L'un des hommes les plus recherchés du monde, Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, a conclu un accord de plaider coupable avec la justice américaine lui permettant de quitter le Royaume-Uni et la prison de haute sécurité proche de Londres où il était incarcéré depuis 2019. Il devrait retrouver la liberté, mercredi 26 juin, après avoir plaidé coupable devant un tribunal des îles Mariannes, territoire américain du Pacifique.
Cet ancien hacker s'est fait connaître en diffusant à partir de 2010 sur la plateforme WikiLeaks, plus de 700 000 documents concernant les activités militaires et diplomatiques de Washington, notamment en Irak et Afghanistan. Ce qui lui vaut d'être présenté comme un champion de la liberté d'informer et comme un lanceur d'alerte.
Ce terme a été inventé en France dans les années 1990 par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny pour désigner une personne ou une entité qui cherche à faire reconnaître, souvent contre l'avis majoritaire, l'importance d'un danger ou d'un risque en lien avec l'intérêt général. Ces sociologues ont importé la notion américaine de "whistleblower" qui existe depuis le XIXe siècle dans le droit américain, tout en la modifiant. Cette dernière est liée à la dénonciation de fraudes commises par des entreprises en lien avec l'État, alors que les lanceurs d'alerte peuvent dénoncer des risques en tout genre.
Bien avant Julian Assange, d'autres citoyens ordinaires ont essayé d'alerter en leur temps sur différents sujets polémiques. D'autres continuent de le faire aujourd'hui. Retour sur ces lanceurs d'alerte qui ont marqué l'opinion et leur époque.
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Henry Dunant, fondateur du CICR
Banquier originaire de Genève, Henry Dunant se trouve en juin 1859 lors d'un voyage d'affaires près de la ville italienne de Solférino, théâtre d'une bataille remportée par les troupes françaises et sardes de Napoléon III face à l'armée autrichienne de l'empereur François-Joseph. Il est bouleversé par l'ampleur des besoins des soldats blessés.
À partir de cette expérience, il écrit un ouvrage intitulé "Un souvenir de Solférino", publié en 1862, dans lequel il propose de créer des sociétés de secours et d'obtenir une protection en droit international des blessés et de ceux qui les assistent. Un an plus tard, il participe à la fondation du Comité international de secours aux militaires blessés, connu aujourd'hui sous le nom de CICR. Grâce à son action et celle de quatre autres Genevois et à un gros travail d'influence auprès des têtes couronnées d'Europe, la première Convention de Genève est ratifiée en 1864.
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Gareth Jones, dénonciateur de la famine en Ukraine
Originaire du pays de Galles, Gareth Jones se rend pour la première fois en Ukraine en 1930. Trois ans plus tard, il y retourne clandestinement et assiste aux conséquences de la famine qui touche la population après la collectivisation forcée des campagnes soviétiques lancé par Staline. Le blé produit dans les campagnes est réquisitionné pour nourrir les travailleurs de l'industrie et les paysans manquent de nourriture. Cette famine connue sous le nom d'Holodomor fera cinq millions de victimes en URSS, dont quatre en Ukraine.
Gareth Jones révèle cette situation dramatique dans un communiqué de presse, ainsi que lors d'une conférence de presse, le 29 mars 1933, puis dans une vingtaine d'articles publiés dans la presse britannique et américaine. Il subit alors une campagne de dénigrement de la part des correspondants des journaux occidentaux à Moscou qui l'accusent d'exagérer les choses. L'opinion publique internationale est alertée, mais ces révélations n'entraînent pas de réaction politique.
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Jan Karski, témoin de la Shoah
Après avoir participé à la défense de la Pologne en septembre 1939 face aux troupes Allemandes en tant que militaire, Jan Karski rejoint ensuite la résistance. Dès 1940, il remet au gouvernement polonais en exil des rapports sur la situation dans son pays. Deux ans plus tard, il visite clandestinement le ghetto de Varsovie et un camp de concentration de la région de Lublin. Les horreurs dont il est le témoin le marquent terriblement.
Parvenu à Londres en novembre 1942, il apporte au gouvernement polonais en exil des preuves de l'extermination massive des juifs par les nazis. Des ministres du gouvernement britannique, et plusieurs membres de la haute administration américaine, dont le président Roosevelt, ont également l'occasion d'entendre le témoignage direct de Jan Karski qui tente en vain d'alerter l'opinion publique.
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Daniel Ellsberg, à l'origine des "Pentagon Papers"
L'ancien analyste employé par l’administration américaine est considéré comme l’un des pionniers du genre. Après avoir alerté des sénateurs, sans succès, ce fonctionnaire fournit en 1971 au New York Times les "Pentagon Papers" : 7 000 documents top secret appartenant au Pentagone révèlent la face sombre de l’intervention américaine pendant la guerre du Vietnam. Il est alors poursuivi par l’État pour "vol, divulgation de secret d’État, conspiration et espionnage", mais les charges portées contre lui sont finalement abandonnées.
Son intervention contribue au retrait des troupes américaines du Vietnam deux ans plus tard. Daniel Ellsberg a été depuis auréolé de plusieurs prix, dont le prix Nobel alternatif en 2006. Le combat de cet homme mort en juin 2023 a également été porté à l'écran par Michael Mann dans le film "The Insider".
