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En Espagne, l’ascension du parti d’extrême droite Vox freinée à la veille des élections européennes
De notre correspondante à Madrid – Vox, le parti ultra-nationaliste et conservateur espagnol qui polarise la vie politique depuis des années, se présente en mauvaise posture aux élections européennes du 9 juin. Après une ascension fulgurante, quelles sont les raisons de son essoufflement ? Analyse.

Une marée de drapeaux espagnols et des milliers de bannières Vox… Dans le Palais de Vistalegre à Madrid, près de 11 000 partisans de la formation d’extrême droite se sont réunis, dimanche 19 mai, pour la convention Europa Viva 24. Dans ce même lieu, il y a six ans, Vox avait réalisé sa première grande mobilisation.

À la tribune, le leader du parti, Santiago Abascal, martèle son message : "Nous voulons une Europe des patriotes, plus sûre, plus prospère et plus libre !"

Santiago Abascal a reçu le soutien du président argentin Javier Milei et de la Première ministre italienne Giorgia Meloni. Des dirigeants dont il partage l’idéologie, notamment celle du mouvement Fratelli d’Italia qui fait partie des "Conservateurs et réformistes européens" (CRE), le même groupe que Vox au Parlement européen. Comme le parti au pouvoir à Rome, Vox est passé de marginal à incontournable en seulement 10 ans d’existence.

Dimanche 19 mai, outre le président argentin et la Première ministre italienne (présente par visio-conférence), Marine Le Pen s’est rendue à Madrid. La présidente française du Rassemblement National (RN) à l’Assemblée Nationale, a apporté son soutien à Santiago Abascal : "Vox incarne le mouvement patriotique espagnol sur lequel nous pouvons compter pour relancer l’Europe", a-t-elle lancé à la foule.

En Espagne, l’ascension du parti d’extrême droite Vox freinée à la veille des élections européennes

Fondé en décembre 2013, le programme de Vox repose principalement sur la défense de la souveraineté des nations européennes et sur la protection des frontières. Ce parti est né d’une scission avec le Parti Populaire (PP), la droite espagnole, les fondateurs de Vox reprochant alors au PP au pouvoir de se montrer trop complaisants et faibles face aux revendications indépendantistes catalanes. 

La tentative de sécession de la Catalogne, menée par l’indépendantiste Carles Puigdemont en 2017, a provoqué une forte réaction nationaliste dans l’opinion publique dont Vox a su se faire le porte-voix.

Des accords avec la droite dans plusieurs régions

Cette formation est devenue la troisième force politique au Congrès (la chambre basse espagnole), après avoir obtenu ses premières victoires sur le terrain régional. En décembre 2018, Vox réalise son premier coup d’éclat aux élections du parlement régional d’Andalousie. Le parti obtient 11 % des voix et 12 sièges. Grâce à son soutien, le PP a pu ravir ce fief au Parti socialiste.

Quatre ans plus tard, en mars 2022, le parti d’extrême droite entre pour la première fois dans un gouvernement régional, en coalition avec le PP : celui de la Castille-et-Léon. Vox obtient alors la vice-présidence de la région et trois postes de conseiller : industrie, agriculture et culture. Depuis, les deux partis ont scellé une alliance de gouvernement dans quatre autres régions sur les dix-sept que compte le pays : Valence, Estrémadure, Aragon et Murcie.

"C’est normal que Vox se concentre sur les régions car l’Espagne donne des compétences très importantes aux autonomies régionales", analyse la politologue Maria Elisa Alonso. Les soutiens de Vox viennent souvent de secteurs traditionnels : les défenseurs de la tauromachie, les agriculteurs… "Avoir les compétences de la culture, de l’agriculture, des questions sociétales d’une région, ça peut vraiment permettre de gérer une communauté toute entière", précise l’enseignante chercheuse à l’université de Lorraine.

Un avis que partage Pablo Simon, politologue spécialisé dans les partis et les systèmes électoraux. "En fonction de ce qui se passe dans les élections régionales, ça change au niveau national, donc les élections régionales ont plus d’enjeu en Espagne que les élections européennes. Ces élections régionales permettent de savoir si le gouvernement va pouvoir continuer ou non."

Outre les cinq régions sur dix-sept où le PP et Vox ont scellé une alliance de gouvernement, les deux partis sont aussi parvenus à des accords dans une dizaine de villes d’importance dans le pays et ces pactes ont suscité de nombreuses critiques, notamment à gauche. Santiago Abascal, le leader du parti, est coutumier des discours réactionnaires, antiféministes, et procatholiques.

Pour le PP, cette alliance est stratégique. "Les deux partis sont divisés. Souvent, la droite aime bien rappeler qu’elle n’est pas Vox. Et en même temps, c’est assez paradoxal mais elle a besoin de Vox car elle n’a pas d’autres soutiens. Sans Vox, la droite ne pourrait sans doute pas gouverner."

Un parti en perte de vitesse

Malgré la progression de l’extrême droite en Europe, Vox, tout en étant le troisième parti du pays, se situe loin derrière les historiques Parti socialiste espagnol (PSOE) et PP. Il a même connu un coup d’arrêt aux dernières législatives, en juillet 2023.

