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Les para athlètes Nantenin Keïta, Charles-Antoine Kouakou, Fabien Lamirault, Alexis Hanquinquant et Élodie Lorand qui embrasent la flamme olympique, le paracycliste Marie Patouillet qui ouvre le bal des médailles françaises, un podium partagé par les frères Alex et Kylian Portal en 400 m nage libre catégorie S13, la joie de Gloria Agblemagnon après sa médaille d'argent en lancer de poids (F20), ou encore celle d'Aurélie Aubert, médaillée d'or à la boccia… Depuis le mercredi 28 août, les images des exploits français aux Jeux paralympiques provoquent la liesse des supporters bleus-blancs-rouges.
Loin du désintérêt craint pendant un temps, l'événement qui se termine dimanche a bénéficié d'une ferveur populaire inédit. Au total, 2,4 millions de billets ont été vendus, selon les organisateurs, et près de 40 millions de personnes ont regardé au moins une minute des épreuves à la télévision, d'après le diffuseur France Télévisions. Du jamais-vu. "L’engouement est assez extraordinaire", s'est ainsi réjoui mardi 3 septembre sur Franceinfo Michaël Aloïsio, directeur général délégué du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (Cojop). "C'est un succès. On a la chance sur ces Jeux de battre un peu tous les records."
Mais alors que le clap de fin des festivités approche, le temps vient de s'interroger sur "l'après". Depuis des années, les organisateurs de l'événement claironnent à l'envi leur ambition de faire de ces Jeux "un moteur de changement sur la perception du handicap" en France. "La révolution de l'inclusion commence ce soir", affirmait Tony Estanguet devant 50 000 personnes le 28 août, lors de la cérémonie d'ouverture sur la place de la Concorde. "La compétition doit permettre de changer de regard, changer d'attitude, changer de société" pour "enfin donner sa place à chacun", insistait-il. Mais après la frénésie des quinze jours de compétition, que restera-t-il vraiment ? Les Jeux peuvent-ils vraiment changer les regards sur le handicap ?
Une visibilité inédite
Jean-Louis Garcia, président national de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), veut y croire. "C'est une chance inouïe d'avoir les Jeux paralympiques ici, en France. Cela a permis un coup de projecteur rare sur le handicap", salue-t-il. "Il y a encore eu des progrès considérables par rapport aux précédents paralympiques. Cela va certainement faire évoluer les mentalités."
Pendant une semaine et demie, les épreuves étaient retransmises en intégralité sur France Télévision, au même titre que les Jeux olympiques, et toutes les grandes chaînes nationales ont fait la part belle à la compétition en multipliant les reportages, débats et interviews d'athlètes. Les téléspectateurs ont donc pu passer leurs journées à suivre les athlètes paraplégiques, amputés, aveugles ou déficients intellectuels dans leur parcours paralympique. Un très fort contraste avec l'absence de visibilité que les personnes en situation de handicap subissent en temps normal à la télévision : en 2022, selon l'Arcom, leur représentation n'atteignait que 1 %.
"S'il y bien une réussite de ces Paralympiques sur laquelle tout le monde s'accordera, c'est qu'ils ont permis de remettre le handicap au cœur du débat public", confirme le sociologue Sylvain Perez, maître de conférences à l'université de Montpellier et spécialiste du paralympisme. "Nous n'avions jamais autant parlé de handicap que pendant ces quinze derniers jours."
"Remettre en question les stéréotypes"
Mais reste ensuite à voir quels effets produira vraiment cette surmédiatisation. D'après un sondage Ifop pour l'association APF France handicap mené fin 2023, 96 % des Français estiment que les Paralympiques permettent de "donner une image plus positive des personnes en situation de handicap". Les Jeux contribuent aussi, pour 86 % des sondés, à "remettre en question les stéréotypes" associés à cette partie de la population, estimée à 7,7 millions de personnes.
De même, dans une étude britannique publiée en 2020, la moitié des personnes interrogées affirmaient que les Paralympiques, édition après édition, leur avaient permis de remettre en cause leurs attitudes concernant les personnes en situation de handicap. Certains assuraient ainsi se sentir plus en confiance dans leurs interactions avec celles-ci.
Pendant la compétition "la performance du para athlète devient le centre de l'attention, au-delà de sa différence", analyse Jean-Louis Garcia. Un souvenir qui pourra se rappeler au spectateur s'il se trouve face à une personne souffrant du même handicap dans la vie quotidienne. "Cela fait vraiment progresser la conscience collective", résume-t-il.
Moins optimiste, le sociologue Sylvain Perez appelle cependant à plus de précautions. "Il est en réalité très difficile de savoir comment cette visibilité accrue est reçue par toutes les franges de la population. Si chez certains, cette abondance d'images peut permettre de briser des stéréotypes, chez d'autres, cela peut les renforcer", insiste-t-il. "Et même si effet il y a, il est difficile de savoir s'il va s'inscrire dans la durée ou rapidement se dissiper."
Des handicaps inégalement représentés
Les Jeux paralympiques, poursuit-il, tendent par ailleurs à montrer le handicap sous le prisme d'un miroir déformant. D'abord, parce que toutes les formes de handicap ne sont pas montrées de façon équitable.
