'urgence. Nous faisons face aux conséquences de ce mouvement d'exode avec des déplacés venus depuis le sud du Liban, de la Bekaa [est du pays, NDLR], de la banlieue sud de Beyrouth, et même depuis la capitale, qui est désormais elle-même ciblée."
Jeudi 3 octobre, alors que des centaines de milliers de déplacés sont venus se réfugier à Beyrouth, imaginant qu'ils y seraient en sécurité, une frappe israélienne sur un centre de secours du Hezbollah à Bachoura, un quartier densément peuplé de la capitale, situé non loin du siège du gouvernement, a fait sept morts.
L'humanitaire, qui en appelle à la solidarité internationale pour faire face à des besoins immenses, alors que "les ressources et les financements sont très limités", explique que son ONG préparait et développait un plan d'urgence depuis octobre 2023. "Mais nous ne pouvions pas nous attendre à une catastrophe d'une telle ampleur", confie-t-elle.
"La peur s'est installée dans les cœurs"
De leur côté, les agences de l'ONU ont lancé mardi un appel de 426 millions de dollars pour une aide urgente pendant trois mois, d'octobre à décembre 2024, à un million de personnes au Liban.
La Banque mondiale (BM) a annoncé jeudi la réorientation de 250 millions de dollars d'aide au Liban vers l'aide d'urgence aux populations déplacées par les bombardements israéliens.
Selon Maya Andari, un certain nombre de ces déplacés qui n'ont pas pu trouver de place dans un abri collectif ou se réfugier chez des proches ou des habitants, continuent d'errer dans les rues ou de dormir dans leur voiture.
Et pour cause, la plupart des 860 centres officiels d'hébergement ouverts dans des écoles publiques et des universités sont déjà débordés, indique t-elle. Une situation qui impacte un très grand nombre de mineurs : près de 47 % des déplacés sont des enfants, selon l'ONG Care.
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Accepter Gérer mes choix"Ces déplacés qui ont eu d'une certaine manière de trouver un centre pour s'y abriter vivent dans des conditions très précaires, puisque ces lieux, qui ne sont parfois équipés que de toilettes, ne sont pas destinés à accueillir dignement des personnes qui ont notamment besoin de dormir et de prendre des douches chaudes, explique Maya Andari. Nous essayons de les soutenir et de leur donner du matériel de base, des produits hygiéniques et de nettoyage, mais le nombre de déplacés est tellement important que cette situation représente un risque important pour la santé publique et fait craindre une augmentation des maladies."
Même cri d'alarme du côté du député de l'opposition Melhem Khalaf, cofondateur d'Offre-Joie, une association apolitique œuvrant pour la paix et l'entraide.
"L'heure est très grave, car nous subissons des atrocités qui ciblent des civils et une violation des droits humains et de toutes les résolutions qui existent pour protéger les populations, s'indigne-t-il. Nous subissons des bombardements qui visent des quartiers et des immeubles où il n'y a que des civils, sur le terrain j'ai vu des familles avec des enfants, des personnes âgées courir dans les rues pour se protéger sans savoir dans quelle direction fuir".
Et d'ajouter : "Depuis que Beyrouth est visée aussi, la peur s'est installée dans les cœurs, et la tranquillité n'est plus de mise aujourd'hui au Liban qui est en train de vivre une situation de terreur, et qu'Israël est en train de piétiner le droit international, sans aucune contrainte, ni morale".
De son côté, le gouvernement israélien justifie sa campagne militaire contre le Hezbollah, qui a ouvert le 8 octobre dernier le front sud "en soutien" au Hamas et à la population de la bande de Gaza, par l'objectif de permettre aux près de 60 000 habitants évacués de zones frontalières avec le Liban de rentrer chez eux.
Un "élan de solidarité national"
Au Liban, où le gouvernement est démissionnaire et les institutions fragilisées, voire parfois paralysées en raison de multiples blocages politiques souvent initiés par le Hezbollah, les ONG et les services de secours sont en première ligne pour gérer cette crise humanitaire. Parfois au sens propre.
"En plus des personnes âgées qui ont besoin de médicaments pour des maladies chroniques et des pénuries importantes dans le secteur de la santé, des ambulanciers et des travailleurs humanitaires sont également visés par des frappes alors qu'ils sont en première ligne pour agir et secourir", déplore Maya Andari.
Plus de 40 secouristes et pompiers ont été tués dans des frappes israéliennes au Liban au cours des trois derniers jours, a annoncé jeudi le ministre libanais de la Santé, Firass Abiad.
"Les attaques contre les soins de santé au Liban ont entraîné la fermeture de 37 établissements, dont 9 soutenus par le FNUAP", a déclaré vendredi le Fonds des Nations Unies pour la population.
Face à une cette situation critique, Melhem Khalaf estime que l'État libanais "n'est pas à la hauteur de cette crise".
"Le gouvernement a failli à ses tâches qui sont d'orienter les déplacés et de prendre toutes les mesures nécessaires pour les aider, déplore-t-il. Certes un État n'est pas une association, mais il a des devoirs, et le gouvernement doit prendre ses responsabilités, surtout dans des circonstances exceptionnelles comme cette guerre."
Mais il préfère toutefois insister sur "l'élan de solidarité national" sur lequel peuvent s'appuyer les déplacés et les ONG.
Dès les premiers jours qui ont suivi l'intensification des bombardements israéliens, des actions caritatives et des initiatives solidaires se sont multipliées sur le territoire libanais afin d'accueillir des déplacés dans des logements privés, ou relayés sur les réseaux sociaux des appels aux dons et des collectes de fonds.
"Il s'agit d'une solidarité du peuple, d'un élan du cœur de la part d'individus, de familles et de jeunes qui se mobilisent, insiste-t-il. Nous sommes [dans la cellule de crise de l'association Offre-Joie, à Beyrouth, NDLR] en train d'agir avec des moyens de guerre, c'est-à-dire dans l'urgence, en pensant aux premiers besoins comme un toit, des matelas et des couvertures. Demain, il faudra imaginer comment agir dans des villages complètement détruits par cette politique de terre brûlée."
Et de conclure : "Il faut imposer un cessez-le-feu, on doit faire appel non seulement à la conscience internationale, mais aussi aux gouvernements pour faire pression afin de faire cesser cette guerre que le pays ne peut pas supporter".