
La vérification en bref :
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Depuis le 23 juin, de nombreux médias maliens soutiennent qu'Assima Goïta a accusé Paris de "terrorisme économique". Dans un discours prononcé le 22 juin, la France aurait été mise en cause par le président par intérim malien pour avoir "imprimé de faux billets de francs CFA" distribués afin de "nuire à l'économie du Mali".
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Assimi Goïta n'a toutefois jamais visé directement la France dans son discours, prononcé en bambara. Le colonel a critiqué l'action de la Cédéao ces dernières années, qui a notamment prononcé un embargo contre le Mali. Le colonel malien a ensuite affirmé, sans préciser de qui il parlait, que des faux billets avaient été fabriqués et acheminés dans le pays pour déstabiliser l'économie.
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Comme l'ont indiqué trois économistes africains, la France n'aurait "aucun intérêt" à fabriquer de faux billets de CFA : le Mali fait partie d'une union monétaire avec sept autres pays, dont plusieurs sont encore alliés de la France.
La vérification en détails :
La France de nouveau accusée d'ingérence par le Mali ? Depuis un discours prononcé par Assimi Goïta le 22 juin dans un stade de la région de Sikasso au Mali, la France se retrouve mise en cause dans une supposée affaire de mise en circulation de faux billets dans le pays.
"Goïta accuse Paris d’avoir imprimé de faux billets de francs CFA pour nuire à l’économie du Mali", ont ainsi titré plusieurs médias en ligne maliens dès le 23 juin, comme ABamako ou le site malijet.com.
Sur Facebook, ces affirmations ont aussi été reprises par de nombreuses pages très suivies sur l'actualité du continent africain ou de pays voisins du Mali. "La France a imprimé des faux billets de francs CFA pour nuire à l'économie malienne", a notamment affirmé la page Facebook Burkina Actu, suivi par plus de 150 000 personnes.
Un discours qui ne vise pas la France
Mais Assimi Goïta a-t-il réellement accusé la France à ce sujet ? Dans son allocution, le colonel malien y dénonce, en bambara, trois menaces pesant sur le Mali : en plus du "terrorisme armé" et "médiatique", le pays serait aussi sous la menace d'un terrorisme "économique".
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Accepter Gérer mes choix"Cela fait quatre ans que le Mali affronte ce type de terrorisme", annonce Goïta, qui poursuit en dénonçant des mesures prises par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) contre le Mali concernant ses échanges avec la Guinée.
L'organisation économique, qui regroupe quinze pays d'Afrique de l'Ouest, avait notamment sanctionné le pays à la suite de l'arrivée au pouvoir de l'armée malienne en 2020.
Quelques secondes plus tard, Goïta déclare, sans préciser qui il vise : "ils ont fabriqué beaucoup de faux billets. Ils les ont acheminés par voie terrestre deux fois", avant d'affirmer avoir pu intercepter ces opérations et de dénoncer des tentatives de "faire échouer les autorités dans leur quête de souveraineté".
Dénonce-t-il à ce moment-là la Cédéao ? Difficile de le savoir. Néanmoins, à aucun moment Assimi Goïta ne mentionne la France dans ce passage.
De fausses citations
Comment dès lors plusieurs médias maliens ont pu indiquer qu'Assimi Goïta visait la France? Les premiers médias à avoir relayé l'information, de ABamako à Malijet en passant par Maliweb, redirigent tous vers un article publié le 23 juin au matin par la version africaine du média russe Sputnik.
Ce média, régulièrement épinglé pour avoir diffusé de fausses informations, est le premier à avoir annoncé qu'Assimi Goïta avait "accusé Paris d'avoir imprimé de faux billets de francs CFA". Un court article repéré par le compte d'investigation numérique sur X Random_Osint, repris, voire copié-collé par plusieurs médias maliens dans les heures et jours qui ont suivi.

Depuis, plusieurs sites issus de pays voisins du Mali soutiennent aussi que la France a été accusée d'avoir fait circuler de faux billets. Le média Beninwebtv, qui compte plus de 300 000 abonnés sur Facebook, a même publié une fausse citation d'Assimi Goïta dans le titre d'un de ses articles dans laquelle il aurait directement accusé la France d'impression de faux billets.
A l'international, d'autres médias ont aussi repris ces accusations, comme le média indien First Post, régulièrement accusé de relayer de fausses informations.

Pourtant, aucune communication officielle n'a confirmé de telles prises de position. L'Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM), le service audiovisuel malien, qui a diffusé l'entretien en intégralité sur sa chaîne Youtube, n'a par exemple jamais mentionné la France dans sa couverture du discours d'Assimi Goïta.
"Aucun intérêt" pour la France de mener une opération au Mali
Ces dernières années, des saisies de faux billets dans les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont fait partie le Mali, ont bien été réalisées par les douanes des différents pays.

En avril, le Sénégal a par exemple annoncé la saisie de cinq milliards de francs CFA (huit millions de dollars). Même chose au Mali en janvier 2021, où cinq milliards de francs CFA avaient aussi été interceptés.
Mais rien ne permet d'affirmer que la France est en cause, sachant qu'elle n'aurait aucun intérêt à réaliser de telles ingérences sur le plan économique.
"La France tient à préserver le franc CFA et a donc intérêt à crédibiliser cette monnaie", rappelle l'économiste et chercheur sénégalais Demba Moussa Dembelé aux Observateurs.
"Ce serait contre productif pour la France [de mettre en circulation de faux billets] car ce n'est pas dans son intérêt de déstabiliser cette zone monétaire". Ce dernier rappelle que la situation monétaire du Mali est interconnectée avec celles des sept autres pays de l'UEMOA, dont le Sénégal et la Côte d'Ivoire.
"Cette interprétation vient se greffer à la propagande faite par les autorités maliennes", poursuit Carl Grekou, économiste au Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII), interrogé par la cellule Info Verif de RFI. "Mais la France comme les autres pays de la Cédéao n'auraient absolument pas intérêt à vouloir déstabiliser le Franc CFA",
"Le franc CFA possède une parité fixe avec l’euro et la France offre une garantie de convertibilité", a aussi indiqué l’économiste Modibo Mao Makalou au média Jeune Afrique à ce sujet. "Sans compter qu’une telle opération irait à l’encontre des intérêts français et notamment de ceux des entreprises françaises qui travaillent dans la région."
"Les entreprises françaises auraient beaucoup à perdre si les économies de pays comme le Mali, la Côte d'Ivoire, le Sénégal ou le Bénin étaient déstabilisées", confirme Demba Moussa Dembelé.
De faux billets diffusés par la France en Guinée en 1960
Plusieurs médias qui ont relayé les faux propos d'Assimi Goïta font toutefois référence à un épisode réel d'ingérence économique française sur le continent africain : l'opération Persil.
Lors de cette opération, qui date de 1960, le gouvernement français avait en effet tenté de déstabiliser l'économie du pouvoir guinéen nouvellement indépendant, qui venait d'abandonner le franc CFA.
Alors que le président guinéen Ahmed Sékou Touré venait de créer sa monnaie indépendante, le franc guinéen, la France avait mis en circulation de manière massive des faux billets de francs guinéens pour provoquer une forte inflation dans le pays et pousser à l'effondrement de l'économie guinéenne.
Difficile toutefois de comparer les deux situations sur le plan économique : l'économie guinéenne venait de sortir de la zone CFA et fonctionnait en autonomie, contrairement au Mali, dont la stabilité est dépendante des autres pays de l'UEMOA.