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Mark Felt, alias "Gorge profonde"
Pendant le scandale du Watergate, qui aboutit à la démission de Richard Nixon en 1974, Mark Felt était un des responsables du FBI. Pendant trois décennies, les spéculations ont couru sur l'identité de l'informateur du Washington Post connu sous le surnom de "Gorge profonde". Jusqu'à ce Mark Felt révèle en 2005 qu'il était la source de Bob Woodward, journaliste du Post, sur l'implication de la Maison blanche dans l'espionnage des locaux du Parti démocrate dans le complexe immobilier du Watergate, à Washington.
Pendant la campagne électorale présidentielle américaine de 1972, des poseurs de micros avaient été pris en flagrant délit dans cet immeuble. Ce scandale et la dénonciation des obstructions aux investigations du FBI qui ont suivi, également dénoncées par Mark Felt et révélées par le Washington Post, ont conduit, non sans difficulté, à la mise au jour d’un système parallèle d’espionnage et de manipulations établi en toute illégalité par l’administration Nixon.
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Erin Brockovich, en guerre contre la pollution
Ancienne lauréate d'un concours de miss en Californie et mère célibataire de trois enfants, Erin Brockovich se retrouve à travailler au début des années 90 dans un cabinet d'avocat malgré un manque de formation en droit. La jeune femme n'hérite que d'un dossier d'indemnisation immobilière, mais intriguée par des requêtes en soins médicaux sur les mêmes personnes, elle décide d'enquêter. Elle découvre alors des causes probables de pollution par le chrome hexavalent dans les eaux potables, et instruit le dossier de centaines de victimes.
Après un travail acharné, elle leur obtient en 1993 un dédommagement élevé (333 millions $US) auprès de la société Pacific Gas and Electric Company (PG&E) de Californie. Son combat est porté à l'écran en 2000 dans un film de Steven Soderbergh pour lequel l'actrice Julia Roberts remporte un Oscar.
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Irène Frachon, justice pour les victimes du Mediator
Pneumologue au CHU de Brest, la docteure Irène Frachon constate en 2007 des cas d'atteintes cardiaques chez des patients, qui sont ou ont été, traités par le benfluorex, principe actif du Mediator, un médicament très utilisé en France pour servir de coupe-faim dans le traitement du diabète et commercialisé par les laboratoires Servier.
Irène Frachon débute alors une longue étude épidémiologique, qui confirme ses inquiétudes et aboutit au retrait du médicament en novembre 2009 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le nombre de morts est estimé entre 1 300 et 1 800 morts à long terme, selon une étude scientifique rendue publique en 2013. Le 29 mars 2021, les laboratoires Servier ont été reconnus coupables de "tromperie aggravée" et d'"homicides et blessures involontaires".
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Stéphanie Gibaud, dénonciatrice de pratiques d'évasion fiscale
Embauchée en 1999 par UBS France comme directrice de la communication, Stéphanie Gibaud dénonce en 2008 les pratiques d'évasion fiscale et de blanchiment de fraude fiscale en bande organisée d'UBS AG (Suisse), avec la complicité d'UBS France, auprès de l'Inspection du travail puis auprès du procureur de la République.
Licenciée par le géant mondial de la gestion de fortune, la lanceuse d’alerte vit alors des minimas sociaux et s'engage pour soutenir d'autres lanceurs d'alerte. En 2014, elle devient membre fondateur et secrétaire générale de l'association Pila, une plateforme internationale des lanceurs d'alerte. En 2019, UBS est condamnée par le Tribunal correctionnel de Paris à payer un total de 4,5 milliards d'euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal en France entre 2004 et 2012. La cour d'appel de Paris a confirmé en 2021 la condamnation de la banque suisse UBS tout en allégeant à 1,8 milliard d'euros le montant total de cette amende.
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Bradley Manning, devenu Chelsea, auteur des révélations sur la guerre en Afghanistan
Bradley Manning est un ancien analyste militaire de l'armée des États-Unis de nationalité américano-britannique. Il est accusé en juillet 2010 d'avoir transmis à WikiLeaks fondée par Julian Assange des documents militaires classés secret-défense sur la guerre d'Afghanistan, ainsi que des preuves visuelles d'exactions de l'armée américaine pendant la guerre en Irak. Bradley Manning est condamné, le 21 août 2013, à 35 ans de prison. L’ancien miliaire se déclare transgenre au lendemain de sa condamnation et entame des démarches pour changer d'identité et prendre le prénom de Chelsea.
En mai 2017, elle sort de prison, sept ans après son arrestation. Après une nouvelle incarcération en mai 2019 à la suite de son refus de témoigner dans l'enquête concernant WikiLeaks, elle est finalement libérée en mars 2020 au lendemain d'une tentative de suicide.
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Edward Snowden, l'ennemi n°1 de la NSA en exil
Edward Snowden, jeune consultant de la NSA, employé comme administrateur système, apporte de nombreuses révélations sur les programmes de surveillance de masse de l'agence de sécurité américaine en 2013, 2014 et 2015 par l'intermédiaire de journaux comme The Guardian, Washington Post, Der Spiegel ou The New York Times. Il a notamment permis de porter à la connaissance du public, en juin 2013, le système d'écoutes appelé PRISM, lancé en 2007 par le gouvernement américain pour surveiller les données des internautes sur des sites comme Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo!, Skype, AOL et Apple.
Exilé en juin 2013 à Hong Kong, Edward Snowden a obtenu, le 31 juillet 2013, l'asile temporaire en Russie, où il est toujours réfugié et où il a obtenu la nationalité. Edward Snowden est toujours recherché par les États-Unis, où il risque trente ans de prison. Ses révélations ont déclenché une prise de conscience mondiale sur les techniques d’espionnage employées par la NSA.