La dernière fois qu'il a séjourné à Istanbul, en 2014, Jamal Valizadeh nourrissait l'espoir de rejoindre l'Europe après avoir fui l'Iran, son pays de naissance. Il raconte y avoir travaillé "16 heures par jour" pendant environ six mois, jusqu'à ce qu'un passeur lui propose une traversée risquée vers l'île grecque d'Ios.
Dix ans plus tard, cet homme de 32 ans est de retour dans la ville turque qui accueillera, du 9 au 12 mai, le dernier tournoi qualificatif olympique de lutte. Il possède cette fois des papiers qui lui permettent de voyager librement. Il a obtenu le statut de réfugié politique en France, où il est arrivé le 1er janvier 2016 après un long et difficile périple à travers toute l’Europe. Et c'est cette fois pour pratiquer sa passion, la lutte gréco-romaine, que Jamal Valizadeh revient en Turquie.
Il fait partie de l'équipe des réfugiés du Comité international olympique (CIO), qui comprend une 36 sportifs dans 12 disciplines. Créée après la crise migratoire de 2015 qui a vu, selon l'Organisation internationale des migrations, plus d’un million de migrants et de réfugiés gagner l'Europe, cette équipe rassemble des athlètes du monde entier possédant le statut de réfugié. Privés de l'aide de leurs fédérations respectives, ils perçoivent une bourse mensuelle pour pratiquer leur sport dans les pays où ils sont accueillis. Et ils peuvent également compter sur un quota d’invitations du CIO pour participer aux JO : 10 ont participé aux Jeux de Rio en 2016 et 29 à ceux de Tokyo.
Jamal Valizadeh n’aura donc finalement pas à disputer sa qualification au tournoi d'Istanbul, une compétition très relevée à l’issue de laquelle seront connus les noms des 192 lutteurs en lice lors de Paris 2024. Et c'est en Turquie, où il est arrivé en début de semaine, qu'il a appris officiellement, le 2 mai 2024, qu’il bénéficiait d’une invitation pour participer au tournoi olympique de lutte gréco-romaine en moins de 60 kilos.
"Je me suis intégré avec la lutte"
Ce séjour en Turquie dépasse largement le cadre sportif pour Jamal Valizadeh. Il a voyagé à Istanbul pour pouvoir y retrouver ses parents qu’il n’a plus vus depuis son départ d’Iran voilà dix ans. Il avait organisé leur venue avant d’avoir la garantie de pouvoir participer aux Jeux. Et il va donc pouvoir pleinement pouvoir profiter de ces retrouvailles, sans avoir à jouer son avenir olympique sur les tapis turcs.
Originaire du Kurdistan iranien, Jamal Valizadeh a été bercé par la lutte, un sport pratiqué par de nombreux membres de sa famille. Il voyait, dans ce pays féru de ce sport, le culte voué aux grands champions médaillés aux Jeux olympiques ou aux championnats du monde. Lui aussi espérait briller un jour dans la catégorie des moins de 60 kilos, en Iran ou à l’étranger. Il s’entrainait dur en marge de ses études de biologie à Sanandaj, capitale de la province iranienne du Kurdistan. Jusqu’à ce que sa vie bascule en 2014 lors d’une manifestation de soutien aux Kurdes menacés en Irak et en Syrie par l’avancée du groupe terroriste État islamique.
“Les policiers ont commencé à taper les femmes, les enfants”, raconte Jamal. Le jeune lutteur s’interpose et utilise ses techniques de combat face à deux policiers. Il est finalement maitrisé et envoyé en prison où il vivra “deux semaines d’enfer”, dans une cellule où il ne pouvait ni s’asseoir ni dormir plus de 20 minutes d'affilées. Libéré sous caution, il sait qu’il n’aura pas droit à un procès équitable. Il choisit alors de fuir à Téhéran, dans le but de rejoindre ensuite l’Europe.
Après son arrivée en France début 2016, il se met en quête d’un club de lutte pour pouvoir pratiquer de nouveau ce sport après deux années sans entraînement. Envoyé dans des centres d’hébergement au Mans puis à Angers, il trouve à chaque fois des structures pour l'accueillir. “Je me suis intégré avec la lutte. J’ai appris le français peu à peu, sans jamais prendre une heure de cours. Je me débrouillais pour parler avec les lutteurs et les entraineurs”, raconte Jamal Valizadeh.
La méthode a été fructueuse. Jamal Valizadeh a finalement pris la direction de l’est de la France pour rejoindre des clubs plus compétitifs, l’Olympique Maizières Lutte puis l’AS Sarreguemines Lutte. En plus du sport, il a travaillé comme cariste dans une grande surface pendant plusieurs années et a entamé des études dans l’informatique. “C’est un battant qui ne lâche jamais rien, il est très impressionnant. C’est un exemple pour tout le monde”, explique Éric Cirk, son entraîneur, sur un ton très admiratif. Malgré son difficile parcours de migrant, il s’est toujours accroché pour continuer à pratiquer son sport.
Trois mois pour préparer les Jeux de Paris
S'il lui arrive de s’entraîner avec l’équipe de France de lutte, Jamal Valizadeh ne bénéficie pas des mêmes conditions de préparation que les représentants tricolores. “Même si on fait un maximum pour lui, il ne profite pas des mêmes structures qu’un lutteur français”, souligne Éric Cirk. Son protégé s’est habitué à organiser sa pratique sportive. “C’est une très grosse charge mentale. C’est parfois un peu compliqué, mais je suis habitué à le faire”, explique Jamal, qui bénéficie également depuis dix mois du soutien du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) .
Il se rend également fréquemment en Allemagne, à Sarrebruck, où il peut notamment se frotter au lutteur allemand Etienne Kinsinger, qui a disputé les derniers Jeux en lutte gréco-romaine chez les moins de 60 kilos. Lorsqu’il franchit la frontière franco-allemande, il lui arrive de repenser à son périlleux parcours de migrant depuis 2014. “J’'étais obligé de continuer, je n’avais pas d’autre choix pour m’en sortir”, confie d’une voix douce ce lutteur invétéré.
It's Wrestling time ! Competitions will take place from August 5 to 11 in #Paris2024 🤼
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Il dispose désormais de trois mois pour préparer au mieux le Tournoi olympique de lutte, qui débutera le 5 août à Paris, au pied de la tour Eiffel. Autour de lui, les combattants iraniens seront nombreux et redoutables, comme lors de chaque olympiade. Jamal Valizadeh a rêvé dans sa jeunesse de les imiter et d’avoir la chance de défendre les couleurs de son pays. Il représentera finalement sur les tapis parisiens l’espoir et la ténacité dont font preuve d’innombrables femmes et hommes dans leur quête d’un nouvel avenir.