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Festival d'Annecy : "Memoir of a Snail" d'Adam Elliot remporte le Cristal du long-métrage
"Memoir of a Snail", d'Adam Elliot a remporté samedi le Cristal du long-métrage du Festival d'Annecy 2024. Entretien avec le cinéaste australien qui avait déjà été consacré en 2009 par le festival.

Et de deux. Adam Elliot vient de rejoindre le club très fermé des réalisateurs ayant remporté deux fois le Cristal du Festival d'Annecy. À 52 ans, l'Australien, déjà oscarisé en 2004 pour son court-métrage "Harvey Krumpet", s'est adjugé samedi 15 juin l'une des plus prestigieuses récompenses du cinéma d'animation grâce à "Memoir of a Snail". En 2009, il avait obtenu une première consécration sur les bords du lac avec "Mary et Max".

Impossible de ne pas reconnaître dès les premières images du film le style et l'univers très singuliers du réalisateur. "Memoir of a Snail" est d'abord un film en stop motion – l'animation en volume – mettant en scène des personnages de pâte à modeler aux traits grotesques mais attachants. La recette a fait le succès d'Adam Elliot depuis ses débuts, il y a trois décennies.

Bande-annonce de "Memoir of a Snail", d'Adam Elliot

L'histoire, elle, revisite les thèmes sombres – mâtinés d'humour – qui hantent tous les films du cinéaste australien : solitude, harcèlement, maladie, mort omniprésente... Le long métrage met ainsi en scène Grace, une collectionneuse d'escargots séparée de son frère jumeau, Gilbert, après la mort de leur père. Rencontre avec Adam Elliot, réalisateur au grand sourire.

France 24 : "Memoir of a Snail", tout comme vos autres films, met constamment vos personnages dans des situations tragiques. Comment faites-vous lors de l'écriture du scénario pour éviter que l'histoire ne soit trop plombante ?

Adam Elliot : Tous mes films parlent en effet de personnes perçues comme différentes, qui sont marginalisées, incomprises... Mes personnages sont juste des gens ordinaires ayant une certaine affliction ou un défaut qu'ils doivent s'efforcer d'accepter. Nous essayons souvent de cacher nos imperfections, et je pense que le message de mes films, c'est d'apprendre à aimer ces imperfections, les nôtres et celles des autres.

Je ne veux surtout pas faire de film sans prendre de risque, sinon le résultat deviendrait ennuyeux. Et lorsqu'une forme d'art devient ennuyeuse, elle meurt. Il faut continuer à écrire des œuvres fraîches, originales, imprévisibles, stimulantes. J'essaie vraiment d'interpeller mon public. C'est vrai qu'il y a beaucoup de moments sombres dans mes films, mais j'essaie de les tempérer et de les équilibrer avec des moments plus légers. Comme le dit l'une de mes citations préférées : "Sans l'obscurité, la lumière n'a pas de sens."

Le rire est souvent un moyen de relâcher la tension. Je mets donc délibérément de l'humour, en particulier après les scènes sombres, de façon à ce que le public ne se déconnecte pas de l'histoire. Je fais beaucoup de brouillons du scénario, il me faut des années pour obtenir le scénario que je veux. Écrire est très difficile et éprouvant, mais il faut passer par là. Une bonne histoire a besoin d'être écrite et réécrite ; cela vaut la peine de souffrir et de se torturer.

L'animation pour adulte s'est beaucoup développée depuis votre dernier long-métrage, "Mary et Max", il y a quinze ans. Pensez-vous que ce nouveau film va toucher un public plus large, malgré des personnages en pâte à modeler qui rappellent plutôt des créations pour les enfants ?

Mes films ont toujours été destinés aux adultes ou à un public mûr. Je fais des films depuis trente ans et j'ai vraiment remarqué, en particulier au cours des dix dernières années, que l'animation pour adultes est de plus en plus appréciée. C'était déjà en partie le cas en Europe et dans des pays comme la France, où l'animation a toujours été considérée comme une forme d'art sérieuse, alors qu'aux États-Unis, elle est davantage destinée aux enfants. Mais cet état d'esprit a changé. Il y a beaucoup plus de films d'animation pour adultes qui sortent, et de grands réalisateurs comme Wes Anderson ou Guillermo del Toro explorent des histoires qui ont un côté plus sombre.

Le recours à l'intelligence artificielle pour produire des films a été au cœur de débats passionnés cette semaine à Annecy. Que pensez-vous de ce nouvel outil, vous qui ne travaillez que de manière traditionnelle ?

L'animation en stop motion, l'animation en pâte à modeler, a quelque chose de magique que l'animation par ordinateur n'a pas. Lorsque le public voit les empreintes digitales sur l'argile, il sait que ce qu'il regarde est quelque chose de tangible, de tactile et de réel. L'IA est déjà en train de tuer certaines formes d'art, de briser des carrières d'artistes. Mais je pense que l'animation en volume ne risque rien pour le moment. Elle connaît même une sorte d'âge d'or, une renaissance. Tout comme la fabrication du pain, le tricot et l'artisanat, qui n'ont jamais été aussi populaires qu'aujourd'hui. Nous passons tous beaucoup trop de temps devant nos tablettes et nos écrans, donc nous essayons de nous éloigner de toute cette technologie numérique et de faire des choses plus humaines. À la fin de mon film, j'ai écrit : "Ce film a été réalisé par des êtres humains" – pour rappeler au public que ce qu'il regarde est fait à la main.

En ce qui concerne l'IA, je suis plus inquiet en tant qu'écrivain qu'en tant qu'animateur. J'ai un ami poète professionnel qui gagne très peu d'argent, juste assez pour survivre, et il est terrifié à l'idée que la poésie générée par IA devienne plus populaire que la poésie humaine. De mon côté, je crois fermement que les gens reviendront toujours aux choses créées par les humains. Ce qui me préoccupe le plus, c'est surtout le vol et le plagiat par l'intelligence artificielle, qui parcourt Internet et pille les idées des gens. Dans mon entourage, des illustrateurs et des graphistes doivent maintenant étiqueter leur travail comme n'étant pas réalisé avec l'IA. Pourquoi devons-nous faire ça ?

Le monde entier se demande si l'IA est une bonne chose. L'IA permettra des avancées merveilleuses en médecine – d'ailleurs elle le fait déjà. Je suis sûr aussi que l'IA nous aidera face au défi climatique. Mais il faut laisser les artistes tranquilles, nous avons suffisamment de problèmes. Nous luttons déjà pour survivre.

Pendant le festival, Michel Hazanavicius et Wes Anderson, deux réalisateurs d'abord connus pour leurs productions avec des acteurs et actrices de chair et d'os, ont souligné à quel point ils n'avait pas eu conscience, avant de s'attaquer à un film d'animation, du travail que ça représentait. Votre activité de cinéaste empiète-t-elle elle aussi sur votre vie personnelle ?

Si vous voulez poursuivre une carrière d'animateur en stop motion, vous devez être pleinement conscient que toute votre vie sera engloutie. Vous avez rarement le temps de faire autre chose, et vous devez faire de nombreux sacrifices, de nombreux compromis. Vous pensez toujours au film, il ne vous quitte jamais. Il faut aussi beaucoup de temps. Ce long-métrage a pris huit ans, du scénario à l'écran.

Je ne ferai qu'une poignée de films dans ma vie et je veux m'assurer qu'ils soient les meilleurs possibles. Ce qui compte pour moi, c'est la qualité, pas la quantité.