"La réponse est non." Le président américain Joe Biden a été on ne peut plus clair, mardi 1er octobre, lorsque la presse lui a demandé si les États-Unis soutiendraient une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes.
C'est d'ailleurs la seule option de riposte israélienne dont Joe Biden ne veut pas entendre parler. Pour le reste, il a affirmé que "personne n'allait empêcher Israël de répondre" aux 180 missiles que l'Iran a tirés sur son territoire mardi.
Cible prioritaire pour Benjamin Netanyahu
Pas sûr cependant que Benjamin Netanyahu respecte la volonté nord-américaine. Son gouvernement s'est montré dernièrement particulièrement hermétique à tous les appels à la retenue militaire venus de Washington.
Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixSurtout que le programme nucléaire iranien est une cible prioritaire pour Benjamin Netanyahu. Déjà en avril, lors de la précédente salve de centaines de missiles et de drones que l'Iran avait envoyés sur Israël, le Premier ministre israélien avait étudié la possibilité de rétorquer en bombardant les installations nucléaires.
Le gouvernement israélien avait finalement opté pour une riposte a minima, visant seulement les abords d'installations militaires près de la ville iranienne d'Ispahan.
Mais à l'époque, Israël n'avait pas encore le Hezbollah et l'Iran dans sa ligne de mire. Il était alors encore question d'éviter une escalade régionale du conflit pour laisser l'armée israélienne se concentrer sur son objectif à Gaza face au Hamas.
Le contexte a changé depuis. "La situation n'a jamais été aussi propice pour qu'Israël envisage sérieusement de frapper les installations nucléaires iraniennes", a assuré Barak Ravid, spécialiste du Moyen-Orient pour la chaîne CNN.
"L'Iran a clairement la capacité de construire une arme nucléaire s'il le décide et, pour tout dire, il pourrait le faire depuis un certains temps", souligne Tytti Erästö, spécialiste des questions de non-prolifération et de programme de désarmement nucléaire au Stockholm International Peace Research Institute (Sipri).
Si la longueur du délai encore nécessaire pour permettre à Téhéran de se doter d'armes nucléaires suscite un débat entre les spécialistes de la question, Netanyahu, dont le pays fait partie des neuf puissances nucléaires, est obsédé par cette menace.
La volonté d'Israël de frapper à titre préventif
Plusieurs rapports récents publiés aux États-Unis ont pu donner l'impression d'une urgence absolue. Ainsi, l'étude la plus récente, publiée en août 2024 par l'Institut pour la science et la sécurité internationale (ISIS), mentionnait un délai de quelques jours seulement à partir du moment où le régime iranien donnait son feu vert aux scientifiques en charge du programme nucléaire.
En réalité, "il faut distinguer différentes étapes", prévient Darya Dolzikova, spécialiste des questions d'armements nucléaires au Royal United Services Institute (Rusi), l'un des principaux centres de réflexion britanniques sur les questions militaires et de sécurité. La première étape, et la plus rapide, serait d'enrichir suffisamment l'uranium pour pouvoir l'utiliser à des fins militaires. C'est ce cap "qui peut être franchi en quelques jours ou deux semaines tout au plus", précise Darya Dolzikova.
Mais après, encore faut-il construire la bombe. "C'est bien plus complexe et dangereux", note le New York Times, dans un récent article. "On a beaucoup moins de visibilité sur l'état d'avancement en Iran de ce processus qui consiste à fabriquer l'explosif et à le placer sur un missile. Mais on estime que ça prendra encore des mois, voire plus", indique la spécialiste du Rusi.
Ce qui reste un délai assez court. Du moins pour Benjamin Netanyahu, qui a toujours assuré vouloir détruire le programme nucléaire iranien "à titre préventif". Mais "la question est de savoir si Israël peut le faire, et plus précisément s'il peut le faire tout seul, sachant que les États-Unis ne veulent pas en entendre parler", note Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King's College de Londres.
Israël sait certes où les installations se trouvent en Iran. "Leurs emplacements ont été déclarés à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui les surveillent depuis des années", souligne Tytti Erästö.
Mais l'Iran a pris, depuis longtemps, des mesures pour protéger ses sites. D'abord, ils sont dispersés un peu partout sur le territoire iranien. "Pour tout détruire, il faudrait donc une opération militaire de très grande ampleur", assure Darya Dolzikova.
Un nouveau virus pour infecter les réseaux iraniens ?
Ensuite, "une partie des activités a été déplacée sous terre pour les protéger. L'usine d'enrichissement de Fordo [cachée jusqu'en 2009, NDLR], par exemple, a été conçue spécifiquement pour être à l'abri des bombardements aériens", note Tytti Erästö. Natanz, le complexe le plus célèbre du programme nucléaire, dispose d'une partie émergée, et d'un vaste ensemble sous terre relié par des tunnels.
C'est pour ces raisons qu'une attaque semble difficile, d'après les experts interrogés par France 24. "Impossible sans aide américaine", tranche ainsi Ahron Bregman. Les États-Unis "disposent, en effet, d'armement aérien spécifiquement conçu pour pénétrer les bunkers et détruire en profondeur. Et Israël devrait probablement aussi avoir accès à des satellites américains de reconnaissance pour viser les bonnes cibles", explique Christoph Bluth, spécialiste des questions militaires et de non-prolifération nucléaire à l'université de Bradford.
Il n'y a pas que les bombes pour l'Iran de se doter d'une arme nucléaire. Le célèbre virus Stuxnet, utilisé en 2010 contre les machines iraniennes, avait entraîné un retard de plusieurs années dans le programme nucléaire de Téhéran. "Il y a en effet toujours l'option d'opérations plus clandestines comme les cyberattaques", reconnaît Tytti Erästö. Cependant, les Iraniens ont probablement appris de la mésaventure Stuxnet. En outre, "le programme nucléaire est bien plus avancé aujourd'hui, et il n'est pas sûr qu'un virus soit toujours aussi efficace", ajoute Darya Dolzikova.
Même si Israël lançait une vaste opération aérienne, doublée d'un cybersabotage pointu, il faut aussi prendre en compte l'expertise humaine. "Les scientifiques iraniens savent maintenant comment faire, donc détruire physiquement les installations n'arrêtera pas le programmes nucléaires", souligne Tytti Erästö. Il sera tout au plus retardé.
Une opération contre l'Iran qui pourrait contre-productive
L'État hébreu peut toujours prévoir en plus d'éliminer physiquement ces scientifiques. Ce ne serait pas la première fois puisqu'Israël s'en est déjà pris à des experts iraniens de l'atome. Entre 2007 et 2020, sept scientifiques iraniens liés au programme nucléaires ont trouvé la mort.
Exaucer le vœu de Benjamin Netanyahu nécessiterait donc de mobiliser des moyens très conséquents. Sans avoir la garantie de s'être réellement débarrassé entièrement de la menace nucléaire iranienne.
Le plus probable serait même "qu'une telle opération soit contre-productive", estime Tytti Erästö. Pour elle, si l'Iran ne s'est pas encore doté de l'arme nucléaire, c'est essentiellement parce que politiquement, le régime hésite encore à franchir ce pas. "Mais des opérations israéliennes contre son programme nucléaire pourraient le convaincre que la simple menace de se doter de l'arme n'est plus un dissuasion suffisante", craint la spécialiste du Sipri. Pour elle, c'est justement ce risque qui pousse Joe Biden a s'opposer aussi fermement à cette option.