
La VP doit maintenant choisir son VP. La vice-présidente américaine Kamala Harris, propulsée favorite pour devenir la candidate des démocrates après le retrait de Joe Biden dimanche 21 juillet, est très attendue sur le choix de sa ou son colistier.
Elle n’est pas encore officiellement investie pour affronter Donald Trump en novembre, mais les principaux responsables du parti démocrate la soutiennent officiellement, à commencer par le président américain Joe Biden.
"La question centrale pour elle est maintenant de choisir son colistier et de décider quand l’annoncer", assure le chroniqueur politique de CNN. Il n'y a pas de date butoir officiel pour officialiser ce choix, mais il devrait être connu avant la tenue de la convention démocrate qui débute le 19 août.
Colistier rêvé
La course aux prédictions a déjà largement commencé. Josh Shapiro, le gouverneur de Pennsylvanie, Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan, le sénateur de l’Arizona Mark Kelly ou encore le très médiatique ministre des Transport Pete Buttigieg font partie des noms les plus souvent cités par les commentateurs politiques.
Ce très spéculatif exercice de devinettes repose sur différentes lectures de ce qui ferait un parfait colistier pour Kamala Harris. "Il n’y a pas de candidat idéal, mais plusieurs personnalités qui peuvent permettre de contrebalancer certaines des lacunes de l’actuelle vice-présidente", assure Jérôme Viala-Gaudefroy, chargé de cours à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis.
Le colistier rêvé de Kamala Harris devrait "en premier lieu être capable de rapporter des voix dans les États clés où elle est le plus à la traîne", estime de son côté Mitchell Robertson, spécialiste de l’histoire politique des États-Unis à l’University College de Londres.
La nouvelle favorite du camp démocrate pour battre Donald Trump vient de Californie, État dont elle fut sénatrice, "ce qui n’apporte pas grand chose politiquement car c’est un État traditionnellement acquis aux démocrates", rappelle Mitchell Robertson.
Pour lui, il faudrait un colistier issu d’un État clé du Midwest - tel que l’Ohio et le Wisconsin - ou de Pennsylvanie, l’État d’où vient l’actuel président Joe Biden. Autant de territoires qui font partie des principaux champs de bataille électorale de la présidentielle de 2024.
Certes, "l'influence réelle qu'un colistier peut avoir pour remporter un État reste à démontrer", souligne cependant Jacob Maillet, spécialiste des institutions nord-américaines et enseignant à l’université Paris Descartes. Mais, "il faut bien se rendre compte que les élections sont devenues très serrées et tout élément qui peut potentiellement amener même quelques voix va jouer un rôle d’autant plus grand. Surtout si c’est dans des États clés dont la victoire peut dépendre de quelques milliers de votes seulement", précise Jérôme Viala-Gaudefroy.
Être ou ne pas être un gouverneur
Le parfait "Veep" ne doit pas seulement venir d’un État qui compte électoralement. S’il en est le gouverneur, c’est encore mieux. "C'est un avantage non négligeable car cela prouve qu’il sait diriger une administration, qu’il a déjà l’expérience de la bureaucratie", assure René Lindstädt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham. Des qualités qui peuvent se révéler importantes puisque que le VP est censé pouvoir prendre la relève à la tête du pays en cas d’empêchement du président.
Dans le cas de Kamala Harris, un tel profil serait d’autant plus intéressant qu’elle "n’a pas une longue expérience en la matière. Elle a été une vice-présidente plutôt effacée, et avant cela, elle était sénatrice de Californie et avait occupé le poste de procureure générale", énumère René Lindstädt.
Mais des calculs politiciens peuvent aussi rendre l’option d’un gouverneur très risquée. Un gouverneur qui devient colistier entraîne une vacance à la tête de son État et donc une nouvelle élection à l'issue incertaine. Une bonne alternative serait de trouver un sénateur expérimenté et charismatique dans un État contrôlé par un gouverneur démocrate qui est autorisé à nommer le remplaçant du sénateur promu "VP". Ce serait le cas de Mark Kelly, sénateur de l’Arizona, souvent cité tout en haut de la liste des favoris pour devenir le colistier par les experts interrogés par France 24.
S'agissant de la personnalité du colistier, il y a deux options. Il ou elle peut venir renforcer un avantage du candidat principal face à son rival. En l’occurrence, Kamala Harris pourrait être tentée de nommer une femme. "L’un des principaux arguments du camp démocrate face à Donald Trump concerne la défense des droits des femmes [après la décision de la Cour suprême revenant sur la protection du droit à l’avortement, NDLR], et quoi de mieux que d’avoir deux femmes pour mener ce combat, même si c’est ce serait sans précédent", estime Mitchell Robertson.
Mais il y a aussi une approche plus "conservatrice", qui consiste à trouver un colistier complémentaire. Si Kamala Harris est une femme afro-américaine, il faudrait un un homme blanc comme "Veep".
Pour la plupart des experts interrogés par France 24, la piste du colistier caucasien a probablement les faveurs des stratèges démocrates. "Kamala Harris se retrouve un peu à la traîne face à Donald Trump, avec peu de temps, et n’a donc pas vraiment le droit à l’erreur ce qui peut la pousser à choisir l’option la moins risquée", explique Jacob Maillet.
Attention à l'erreur de casting
Autre impact du facteur temps sur le profil du colistier idéal : "il faut quelqu’un capable de marquer rapidement la campagne", estime Jérôme Viala-Gaudefroy. D'où l’importance d’avoir un "récit facile à mettre en scène", affirment les experts interrogés par France 24. Des candidats comme Mark Kelly - un ex-astronaute dont la femme à survécu de peu à un attentat en 2011 - ou Pete Buttigieg - déjà connu pour avoir voulu lui-même être candidat à la présidentielle en 2020 - serait plus facile à "vendre" à l’électorat.
Difficile de trouver un prétendant qui cocherait toutes les cases de ce portrait-robot du parfait colistier. Kamala Harris va probablement se donner un peu de temps pour trancher. D’abord "parce qu’elle ne voudra pas trop voler la vedette à Joe Biden cette semaine. Le président a, en effet, annoncé qu’il expliquerait sa décision de se retirer de la course dans les prochains jours", note René Lindstädt.
Ensuite, "elle doit encore attendre les premiers sondages pour avoir une meilleure idée de la situation et ensuite contacter les candidats qui lui paraissent le mieux placés pour négocier avec eux. Cela peut être très rapide, mais prendra quand même un peu de temps", affirme Jacob Maillet.
Surtout, elle ne veut pas se tromper. "Le choix du colistier est important et peut avoir de vraies conséquences électorales", assure René Lindstädt. Si par exemple, le colistier se fait dominer lors du débat des vice-présidents par J.D. Vance, "l’opinion publique pourra se demander si Kamala Harris est vraiment fiable comme candidate si elle se trompe sur le choix de son colistier", note Mitchell Robertson.
Sans compter qu’un mauvais colistier peut devenir un boulet politique. C’est un peu ce qui s’est passé en 2008 pour le candidat républicain John McCain qui avait opté pour la très droitière Sarah Palin. Ses déclarations controversées - suggérant notamment que Barack Obama avait des connections avec des terroristes - avait fait fuir les électeurs modérés sans mobiliser pour autant les foules ultra-conservatrices.