
"Nous souhaitons que [les soldats israéliens] entrent dans le territoire libanais (...), s’ils viennent à nous, qu’ils soient les bienvenus, car ce qu’ils considèrent comme une menace, nous le voyons comme une opportunité historique", avait ironisé Hassan Nasrallah lors d’un discours le 19 septembre. Le dernier du chef du Hezbollah avant son assassinat par l’armée israélienne, 8 jours plus tard, dans le bombardement massif du quartier général souterrain du parti chiite, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Et mercredi 2 octobre, l’armée israélienne a annoncé la mort de huit soldats, les premiers tués dans de violents combats dans le sud du Liban, au lendemain de l’annonce par l’État hébreu "de raids terrestres localisés" dans des villages frontaliers, "contre des cibles et des infrastructures terroristes du Hezbollah".
S’il espérait cette confrontation directe, le mouvement pro-iranien, qui a rouvert le front avec Israël le 8 octobre 2023 – en bombardant le nord du pays, en soutien au Hamas palestinien –, ne pensait pas la mener dans un tel état de désorganisation.
L’élimination de son chef suprême Hassan Nasrallah intervient en effet après la liquidation de la quasi-totalité de son commandement militaire, tandis que les récentes explosions des bipeurs utilisés par les membres du Hezbollah laissent supposer une infiltration en profondeur de ses moyens de communication par les Israéliens.
Intoxiqué par sa rhétorique sur la "victoire divine"
La pression militaire israélienne et les coups subis depuis quelques semaines contraignent le mouvement à revenir, en quelque sorte, "aux fondamentaux" en vigueur au moment de sa création dans les années 1980, avec l’appui financier et logistique de la République islamique iranienne. Quand le Hezbollah était encore une milice islamiste locale spécialisée dans les embuscades et les engins piégés disséminés sur les routes.
"La réorganisation du mouvement, qui cherche encore à reprendre ses esprits, va prendre des mois, voire des années, surtout qu’Israël contrôle son approvisionnement en armes après avoir détruit une partie importante de ses arsenaux et ne laissera pas le Hezbollah accumuler un arsenal tel qu’il l’a fait ces vingt dernières années", indique Christophe Ayad, grand reporter au Monde et auteur de "Géopolitique du Hezbollah" (éditions PUF). "Je pense que le Hezbollah va retrouver une forme plus modeste de guérilla".
"Le Hezbollah, qui a également perdu une grande partie de son commandement dans les frappes ciblées, notamment celui des unités spéciales chargées des drones, va finalement faire ce qu'il sait faire de mieux : de la guérilla au sol, comme il l'a pratiquée dans les années 1980 et 1990, au temps de l'occupation israélienne du sud du Liban et comme il l'a pratiquée en 2006 lors de la guerre de 33 jours qui l’avait opposé à Israël"; analyse le journaliste.
Cette stratégie, explique Christophe Ayad, ne réclame pas de commandement ni de systèmes de communication très sophistiqués.
"Les unités du Hezbollah sont constituées de cellules autonomes qui comprennent tous les corps de métier au sein d'un seul groupe, poursuit-il. Elles sont souvent composées d’hommes originaires du sud du Liban qui connaissent parfaitement le terrain, les caches d’armes et les tunnels, et sont donc tout à fait capables de se débrouiller pour combattre là où ils sont".
Après le conflit meurtrier de 2006, sur le même terrain, les deux camps ont passé les deux dernières décennies à se préparer pour cette nouvelle confrontation.
Mais cette fois, le "parti de Dieu", qui a vu entre-temps ces combattants s’aguerrir en Syrie, en soutien de Bachar al-Assad, ne pourra pas compter cette fois sur l'effet de surprise qui lui avait permis de repousser l’invasion de l’armée israélienne. Ce que Hassan Nasrallah revendiquait à l’époque comme une "victoire divine" contre son ennemi de toujours.
"S’il voit arriver ce qu'il attendait depuis le début, c'est-à-dire une guerre au sol qui soit la répétition de 2006, le Hezbollah semble s’être toutefois laissé intoxiquer par sa rhétorique sur la ‘victoire divine’, en croyant que les événements vont se reproduire à l'identique, estime Christophe Ayad. C’est souvent le problème des vainqueurs, comme la France qui, en 1939, prépare la guerre comme celle de 1914-1918 : en dressant une ligne Maginot qui sera complètement prise à revers".
Selon le journaliste, prix Albert-Londres en 2004, "si l’armée israélienne a échoué en 2006, c'est parce qu'elle croyait pouvoir s'en tirer en menant des opérations contre une petite guérilla. Or, elle s'est retrouvée face à des combattants nettement mieux équipés et mieux entraînés. Et si le Hezbollah a subi des revers extrêmement importants en 2024, c'est parce qu’il pensait répéter la guerre de 2006".
"Une défaite consommée"
"Cependant, les Israéliens, qui disposent d’une supériorité militaire évidente, ont tiré les leçons de leur échec relatif de 2006, souligne Christophe Ayad. L’armée a largement préparé le terrain par des opérations aériennes intensives et des campagnes d’infiltrations des communications. Elle semble aujourd’hui chercher à mener des raids ciblés, et non une guerre d’occupation, comme c'était le cas jusqu’en 2000 [avant son retrait du Sud Liban, NDLR], malgré les rêves messianiques d'annexion d'une partie de l'extrême droite religieuse israélienne".
"Des opérations coup de poing, précise-t-il, destinées à détruire des caches d'armes, des réseaux de tunnels et éventuellement des villages, avec un repli derrière la frontière une fois l'objectif accompli, pour éviter d’offrir son flanc à des embuscades comme en 2006.
L'armée israélienne a diffusé lundi des images de soldats fouillant des caches d'armes du mouvement chiite découvertes, selon elle, dans un village frontalier, dans le sud du Liban.
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Accepter Gérer mes choixSi les deux camps disent mener une guerre existentielle et rêvent d’anéantir l’autre partie, pour Christophe Ayad, le Hezbollah, qui joue sa survie, "ne peut difficilement espérer mieux que de sauver la face en infligeant d’importantes pertes à l’armée israélienne pour la repousser hors des frontières libanaises".
Car la défaite du parti pro-iranien est déjà actée par la mort de Hassan Nasrallah et de quasiment tout l'état-major militaire du mouvement, conclut-il. "Quand le chef suprême se fait tuer avant même le début de la bataille, on peut même dire que la défaite est consommée, alors qu’avant le 7 octobre, il faut se souvenir que le Hezbollah préparait des incursions en territoire israélien pour y semer la terreur. Un an plus tard, il en est très loin".