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Accepter Gérer mes choixSalle des fêtes de Melesse. Dans cette commune de 7 000 âmes à 11 km au nord de Rennes, une vingtaine d’équipes – essentiellement des retraités "du coin" – s’affrontent le lundi 22 avril en début d’après-midi, lors d’un tournoi communal de palet breton. Les palets en fonte raisonnent, les mines sont concentrées.
Parmi les compétiteurs, Louis Boussaud, 93 ans. Grâce à des gestes précis et une belle dextérité, il laisse peu de chance à ses adversaires de marquer des points. Après une heure de jeu, le résultat est sans appel : 12 à 7. "C’est bien Louis, tu as bien tapé !", le félicite son équipier du jour, Pascal Bénis, président du club de palets de la commune. Le nonagénaire acquiesce, sourire aux lèvres. Il faut dire que de l’entraînement, il en a. "J’ai commencé à jouer au palet à l’âge de neuf ans, se rappelle-t-il. C’était pendant la guerre de 1939-1945. À cette époque, il n’y avait aucune activité sportive, évidemment. Alors on jouait à ça pendant les fêtes de famille, le dimanche."
Le jeu du palet breton est apparu en Bretagne après la Première Guerre mondiale et se pratiquait essentiellement dans les fermes, avec le plancher des maisons ou des vieilles portes en bois comme terrain de jeu. Louis Boussaud se souvient : "Le jeudi et le dimanche, il n’y avait pas école. J’allais garder les vaches à la ferme, c’était comme ça à l’époque. Tous les dimanches, avec mes patrons et leurs enfants, on jouait au palet, c’est comme ça que j’ai appris."
À l’âge de 15-16 ans, il commence les tournois. "À l’époque, ça marchait bien les palets", se souvient-il, un brin nostalgique. "J’ai vu des concours de cent équipes, même plus !" Depuis, il n’a jamais vraiment arrêté la compétition. "C’est devenu une passion", explique-t-il avant d’ajouter, sourire en coin : "Et puis, j’ai eu la chance d’être assez doué, on va dire". Preuve en est : il a terminé premier du concours communal organisé à Melesse, où il réside, en février 2023.
Identité bretonne
Le principe du jeu est simple : les joueurs se placent à cinq mètres de la planche en bois d'une dimension de 70x70 cm. Chacun son tour, ils doivent lancer les palets en fonte de 150 grammes au plus près du mètre, l’équivalent du cochonnet à la pétanque. Le palet le plus proche marque le point. La partie se joue en 12 points. Il est possible de jouer en individuel ou en doublette. "Il faut savoir tenir son palet dans la main. Il faut qu’il soit un petit peu incliné pour qu’il se positionne bien sur la planche, explique Louis Boussaud. Tandis que si on le lance à plat, on dépend du hasard."
Au fil du temps, le palet breton – aussi appelé palet sur planche en bois – s’est démocratisé et du matériel spécifique est apparu : palets en fonte, planche en bois de peuplier… Dans les années 1960, des associations se sont formées et de grandes compétitions ont été organisées, notamment à Rennes, berceau de ce jeu traditionnel. La première Coupe de France de palets sur planche en bois a eu lieu en 1968. Une Fédération a même été créé en 2001.
Aujourd’hui, une cinquantaine de clubs la composent, dont la majorité sont implantés en Ille-et-Vilaine. Quelque 250 à 300 compétitions sont organisées chaque année, selon les données du ministère de la Culture. La pratique connaît un regain de popularité depuis quelques années. "Les gens avaient un peu laissé les palets de côté. Et petit à petit, on sent que ça revient, se réjouit Louis Boussaud. Bien sûr que c'est important ! C'est l'identité bretonne."
C’est aussi le constat fait par Colas Mérand, co-président de l’association La P’tite planche, un club de palet breton rennais créé en 2019. "Après la pandémie de Covid, on a observé un vrai engouement autour du palet breton. Les gens ont ressenti le besoin de se retrouver ensemble dehors, de faire des activités en extérieur. Il y a de plus en plus de personnes qui veulent venir s'amuser et découvrir le palet avec nous." Et d’ajouter : "On est clairement fiers de notre culture bretonne, de faire perdurer cette pratique qui se joue depuis de nombreuses années."
"Boire un verre, partager une galette saucisse"
Le club organise des sessions d’entraînement en salle environ trois fois par semaine, et dès le mois de mai, des tournois en extérieur sont proposés aux amateurs de ce sport. "À Rennes, dès les beaux jours, tous les parcs, le Mail François Mitterrand, sont envahis de planches à palet", affirme Colas Mérand.
Ce jour-là, c’est au Roazhon Pub, une guinguette située en face du Roazhon Park (où joue le Stade Rennais), que la compétition se déroule. Une bonne trentaine d’équipes s’affrontent dans la bonne humeur. Moyenne d’âge : 35-40 ans.
"On est venu avec les copains festoyer un peu. C’est plus pour le fun que pour la compet'", s’enthousiasme Gurvan, la quarantaine. Pour lui, le palet est une histoire de famille. "C’est ma grand-mère qui m’a appris, elle y jouait depuis gamine. Elle était agricultrice et entre deux traites de vaches, elle nous faisait jouer au palet. J’avais 5-6 ans, se remémore-t-il. Et aujourd’hui, je joue beaucoup avec toute ma famille."
Comme lui, Karl, 20 ans, est "là pour le plaisir". Le jeune homme, originaire de Rennes, a commencé à jouer l’été dernier avec des amis. "C’est bonne ambiance !", s’exclame-t-il. "Aujourd’hui, il y a du soleil, des bières, et les gens sont cools." La convivialité, c’est le mot d’ordre ici. "Le palet, il est assez indissociable du fait de boire un verre, de partager une galette-saucisse", indique Colas Mérand en pointant le stand installé juste derrière lui.
Convivial, familial et accessible, le palet breton reste malgré tout assez méconnu en dehors de le Bretagne. "On essaie de répandre la bonne parole le plus loin possible", assure le co-président de la P’tite Planche. "On a une branche à Paris, une à Nantes, une à Morlaix…" L’objectif : faire connaître ce sport à travers la France, mais pas seulement. "L'ambition, ce sont les JO. Ça arrivera bientôt, on l’espère."