Joaquín (pseudonyme) est arrivé à Cancun en avion le 18 mars 2024, avec un visa touristique depuis le Pérou où il était peintre en bâtiment. Mais son objectif, c’est d’entrer aux États-Unis et d’y rejoindre un ami à Miami pour refaire sa vie. Ses enfants sont grands et n’ont plus besoin de son soutien, il est parti seul.
Après de multiples péripéties dont des arrestations par la police mexicaine, un vol de passeport et de multiples trajets en bus, il est finalement arrivé à Monterrey, grande ville du nord du Mexique, à 160 kilomètres de la frontière états-unienne.
“Il y a beaucoup de gens qui sont désespérés et qui tombent sur des arnaques”
Depuis, Joaquín attend. Cela fait plus de cinq mois qu’il a demandé un rendez-vous, fin mars, sur CBP One, l’application mobile créée par les autorités américaines pour gérer les arrivées sur le territoire états-unien. À ce jour, obtenir un rendez-vous par ce biais est, à quelques rares exceptions près, le seul moyen d’entrer légalement aux États-Unis. Le taux de rejet est faible, moins de 5% des demandeurs n'entrent pas aux États-Unis après s'être présentés à leur rendez-vous.
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Accepter Gérer mes choixPour sa sécurité, Joaquín a souhaité garder l’anonymat.
Un ami m’a dit ‘viens, en une semaine ou 15 jours tu auras un rendez-vous, c’est très rapide’ donc sans savoir je suis venu. Quand tu arrives c’est très différent de ce que l’on dit. Il faut beaucoup de chance, les douanes américaines (CBP) donnent les rendez-vous aléatoirement. Donc il y a beaucoup de gens qui sont désespérés et qui tombent sur des arnaques, ils payent 500 dollars, 300 dollars, pour que quelqu’un avance leur rendez-vous. Mais ce sont des mensonges, les seuls à gérer les rendez-vous ce sont les douanes américaines.”
Effectivement, de nombreux internautes se sont engouffrés dans la brèche créée par l’incertitude de l’attente et proposent des services frauduleux à quiconque les écoutera : demande de rendez-vous basée sur des statistiques et prise de rendez-vous personnalisé depuis le nord du Mexique pour les personnes qui souhaitent rester dans leur pays.
Car l’application géolocalise les demandeurs : ils doivent se trouver dans la partie nord ou centrale du Mexique pour postuler. Depuis le 23 août, ce critère a été élargi aux provinces de Tabasco et Chiapas dans le sud du pays.
Cette obligation de localisation a notamment contribué à la création de camps de fortune où les demandeurs attendent leur rendez-vous parfois pendant des mois.
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Accepter Gérer mes choixD’autres louent des chambres à des prix exorbitants, dénonce notre Observateur Joaquín :
Je paye 4 080 pesos par mois, c’est presque 200 dollars donc énormément d’argent pour moi. Je dois travailler pour payer cela et pas seulement, à Monterrey la vie est chère, la nourriture est chère et je dois mettre de côté pour l’appartement.
Je ne sors presque pas, il faut que je fasse attention à moi, il y a beaucoup d’insécurité à Monterrey, beaucoup d’enlèvements et beaucoup de choses qui peuvent arriver aux migrants."
“À la place d’un Mexicain, des gens emploient deux Haïtiens pour le même coût”
À Mexico, ces camps ont créé des tensions avec les habitants de la capitale, explique Eunice Rendón, coordinatrice de l’association d’aide aux migrants Red Viral. En cause, l’absence de politique de transition adaptée aux personnes dans l’attente qui favorise les abus et crée un terreau fertile à la xénophobie.
“Beaucoup de personnes avec qui nous parlons disent qu’à la place d’un Mexicain, ils emploient deux Haïtiens pour le même coût. Cela crée de l’abus envers les migrants et génère aussi de la xénophobie et du racisme. Donc il est urgent que la ville de Mexico et le gouvernement national mettent en place une politique qui permette que les personnes qui sont au Mexique, et qui vont rester ici entre 5 mois et un an, puissent travailler dignement et légalement, d’abord pour pouvoir payer des impôts et contribuer à l’économie du pays, mais aussi pour sortir des cercles d’abus et d’illégalité.”
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Accepter Gérer mes choix“Sur le chemin, ils peuvent être extorqués et abusés sexuellement.”
L’allègement du critère de la localisation est une avancée, mais les obstacles restent nombreux. Ari Sawyer, chercheuse et auteure d’un rapport pour Human Rights Watch sur CBP One, a détaillé aux Observateurs les risques auxquels les migrants sont exposés lors de leur déplacement vers les postes-frontières.
Il est très difficile de se déplacer au Mexique car les cartels ciblent les migrants pour les extorquer. Une fois arrivées dans le sud du Mexique, certaines personnes peuvent se cacher et chercher à travailler sans permis pour mettre de l’argent de côté en vue de leur voyage dans le nord. Dans tous les cas ce voyage est dangereux car sur le chemin ils peuvent être extorqués et abusés sexuellement. Au Mexique, la frontière est presque plus sûre que le reste du pays."
Ces situations d’incertitude et de vulnérabilité participent également à la prolifération du crime organisé dans la région, rappelle Ari Sawyer.
Plus il y aura de migrants non-mexicains qui seront forcés d’attendre au Mexique, plus ils seront vulnérables face aux tentatives d’extorsion et d’enlèvements des cartels. Ils [les cartels] savent que la plupart de ces gens ont de la famille aux États-Unis. C’est un processus systématique : ils les kidnappent, prennent leur portable, cherchent un numéro américain et les appellent pour leur demander une rançon."
Au total, 1 450 rendez-vous sont attribués chaque jour, un nombre que les États-Unis n’ont pas augmenté lors des dernières modifications du système. Une situation qui ne changera probablement pas dans les prochains mois, alors que l’immigration qui s’est invitée comme l’un des sujets les plus sensibles de la campagne pour l’élection présidentielle.