A la veille de la présidentielle, Virginie Herz et Gulliver Cragg ont sillonné l'Ukraine pour comprendre ce qu'il reste de la Révolution orange, ce mouvement qui avait suscité d’énormes espoirs il y a 5 ans. De Lviv l’occidentale à Kharkiv la russophone, ils ont rencontré une population déçue par la politique mais fière de sa culture et de sa nation.
Sur la place centrale de Lviv, capitale de l’ouest, les discussions politiques font rage… La liberté d’expression dans la presse mais aussi dans la rue, c’est un des acquis de la révolution orange, mais parfois ça dérape.
Soudain, sous nos yeux ébahis, c’est la foire d’empoigne : deux papis se retrouvent à terre, l’un d’eux avec un œil au beurre noir et ses lunettes cassées. Après un étrange moment de flottement, l’agresseur – un opposant au président que la foule voulait faire taire– doit prendre ses jambes à son coup. Un étudiant qui a observé la scène propose l’interprétation suivante : les vieux, ne sont pas très habitués au débat démocratique.
Dans le train de nuit vers l’Est, les jeunes apparaissent bien plus pacifiques. Dans les couloirs surchauffés, certains se retrouvent torse nu, bedaine à l’air, une bière ou une vodka à la main. Alex, chauffeur de taxi, lui, demeure plus décent : il veut faire bonne impression aux deux charmantes juristes blondes avec qui il partage son compartiment. Ici aussi on parle d’élection. Le ton du badinage contraste avec certains propos : Elena juriste estime qu’il faut un pouvoir fort et parle même de tsar. Pour elle c’est nécessaire pour redresser le pays et faire diminuer la corruption, qui est un véritable fléau.
La corruption, Aleksander, patron d’une entreprise de métal reconnait qu’elle existe dans la vie quotidienne. Après nous avoir fièrement montré son catalogue de vente, dont chaque deuxième page est une photo de charme, il nous explique que les pots de vin à petite échelle permettent de régler plus vite certains problèmes comme les contraventions sur la route et ça coute moins cher. Mais dans les affaires, il affirme avec un air malicieux ne pas avoir été confronté à la corruption : "Malheureusement, jamais personne ne nous a proposé de valise bourrées d’argent". Son entreprise est l’une des rares qui ne souffre pas trop de la crise economique.
Comme ceux des autres usines, ses ouvriers ont pourtant été confrontés à des baisses de salaires. A Kharkiv, capitale industrielle du pays, certaines entreprises ont dû fermer et de nombreux habitants se sont retrouvés au chômage et doivent se débrouiller avec des petits boulots. Même les plus diplômés.
C’est le cas de Alex qui a décidé de plonger dans l’eau glacée du lac en cette après midi de Saint Basile. Cette tradition est censée purifier le corps et l’esprit. Malgré le soleil, il fait moins 15 degré dehors. Ils sont des centaines à participer joyeusement au rite. En les regardant, l’ami d’Alex s’exclame : "les gens s’amusent et pourtant, on est au plus profond du marasme économique. C’est ça l’âme russo-ukrainienne, l’âme slave !"