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Législatives 2024 : pourquoi les activistes ne croient pas au discours féministe du RN
Le président du Rassemblement national Jordan Bardella s'est adressé cette semaine "à toutes les femmes de France", affirmant être engagé pour leurs droits, aussi bien à l'échelle nationale qu'au niveau européen. Son message vidéo a suscité la colère des milieux féministes qui reprochent à l'extrême droite de n'avoir jamais défendu les droits des femmes et appellent à la mobilisation dimanche dans toute la France.

Le Rassemblement national est-il l'allié des femmes ? Alors que les associations féministes se mobilisent ardemment contre l'extrême droite à l'approche des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet prochains, c'est ce dont Jordan Bardella a souhaité convaincre "toutes les femmes de France". Il a assuré cette semaine dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux que la défense de leurs droits est un sujet cher au parti.

"Je serai le Premier ministre qui garantira de manière indéfectible à chaque fille et à chaque femme de France ses droits et ses libertés", promet-il dans cette vidéo, avant de dresser la liste des engagements pris selon lui par le RN en ce sens, et assurant : "En France, la femme est libre et elle le restera".

Le RN est arrivé, le 9 juin, en tête du scrutin des élections européennes, et il espère faire de même lors des législatives anticipées convoquées par le président Emmanuel Macron. Face à cette perspective, les mouvements féministes se mobilisent pour alerter quant aux conséquences que pourraient représenter pour les femmes l'avènement de l'extrême droite au pouvoir. Elles appellent les femmes et leurs allié·es à descendre dans les rues, dimanche 23 juin, pour "sonner des alertes féministes et appeler à faire barrage à l'extrême droite".

Sur les réseaux sociaux, la vidéo publiée par Jordan Bardella a provoqué une vague de réponses et de mises au point de la part de féministes et de défenseurs des droits des femmes. Tous ont accusé le président du RN de manipuler les femmes pour obtenir leur vote.

"Parlons de ce que le RN a vraiment fait pour le droit des femmes, c'est-à-dire : rien", lance par exemple l'influenceuse, podcasteuse et réalisatrice Sally (suivie par 1,2 million de personnes) en préambule d'une vidéo postée sur Instagram.

Comme elle, plusieurs personnalités publiques, associatives ou politiques, se sont appliquées à démystifier les faits avancés par le leader d'extrême droite concernant les points sur lesquels le RN se serait positionné en faveur des femmes. Des femmes par ailleurs de plus en plus nombreuses à voter pour ce parti, si bien qu'il n'existe plus, aujourd'hui, de spécificité de genre dans le vote RN.

Vives réactions et fact-checking

Sous la vidéo de Jordan Bardella, sur Facebook, les commentaires de soutien se comptent par centaines. Leurs auteurs ? Principalement des autrices, qui voient en ce jeune leader d'extrême droite, un "sauveur" pour les femmes.

"Merci Jordan. Pour mes trois filles et mes deux petites-filles, je voterai pour vous", "je serai là, une féministe qui votera pour vous", "pour notre sécurité, nos libertés et une vraie justice, je vote RN", "enfin des paroles pour les droits des femmes (...) il faut consolider ce droit et surtout veiller à l'insécurité, punir très sévèrement (...) et enlever le droit du sol et la nationalité à ceux qui ne respectent pas la France"...

Selon un sondage Ipsos, le RN a gagné plus de dix points dans l’électorat féminin entre le scrutin européen de 2019 et de 2024, passant de 19 % à 30 % (et de 28 % à 32 % chez les hommes). Un sondage Ifop indique, lui, que les femmes ont voté à 32 % pour le RN, devant les hommes (31 %).

À titre de comparaison, Jean-Marie Le Pen avait recueilli 26 % des suffrages masculins lors de la présidentielle de 2002 contre 11 % des suffrages féminins.

Face à cette tendance, militantes féministes et autres opposants à l'extrême droite se mobilisent pour "débunker" la liste des mérites que le RN s'arroge aujourd'hui en matière de défense des droits des femmes.