À l'origine une compétition pour blessés de guerre en fauteuil roulant, les Jeux accordent traditionnellement une place prédominante aux handicaps moteurs. Plus de la moitié des sports au programme nécessitent ainsi l'utilisation d'un fauteuil manuel. Au contraire, toute une série de handicaps – auditifs ou cognitifs, par exemple – ne sont pas ou faiblement représentés.
Et cette représentation biaisée peut venir renforcer l'imaginaire collectif : selon le sondage de l'Ifop, pour la majorité des Français, une personne handicapée évolue en fauteuil roulant. Or, en réalité, moins de 5 % des personnes en situation de handicap moteur en utilisent un.
"Les choses évoluent petit à petit dans le bon sens, et les handicaps psychiques sont de plus en plus mis en avant dans la sphère publique", salue Sylvain Ferez, citant notamment la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques, où les organisateurs avaient eu à cœur de représenter l'ensemble des handicaps catégorisés dans la compétition.
"Voir Aurélie Aubert, qui souffre d'une paralysie cérébrale, être acclamée par un public venu très nombreux pour fêter sa médaille d'or au boccia – une épreuve qui d'ailleurs n'a pas d'équivalent chez les valides – montre bien que les mentalités changent", veut de son côté insister Jean-Louis Garcia.
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Accepter Gérer mes choix"Nous souhaitons être considérés comme des personnes normales"
Autre souci : la représentation médiatique des para athlètes peut, elle aussi, venir maladroitement renforcer certains stéréotypes. Les sportifs sont fréquemment présentés comme des "héros", qui "dépassent leur handicap", faisant preuve de "résilience".
Un discours qui peut hérisser les concernés. "Le fait qu'on parle de nous comme des super-héros ne nous aide pas", a par exemple dénoncé le joueur français de basket-fauteuil Sofyane Mehiaoui, mi-août. "Nous souhaitons être considérés comme des personnes normales."
"Pour moi, on fait du sport différemment. Ils [les athlètes valides] ont leurs difficultés, on a les nôtres. On n'est pas des super-héros, on est monsieur et madame Tout-le-monde", insistait de son côté la pongiste Thu Kamkasomphou, médaillée à tous les Jeux paralympiques depuis 2000.
"Cette problématique avait surtout été flagrante à Londres, en 2012, lorsque les organisateurs avaient diffusé un spot publicitaire intitulé "Rencontrez les surhommes" pour tenter d'attirer les spectateurs", explique Sylvain Perez. "Cette communication avait été très mal vécue par les athlètes. Il faut comprendre que ces derniers sont dans une ambivalence constante : ils veulent à la fois être considérés comme des athlètes comme les autres, sans oublier la réalité de leur vie de personne en situation de handicap."
"Si vous nous 'héroïsez', ça va être super grisant pendant onze jours [la durée des Jeux paralympiques, NDLR], mais après vous allez oublier que notre quotidien est loin d'être héroïque. C'est un parcours du combattant pour trouver un logement, on a deux fois plus de risques d'être au chômage quand on est handicapé... Donc cette image de héros peut nous nuire", a ainsi explicité le chef de mission de la délégation tricolore, Michaël Jeremiasz.
Là encore, les choses évoluent dans le bon sens, veut croire Sylvain Perez. "Ces discours se font de plus en plus entendre de la part des athlètes car on leur donne davantage la parole. Et eux sont de plus en plus conscients des enjeux", estime-t-il.
Encore beaucoup à faire pour l’inclusion
Au-delà de cette héroïsation des athlètes, ce qui est important, souligne-t-il encore, "c'est de faire évoluer l'image de l'inclusion". "Les paralympiques nous montrent que l'inclusion et l'accessibilité universelle n'existent pas. Il faut adapter chaque situation à chaque personne."
"Les individus sont en situation de handicap uniquement lorsqu'ils sont empêchés par une incapacité physique et mentale dans une situation donnée", insiste-t-il. "À travers les différentes catégories mises en place dans les épreuves paralympiques, on voit bien que, quand tous les athlètes sont sur un pied d'égalité et dans des conditions adéquates, leur handicap disparaît", résume-t-il. "C'est comme cela qu'il faudrait penser l'inclusion dans la société."
"Il est là, le grand défi de l'après", reprend Jean-Louis Garcia, de l'APAJH. "On a redonné une place centrale aux questions sur le handicap, maintenant il ne faut pas que le soufflet retombe aussitôt les Paralympiques terminés".
Car le chantier de l'inclusion reste immense en France. Si les JO ont permis quelques avancées, la réalité des personnes en situation de handicap reste marquée par de nombreux soucis d'accessibilité, des discriminations à l'embauche, ou encore des soucis de scolarisation.
"Même dans le monde du sport. Aujourd'hui, moins d'une personne en situation de handicap sur deux pratique un sport. Peut-être que les paralympiques en incitera certains à s'y mettre : il faut s'assurer que l'offre suivre, avec des clubs et des entraîneurs prêts à les accueillir dans la durée", insiste Jean-Louis Garcia.
Les Jeux de Londres peuvent ainsi servir d'alerte. Douze ans après, "les conditions de vie des personnes handicapées ont empiré", dénoncent trois chercheurs britanniques sur le site The Conversation, en raison de coupes budgétaires massives dans les chantiers de l'inclusion. "Les sujets liés au handicap ont malheureusement tendance à être des variables d'ajustements. Cela ne doit plus être le cas. Sinon l'effet JO retombera bien vite", conclut Jean-Louis Garcia.