7 août, 22 août, 27 août, 30 août, 31 août. Durant tout le mois d'août, les pages d'alpinisme sur les réseaux sociaux ont été inondées de vidéos d'éboulements dans les Alpes françaises, en particulier dans le massif du Mont-Blanc, où se trouve le plus haut sommet d'Europe, à 4810 mètres d'altitude.
Mais le 10 septembre, c’est dans le massif d’en face, celui des Aiguilles Rouges, qu’un touriste a capturé une vidéo encore plus spectaculaire. Entre 30 et 40 000 m3 de roches ont dévalé le col d'Encrenaz, une zone généralement épargnée par les chutes de pierres. Cet éboulement pourrait être l’un des plus importants jamais enregistrés à cet endroit. “Le seul historique qu’on ait, pour ce volume-là, dans le massif des Aiguilles Rouges, c’est un événement qui s’est déroulé il y a 10 000 ans”, indique Ludovic Ravanel à la rédaction des Observateurs de France 24. “Il y en a sûrement eu d'autres, mais ils n’ont pas étés étudiés ou enregistrés.”
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Accepter Gérer mes choixAu moins quatre éboulements sous l’Aiguille du Midi en août 2024
Au mois d'août, au moins quatre éboulements ont été filmés à un seul et même endroit : l’Aiguille du Midi, célèbre pour son téléphérique qui, chaque jour, permet à plus de 3000 touristes de monter à 3842 m d’altitude environ, depuis Chamonix.
Nombreux sont les touristes qui s’inquiètent même de l’avenir du téléphérique, qui accueille chaque année plus d’un demi-million de visiteurs. "Le téléphérique de l’Aiguille du Midi est en sursis”, commente ce touriste qui filme un éboulement le 30 août 2024.
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Accepter Gérer mes choix“Les endroits où les éboulements se produisent ne sont pas forcément les plus fréquentés”
Olivier Greber, guide et président de la Compagnie des Guides de Chamonix, est régulièrement témoin de ces éboulements.
Il ne s'en produit pas forcément tous les jours, mais à proximité de l’Aiguille du Midi, il y a eu plusieurs événements relativement importants. Les clients sont toujours très, très surpris.
On entend un gros bruit dans la face nord. Généralement, on voit le nuage de poussière. Et puis on voit les derniers blocs qui roulent, et le nuage finit par se dissiper. Vu la poussière dégagée, c'est souvent un peu difficile d'avoir une idée du volume.
Les endroits où les éboulements se produisent ne sont pas forcément les plus fréquentés. Ça a un impact pour nous, au niveau du métier, mais pour les touristes qui veulent monter à l'Aiguille du Midi, ça n'a que très peu d'impact. La fréquentation de la vallée a été plutôt importante cet été.
Potentiellement, bien sûr, ce sont des événements dangereux. Ce sont quand même des gros volumes qui se détachent. La haute montagne, entre guillemets, a toujours été dangereuse.
On essaie d'être très attentif aux signes avant-coureurs, comme des bruits d'écoulement de sable ou d’eau. On essaie de ne plus fréquenter les zones où l'on voit un signe avant-coureur.
Pour limiter les risques, les guides et alpinistes adaptent leurs pratiques
Les statistiques du PGHM [Peloton de gendarmerie de haute montagne] nous montrent que les secours concernant ce genre d'événements n'ont pas augmenté. Ils représentent environ 2 % des secours depuis des années. Ça veut dire que l'ensemble des alpinistes ont su s'adapter à ces évolutions.
Le métier de guide est un métier sensible à l'évolution des conditions. La haute montagne va rester praticable, mais différemment.
Ce qui nous permet de nous adapter, c'est de changer les saisonnalités. Si on veut faire des courses en mixte [courses sur la roche, la glace et la neige, NDLR], si on veut faire des courses en neige, il va falloir privilégier le printemps.