Début juin, à l'approche des élections européennes, l'ONG internationale de cybermilitantisme Avaaz s’était déjà penchée sur les votes des élus européens du RN durant la dernière mandature sur le sujet des avancées en faveur des droits des femmes. Verdict : soit ils s'y sont montrés hostiles, soit ils se sont abstenus ou absentés.

Le RN s'est ainsi opposé en 2020 à la réduction des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, et à l'accès à l'IVG gratuite et légale en 2021, lui qui, l'année précédente avait déjà voté contre une résolution visant à condamner l'interdiction quasi totale du droit à disposer de son corps en Pologne.

Le RN a également choisi de s'abstenir lors du vote d'un rapport contre le harcèlement sexuel au sein des institutions de l’UE. Quant à la convention d’Istanbul, traité le plus contraignant contre les violences faites aux femmes et la violence domestique, le parti de Jordan Bardella a refusé de la ratifier.

  • Égalité salariale, loi contre les VSS, prolongement du délai de l'IVG, PMA pour les couples de femmes...

Opposition, absence, abstention... Quid au niveau national ? "Jamais, jamais les députés du RN n’ont voté une seule loi, une seule directive pour renforcer l’autonomie économique et l’égalité professionnelle des femmes", fustige Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes dans une vidéo adressée à Jordan Bardella et postée sur X (ex-Twitter).

Fin 2021, les députés RN n'ont en effet pas pris part au vote de la loi Rixain sur l'égalité salariale, alors qu'à poste et temps de travail équivalent, les femmes gagnent en France 4 % de moins que les hommes dans le secteur privé (24,4 % d'écart total, tous temps de travail confondus), selon les chiffres de l'Insee.

En juillet 2023, le Rassemblement national a voté contre la loi renforçant l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.

Aurore Bergé rappelle par ailleurs l'absence de la quasi-totalité des députés RN, dont Marine Le Pen, lors de l’adoption de la loi contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), en 2018. Le seul député présent en séance s'était abstenu.

Reprenant les termes introductifs de la vidéo de Jordan Bardella, le député Renaissance des Hauts-de-Seine, Pierre Cazeneuve, écrit quant à lui : "Je veux m'adresser à toutes les femmes de France. Ne croyez pas aux mensonges du RN et son pseudo-discours féministe. Ils ont voté contre : le prolongement du délai pour l'IVG (de 12 à 14 semaines en 2022, NDLR), la condamnation de la Pologne qui a restreint ce droit, la PMA pour les couples de femmes".

  • Endométriose, soins liés au traitement du cancer du sein, constitutionnalisation de l'IVG...

Selon ce que soutient Jordan Bardella, le RN se serait "battu" et se battrait même "au quotidien" pour les femmes.

Sur la lutte contre l'endométriose, si le Rassemblement national avait en effet initié une proposition de loi afin d'améliorer la prise en charge de la maladie, le parti, taxé d'"opportunisme" par LFI et la majorité présidentielle, avait finalement retiré le texte. Selon le ministre de la Santé Aurélien Rousseau, celui-ci n'apportait rien "au regard des dispositifs qui existent déjà".

Mathilde Panot et Marine Le Pen s'étaient par ailleurs écharpées sur le sujet, la députée LFI du Val-de-Marne rappelant à la députée frontiste son absence lors d'un vote à l'unanimité d'une résolution sur l'endométriose déposée l'année précédente par le parti mélenchoniste.

"Lorsque des propositions de bon sens sont venues d'autre partis politiques, nous les avons votées sans sectarisme et avec l'unique obsession de protéger les femmes", persévère Jordan Bardella, citant particulièrement le vote de la prise en charge intégrale par l'assurance maladie des soins liés au traitement du cancer du sein.

"Ah bon ? Parce que moi ce que j'ai vu, c'est que vous aviez voté contre la prise en charge des dépassements d'honoraires pour les femmes atteintes de cancer", ironise Claire Suco, fondatrice de la marque engagée Meuf (@meufparis), dans une vidéo intitulée "Jordan, les femmes te répondent".

