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"Nous n'avons plus rien dans ce monde, sauf notre fille" : une jeune mère raconte sa vie à Gaza
En novembre 2023, Shorouq a témoigné auprès de France 24 des défis auxquels sont confrontées les femmes enceintes à Gaza, entre la menace constante des frappes aériennes, les pénuries de nourriture et le manque soins médicaux. Huit mois plus tard, nous lui avons demandé comment elle et sa famille parviennent à survivre dans l'enclave dévastée au bord de la famine.

Lorsque France 24 s'est entretenu avec Shorouq en novembre, elle était enceinte de son premier enfant et vivait dans un abri à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Deux mois plus tard, elle a accouché par césarienne dans un hôpital. Elle assure avoir eu "beaucoup de chance" de recevoir une anesthésie rachidienne même si dès le lendemain, elle a été contrainte de fuir à Rafah pour échapper à l’intensification des combats.

"J’ai tenté dans quatre cliniques dans l'espoir que quelqu’un puisse me retirer les points de la césarienne. Mais je n’ai trouvé personne", raconte-t-elle. "Alors ma mère a retiré les points pour moi. Nous n’avions pas d’autre choix."

"Nous n'avons plus rien dans ce monde, sauf notre fille" : une jeune mère raconte sa vie à Gaza

Shorouq n’a reçu aucun soin postnatal, soit la période de six à huit semaines qui suit l’accouchement. Pour une césarienne, ces soins auraient consisté à retirer les points par un professionnel à l’aide d’instruments stériles et à surveiller la cicatrisation pour éviter une infection.

"Avant le conflit, les mères à Gaza pouvaient accéder à des soins de base", souligne Hiba Alhejazi, de l’organisation humanitaire CARE International. "Par exemple, elles avaient accès à des hôpitaux où elles pouvaient faire peser leur bébé et faire contrôler certains indicateurs de santé".

Une recherche publiée en mai par l’organisation non gouvernementale palestinienne Juzoor, un partenaire de CARE International, a révélé que deux tiers des mères gazouies interrogées – toutes ayant accouché pendant le conflit actuel – n’ont reçu aucun soin postnatal.

"Mon bébé souffre énormément"

Après Khan Younès et Rafah, Shorouq a dû fuir à nouveau les combats. Elle vit désormais dans une tente au centre de Gaza, sous la chaleur accablante de l'été. "En tout, j’ai dû fuir sept fois", résume-t-elle.

Tous les vêtements et jouets qu’elle avait soigneusement choisis pour son bébé pendant sa grossesse ont été perdus.

"On nous a dit que notre appartement a été complètement détruit. En ce moment, il ne nous reste plus rien dans ce monde, sauf notre fille."

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Shorouq a dû arrêter d’allaiter sa fille lorsqu’elle avait trois mois. Elle n’avait pas assez de lait maternel parce qu’elle ne pouvait pas accéder à suffisamment de nourriture ou d’eau pour elle-même afin de maintenir une production régulière.

Elle nourrit maintenant sa fille au biberon, mais parfois elle est obligée de préparer le lait avec de l’eau dont elle ne peut garantir la qualité.   

"Nous achetons de l’eau purifiée pour notre fille quand nous le pouvons, mais cela coûte cher et nous ne la trouvons pas toujours, donc nous devons utiliser de l’eau recyclée", explique-t-elle.

L’eau insalubre a donné des parasites intestinaux à sa fille. "Mon bébé souffre énormément au ventre, elle pleure beaucoup. On peut voir qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans ses selles, son sommeil est perturbé et elle ne se repose jamais, elle est mal à l’aise et souffre", déplore Shorouq.

Désespérée, elle a essayé 13 pharmacies avant de réussir à obtenir les antibiotiques dont sa fille a besoin. Elle s’attend à ce que les antibiotiques fonctionnent, mais sait que les parasites reviendront si elle ne peut pas trouver régulièrement de l’eau salubre pour sa fille.

"Tout ce que je demande, c’est qu’elle se rétablisse et qu’elle ait une bonne santé. Je prie pour elle chaque jour", dit Shorouq.

"Les installations de traitement de l’eau sont en panne", explique Alhejazi. "Les eaux usées se répandent partout. Nous sommes en été, donc il fait chaud, ce qui augmente évidemment le risque de déshydratation. Le manque d’accès à de l’eau propre est un problème constant. Et c’est aussi pourquoi vous voyez la propagation de tant de maladies infectieuses".

"Cette guerre nous a épuisés"

Selon l'ONU, 5 500 femmes accouchent chaque mois à Gaza, soit environ 180 par jour.

Pendant et après leur grossesse, elles doivent également surmonter le stress et la peur causés par les frappes aériennes, le vol des hélicoptères et des drones juste au-dessus de leurs têtes.

Israël a lancé une offensive militaire sur Gaza après que le Hamas a attaqué le sud d’Israël le 7 octobre, tuant près de 1 200 Israéliens et étrangers et prenant plus de 250 personnes en otage. Selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas, près 40 000 personnes ont été tuées depuis le début du conflit et près de 90 000 blessées.

"Je souhaite que cela se termine ; nous sommes vraiment fatigués. Cette guerre nous a épuisés", confie Shorouq. "Nous sommes des gens forts à Gaza, mais même les gens forts comme le fer sont fatigués. Aucun de nous ne sait quand cela se terminera. Chaque fois, ils annoncent qu’il pourrait y avoir un cessez-le-feu, mais rien ne change pour nous sur le terrain."

Depuis une pause de six jours dans les combats à la fin de l’année dernière en échange de la libération de 105 otages, les pourparlers pour un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas semblent au point mort.

Pendant ce temps, Shorouq et sa fille font de leur mieux pour s’en sortir. Mais Shorouq se sent la plupart du temps impuissante.

"Je ferais n’importe quoi au monde pour ma fille", dit-elle. "Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça fait quand votre enfant a besoin d’aide, mais que vous ne pouvez pas l’aider."

Cet article a été adapté de l’anglais par Grégoire Sauvage. L’original est à retrouver ici.