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Benny Gantz a tenu parole. Il a démissionné du cabinet de guerre israélien, le 9 juin, après l'ultimatum exigeant l'adoption d'un "plan d'action" sur la question de l'après-guerre dans la bande de Gaza, qu'il avait fixé ce mois-ci à son rival politique, le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
"Netanyahu nous empêche d'avancer vers une réelle victoire. C'est pourquoi nous quittons aujourd'hui le gouvernement d'urgence avec le cœur lourd mais sans regret", a-t-il accusé au cours d'une allocution solennelle à la télévision.
Le départ du centriste, ministre sans portefeuille et membre du cabinet de guerre créé quelques jours après l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas en Israël, et celui de son allié politique de premier plan, Gadi Eisenkot, sont un coup dur politique et militaire pour le Premier ministre.
D’autant plus que le populaire ancien chef d’état-major a affiché ses ambitions politiques en appelant à la tenue d'élections anticipées alors que les manifestations demandant la démission du gouvernement Netanyahu se multiplient.
Quelles peuvent être les conséquences politiques de cette démission ? Quel impact aura-t-elle sur le cabinet de guerre et la conduite de la guerre à Gaza ? Réponses avec David Khalfa, codirecteur de l'Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, observateur avisé de la scène politique israélienne.
France 24 : Benny Gantz et Gadi Eisenkot incarnaient une sorte de caution centriste au sein du cabinet de guerre de Benjamin Netanyahu. Dans quelles mesures leurs départs affaiblissent le Premier ministre ?
David Khalfa : Au fil des ans, les fans et les sympathisants de Benjamin Netanyahu avaient pris l’habitude de le surnommer 'Bibi, le roi d'Israël'. Mais désormais, après le départ des centristes, il est comme un roi nu en se retrouvant seul face à ses contradictions, et plus que jamais dépendant de son alliance avec ses ministres d'extrême droite Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Sans l’extrême droite, il n'a pas de majorité et avec elle, il est obligé de composer avec des ministres qui, certes, n'ont pas voix au chapitre au cabinet de guerre, mais qui sont des trublions démagogiques, qui ne sont jamais à la peine pour tirer à boulets rouges sur l'état-major israélien, lui reprochant une riposte qui serait trop mesurée face au Hamas. Cette même extrême droite qui ne cesse de menacer Netanyahu et sa coalition de quitter le navire si d'aventure, il y avait une cessation des hostilités.
L'entrée de Benny Gantz et Gadi Eisenkot dans le gouvernement et dans le cabinet de guerre avait justement permis de contrebalancer l'influence des extrémistes. Ils étaient également les interlocuteurs privilégiés de l'administration Biden qui les considérait, comme disent les Américains, comme ‘les adultes dans la pièce’, c'est-à-dire comme des personnalités politiques responsables et pragmatiques. Les deux anciens chefs d’état-major partis, le Premier ministre se retrouve donc seul face aux pressions internationales qui iront crescendo s'il n'y a pas d’accord de cessez-le-feu.
Quelles peuvent en être les conséquences sur le cabinet de guerre ?
Je ne pense pas que l'on va assister à une radicalisation de la coalition ou du cabinet de guerre. La méfiance entre Benjamin Netanyahu et ses alliés d'extrême droite est au plus haut. Il n’y a quasiment pas de dialogue entre eux. Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich ne cessent de le défier par médias interposés et de le menacer. Le Premier ministre n’a aucune confiance en eux, et ce, à plus d'un titre. Il les considère à la fois comme des clowns avec lesquels il doit composer et de dangereux irresponsables à qui l’on ne peut pas confier les destinées de l'État dans une situation aussi complexe géopolitiquement. Il va probablement démanteler ce cabinet de guerre et créer un forum ad hoc composé de personnalités de confiance et bien sûr des chefs des services de renseignement civil et militaire et du chef d'état-major, qui vont se réunir de façon informelle sous son autorité pour prendre les décisions les plus importantes, notamment sur la stratégie à Gaza. Il y aura bien entendu parmi elles le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui va continuer à jouer le rôle de garde-fous que Benny Gantz et Gadi Eisenkot ont joué.