Il y a également une adaptation géographique. On va dans des zones où, a priori, il n'y a pas de permafrost : les Aiguilles Rouges, la Colombière et les Préalpes.
Il y a des grands classiques, des routes où, à certaines périodes, on doit suspendre l'ascension. Ça peut arriver sur l'Arête des Cosmiques ou dans le couloir du Goûter, pour l'accès au Mont-Blanc. On ne va pas interdire d’y aller, on va simplement suspendre les ascensions, à un certain moment, sur certains itinéraires.
On revient également un peu aux origines du métier, où le guide avait très souvent une deuxième activité. Il y a de plus en plus de guides qui ont une deuxième activité.
“C’est ce qui se passe quand il y a des étés caniculaires”
Ludovic Ravanel est géomorphologue au CNRS. En 2007, il a mis en place un réseau d'observation dans le massif du Mont-Blanc pour suivre ces glissements de terrain. Si le changement climatique a contribué à l'augmentation de ces événements ces dernières années, il estime que l'année 2024 n'est pas la plus mauvaise pour l'instant.
Au-dessus de 2500m sur la face Nord du Mont-Blanc, et 3000m sur la face Sud, les parois sont gelées en permanence. C’est ce qu’on appelle le permafrost. Cet état thermique permet la présence de glace dans les fissures. Ce sont des glaces qui ont plusieurs milliers d’années, elles servent de ciment. Si elles fondent, c’est là qu’on voit des déstabilisations. C’est ce qui se passe quand il y a des étés caniculaires.
En 2022, nous avions atteint un record absolu avec près de 300 événements de plus de 100 m3. Cette année, on a eu moins de déstabilisations. Il y a eu un très fort enneigement cet hiver, qui stabilise les terrains. Et même si les températures ont été relativement élevées en moyenne, il n'y a pas eu d’épisodes caniculaires similaires à ceux de 2022 ou 2023. Nous n’avons pas encore de chiffres précis pour 2024, mais on sera entre 150 et 200 éboulements.
Quant au danger pour les touristes qui visitent l’Aiguille du Midi, le chercheur se veut rassurant.
La zone sous l’Aiguille du Midi est relativement active. Elle est aussi très visible, donc il est normal d’avoir beaucoup d’informations sur ce secteur-là.
Sur la partie médiane, la roche est très fracturée, et se situe dans une tranche altitudinale qui est favorable au dégel du permafrost. Le permafrost se dégrade, et les étés sont de plus en plus secs et chauds, donc il y a un retrait des masses de glaces qui maintiennent la roche.
La construction du téléphérique l’Aiguille du Midi date des années 50. Et c’était une bonne idée de mettre ça là-haut, d’un point de vue sécurité. Au sommet, la température du permafrost est très basse et l’ensemble est stable.
Le fait de monter à l’Aiguille du Midi ne déstabilise pas la roche. Il n’y a aucun impact direct du tourisme, si ce n’est que le tourisme est émetteur de gaz à effet de serre.
Si les touristes ne doivent pas s’inquiéter, ces éboulements pourraient avoir des conséquences plus graves
Ludovic Ravanel souligne toutefois les risques liés à ces événements de plus en plus fréquents.
C’est dangereux. Mais les alpinistes sont particulièrement attentifs. Les guides s'adaptent aussi.
Le problème, c’est qu’on commence à observer des phénomènes qui peuvent produire des risques jusque dans les vallées. C’est ce que l’on appelle des risques d’origines glaciaires et périglaciaires.
En 2017, par exemple, dans le canton des Grisons, en Suisse, 3,1 millions de mètres cubes du Piz Cengalo se sont décrochés et sont tombés sur un glacier. Ça a pulvérisé le glacier qui s’est transformé en eau. L’eau s’est mélangée à la roche, ce qui a provoqué une série de coulées boueuses qui ont atteint le village de Bondeau, à 6 km de là. Une centaine de bâtiments ont été détruits, et huit randonneurs ont été tués.