La formation de Santiago Abascal est sortie très fragilisée de ce scrutin national, son troisième revers (et le plus cinglant) après les élections régionales andalouses de juin 2022 et les municipales du 28 mai 2023 où le parti n’avait récolté que 7 % des suffrages.

Avec la perte de 19 députés, Vox est passé de 52 à 33 sièges, soit 12,3 % des voix (contre 15,08 % dans le congrès précédent). Un recul qui a empêché la constitution d’un bloc des droites. Ces élections législatives marquent un échec et surprend les analystes.

Le PP remporte le scrutin, en terminant avec le plus grand nombre de députés (136) devant le Parti socialiste (122) qui parvient finalement à rester au pouvoir. Beaucoup en Europe voyaient l’Espagne emprunter le chemin de l’Italie, de la Suède ou de la Finlande avec l’avènement d’une coalition entre la droite et l’extrême droite.

Sam van der Staak, directeur du programme Europe pour le think tank International Idea, explique l’échec de Vox par la radicalité de son discours. "Les partis européens de la droite radicale essaient de modérer leurs discours pour séduire un électorat plus large et se présenter comme une alternative crédible aux formations traditionnelles." Une stratégie ignorée par le parti Vox.

En France, le Rassemblement National est un bon exemple de cet "adoucissement du discours". Pour Pablo Simon, les deux partis ne peuvent pas être comparés : "Vox est plus semblable à l’extrême droite polonaise ou hongroise, plus réactionnaire comme le parti Reconquête d’Eric Zemmour en France. Le Rassemblement National aspire à diriger la France. Vox n’est pas dans cette optique en Espagne. Il n’a donc pas besoin de s’adoucir. Il veut, au contraire, marquer sa différence avec la droite traditionnelle."

La déconvenue du PP et de Vox marque une spécificité politique de l’Espagne. Le constat est sans appel : la convergence idéologique à l’œuvre dans le nord de l’Europe ou en Italie a plus de mal à fonctionner dans le pays de Cervantes.

"Le phénomène Vox est assez tardif par rapport au reste de l’Europe, rappelle Pablo Simon. Vox va bien quand le PP va mal et vice et versa. C’est un phénomène assez spécifique à l’Espagne. Ils ont besoin l’un de l’autre mais la ligne radicale et outrancière de Vox met souvent le PP dans l’embarras."

Une quinzaine de jours après les élections législatives, le parti semble vaciller en interne. Le porte-parole de Vox au Congrès des députés, Ivan Espinosa de los Monteros, présente sa démission. Deux jours plus tard, son successeur, Juan Luis Steegmann, lui emboîte le pas. La presse espagnole s’empresse d’ausculter un parti rongé par les divisions. Elle conclut à une victoire d’un courant idéologique sur un autre : celui de la branche ultra-conservatrice du parti sur celle plus libérale et proche du PP.

Cette déconvenue du PP et de Vox n’a cependant pas remis en cause la stratégie de rapprochement entre la droite dite traditionnelle et l’extrême droite. "Oui, il y a eu un petit coup d’arrêt lors de ces élections mais on ne peut pas parler d’un rejet énorme. Près de 3 millions d’électeurs, c’est beaucoup", confie Pablo Simon.

Des élections européennes masquées par les régionales

Si l’ascension qu’il a connue à ses débuts n’est plus, Vox se maintient. Le 12 mai 2024, à l’occasion des élections catalanes, très suivies en Espagne, le parti de Santiago Abascal a réussi à déjouer les sondages et à conserver onze sièges au Parlement de Catalogne, en gagnant 30 000 voix par rapport à 2021.

Vox a également réussi à stopper la montée d'Aliança Catalana, parti indépendantiste d’extrême droite dirigé dirigé par Sílvia Orriols et concurrent direct au discours anti-immigration de Vox. Le parti n'a obtenu que deux sièges. Avec ce résultat, Vox a mis fin à une possible chute des voix qui pesait sur lui. Vox n’a cependant pas réussi à empêcher la percée du PP qui a gagné 12 sièges supplémentaires.

Pour le moment, le scrutin du 9 juin passe au second plan, largement derrière les élections régionales. L’Espagne est marquée par une forte crispation politique. Pour les élections européennes, les sondages prévoient un scrutin très serré. Les conservateurs du PP, sont crédités de 33,5 % juste devant les socialiste du PSOE, au pouvoir depuis 2018 avec Pedro Sanchez (30,1 %). Vox arrive loin derrière avec 12,6 %.

"L’Espagne est pourtant un pays très europhile mais les élections européennes n’attirent pas beaucoup ici. Il y a une participation moins forte que pour d’autres élections, confirme Pablo Simon. Souvent, les Espagnols vont voter aux élections européennes comme ils votent aux élections générales. L'intuition que l'on pourrait avoir, c'est donc que Vox va avoir un score semblable aux élections générales, autour de 11 %".

À la différence de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie, 90 % des partis espagnols sont pro-européens. Vox est le seul parti espagnol à avoir une position eurosceptique.

"Pour Vox, ces élections européennes ne sont pas décisives. Ils vont vouloir avoir un bon résultat, bien sûr, mais il n’y a pas un grand défi, un enjeu majeur", ajoute le politologue.

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