Quel impact cela peut-il avoir sur la guerre en cours à Gaza et sur l’éventualité d’un conflit ouvert avec le Hezbollah libanais ?
Benjamin Netanyahu craint par-dessus tout une nouvelle aventure militaire qui pourrait se solder par un échec. Il est donc difficile de l’imaginer aller vers une guerre totale avec le Hezbollah, même si les choses peuvent lui échapper. En revanche, cette nouvelle donne va renforcer le poids de ceux qui considèrent qu'il faut continuer la guerre dans la bande de Gaza. Benjamin Netanyahu lui-même n’a pas intérêt à y mettre un terme pour des raisons politiques, notamment parce qu'il sait que plus cette guerre dure, plus le lancement d'une commission d'enquête nationale sera compliqué à mettre en œuvre. Une enquête qui sera probablement accablante s'agissant de sa responsabilité dans la débâcle du 7 octobre. Et donc évidemment à la fois pour des raisons politiques, et qui ont trait à sa situation personnelle, notamment à ses déboires judiciaires, et sa dépendance désormais croissante vis-à-vis de l'extrême droite, sa marge de manœuvre politique se trouve réduite. Son espace politique se rétrécit aussi et se dérobe sous ses pieds. Et je pense que c'est précisément ce qu'a essayé de faire Benny Gantz en quittant la coalition.
La poursuite de la guerre à Gaza ne retarderait-elle pas également la perspective d'organiser des élections législatives anticipées, comme le réclame Benny Gantz ?
Rien n’oblige Benjamin Netanyahu à organiser des élections. Il lui reste officiellement deux ans et demi de mandat pour exercer son pouvoir. Mais je doute qu’il survive politiquement à ces deux ans et demi au vu de la colère et des manifestations de plus en plus conséquentes ces dernières semaines appelant non seulement à la libération des otages retenus à Gaza, mais aussi à la démission de son gouvernement. Il y a une demande insistante et pressante de l'opinion publique qui attend une nouvelle offre politique, une nouvelle donne politique et une enquête pour établir les responsabilités après le 7 octobre.
Or il y a une volonté très claire chez Benny Ganz de créer, avec sa démission, un effet de blast, de revigorer l'opposition à Benjamin Netanyahu. Son pari c'est que ce départ lui permettra de tracer son propre sillon politique et lui évitera d’être contaminé par le bilan désastreux du Premier ministre et de sa coalition. Il a probablement estimé que c'était le bon moment de quitter un navire qui était en train de couler à ses yeux.
Peut-on imaginer Benjamin Netanyahu profiter de ce momentum politique pour signer un accord de cessez-le-feu à Gaza, ce qui ferait chuter sa coalition gouvernementale, et pour appeler les Israéliens aux urnes, pour se débarrasser de ses alliés extrémistes ?
C'est tout à fait possible. Benjamin Netanyahu est certes un nationaliste, un populiste, mais il est avant tout un politique, un homme politique très expérimenté. Il peut estimer au fond qu'il est capable, sur une campagne électorale, de renverser la vapeur. Après tout, il a remonté la pente à plusieurs reprises dans sa carrière alors même que on l'estimait politiquement mort. Donc il n'est pas exclu qu'il tente ce coup de poker risqué, la dynamique actuelle étant favorable à l'opposition. Mais celle-ci est morcelée et comprend plusieurs têtes d'affiche. En plus de Benny Gantz bien sûr, il y a aussi les anciens Premiers ministres Yaïr Lapid et Naftali Bennett, mais aussi Yoav Galant. Son propre ministre de la Défense pourrait être tenté d’incarner une droite… anti-Netanyahu.
Et donc Benjamin Netanyahu risque tout de même de rassembler contre lui une nouvelle coalition hétéroclite de formations politiques et de personnalités dont les trajectoires et la culture politique sont dissemblables mais dont l'objectif sera commun : débarrasser Israël de l'ère Netanyahu. Et depuis le 7 octobre, cette demande se fait plus pressante et plus urgente que jamais. Donc il est possible de voir le Premier ministre prendre ce risque, parce qu’il est dans une situation passablement compliquée tant il lui sera de plus en plus difficile d’écarter ses alliés d’extrême droite des décisions les plus stratégiques.