La proposition de loi a en effet été votée à l'unanimité en commission le 22 mai, mais un amendement déposé par Renaissance et voté par les députés d'extrême droite exclut les dépassements d'honoraires, pourtant mentionnés dans le texte initial.

"Parce qu'aucune femme ne doit craindre qu'un jour un seul de ses droits ne soit remis en cause, Marine le Pen a soutenu l'inscription de l'IVG dans la Constitution", défend enfin celui qui lui a succédé à la présidence du RN. Une phrase qui a notamment fait réagir la sénatrice PS et militante féministe Laurence Rossignol, qui rappelle que le groupe RN était en grande partie contre cette décision.

"Bardella ment", écrit-elle sur X, précisant : "31 députés RN n'ont pas voté l'IVG au congrès de Versailles."

En effet, si Marine Le Pen a bel et bien voté, le 4 mars dernier, en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, opérant un revirement par rapport à sa position initiale, sur les 88 députés que compte le groupe RN, 11 ont voté contre, 20 se sont abstenus et 11 étaient absents.

"Ils essaient de faire croire qu'ils ne seraient pas hostiles à l'IVG, mais ils participent constamment à des réunions européennes qui se sont attaquées aux droits sexuels et reproductifs", ajoute la sénatrice auprès de France 24.

Bardella ment. 31 députés RN n’ont pas voté l’IVG au congrès à Versailles. Seuls les députés RN ont refusé d’applaudir Simone Veil. Ils dénoncent les « IVG de confort ».
A BXL ils votent contre les droits des femmes avec leurs amis dirigeants européens, tous hostiles à l’IVG. https://t.co/b2KQpsE2pJ

— Laurence Rossignol (@laurossignol) June 17, 2024

"Tu essaies de justifier ton racisme à travers nos luttes"

Le message de Jordan Bardella s'achève sur la réaffirmation de la lutte contre l'insécurité qu'il lie à la "liberté de chaque femme de France de se déplacer dans l'espace public" et au "contrôle de notre politique migratoire" via l'expulsion des "délinquants et criminels étrangers".

"Ah, donc tu essaies de justifier ton racisme à travers nos luttes. Merci, mais non merci", réagit l'activiste féministe Marion Escot (@punchlinettes) dans la vidéo "Jordan, les femmes te répondent".

"Là, on est vraiment dans de la désinformation", souligne Sarah Durocher, présidente du Planning familial auprès de 20 Minutes, et rappelant que la plupart des violences sexistes et sexuelles ont lieu à la maison et dans l'entourage des personnes".

"Alors que le Rassemblement national met en avant les risques supposés du phénomène migratoire pour les femmes, il est à noter que, contrairement à cette idée reçue, dans plus de 90 % des cas, les victimes de violences sexistes et sexuelles connaissent leur agresseur", écrit en ce sens la Fédération nationale des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) sur X, pointant par ailleurs le fait que le RN n'aborde la question des VSS "que par le prisme sécuritaire, "sans prendre en compte la nécessaire prévention de ces violences".

Alors que le Rassemblement national met en avant les risques supposés du phénomène migratoire pour les femmes, il est à noter que, contrairement à cette idée reçue, dans plus de 90% des cas, les victimes de violences sexistes et sexuelles connaissent leur agresseur.

— Fédération nationale des CIDFF (@CIDFF_) June 18, 2024

Italie, Pologne, Hongrie, Brésil, Argentine... "Dans tous les pays du monde où l'extrême droite est au pouvoir, les droits des femmes, des minorités et des plus vulnérables sont ciblés", mettait en garde sur X la Fondation des Femmes au lendemain des européennes.

Dans ce sens, Marie-Pierre Rixain, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes (qui a donné son nom à la loi sur l'égalité économique et professionnelle) dénonce auprès de France 24 : "Nous savons que les droits des femmes sont un totem pour l'extrême droite, et que ce sont les droits auxquels ils s'attaquent prioritairement lorsqu'ils sont élus".

Législatives 2024 : pourquoi les activistes ne croient pas au discours féministe du RN