C’est promis, No Labels (Sans Étiquette) va dévoiler le nom de son champion pour la présidentielle américaine après le Super Tuesday, mardi 5 mars. Mais le collectif qui œuvre pour une candidature “bipartisane” reste beaucoup plus vague sur une date spécifique, souligne dans un article du 4 mars le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung qui s’est entretenu avec Fred Upton, un républicain et porte-parole de No Labels.
Les membres de ce groupe doivent se réunir le 8 mars pour évaluer leur chance de trouver une alternative à Joe Biden et Donald Trump. Il y a à peine quelques semaines, No Labels affirmait pouvoir présenter son candidat mi-mars. Dorénavant, le collectif déclare “avoir le temps”, indique la chaîne américaine CNN.
Refus en série
Selon No Labels, il s’agit de s’assurer de trouver le bon “ticket” - leur ambition étant de présenter un candidat d’un bord politique et un vice-président de l’autre camp -, tandis que plusieurs médias estiment que cette prudence est le signe d’un échec annoncé.
Plusieurs candidats capables d’incarner une troisième voie aux yeux de No Labels ont en effet publiquement annoncé ne pas être intéressés. C’est le cas du très conservateur démocrate Joe Manchin, comme l’ex-gouverneur républicain du Maryland et fervent anti-trumpiste Larry Hogan. Chris Christie, le seul ex-candidat à l’investiture du parti républicain en 2024 à critiquer ouvertement Donald Trump, a également pris ses distances avec No Labels. Enfin, Nikki Haley, dernière républicaine à tenir tête à Donald Trump durant les primaires à droite, a affirmé qu’elle préférait agir depuis l’intérieur du parti plutôt que de devenir la championne d’une hypothétique cause centriste.
Ces refus en série sont symptomatiques de la difficulté à sortir de la logique bipartisane du système politique américain, alors même que les étoiles semblent bien alignées pour le collectif No Labels. Fondé en 2010 avec pour ambition de devenir une sorte de “troisième voie”, ce collectif n’a jamais autant fait parler de lui que depuis le début de la campagne pour la présidentielle de 2024.
En effet, 64 % des Américains ne veulent pas d’un nouveau face-à-face entre Donald Trump et Joe Biden, d’après un sondage d’opinion Reuters/Ipsos paru fin janvier 2024. Pourtant, ni le Parti démocrate, ni les républicains n’ont été capables d’offrir une alternative. “On est dans un contexte de profond mécontentement de l’électorat envers les candidats présentés par les partis traditionnels”, assure Mark McLay, spécialiste de la politique américaine à l’université de Lancaster, au Royaume-Uni.
Peur chez les pro-Biden
Les responsables de No Labels estiment avoir là une opportunité en or. “En 1992, le multimilliardaire Ross Perot avait réussi à obtenir 19 % de voix dans un contexte de forte désillusion de la population à l’égard des deux grands partis”, souligne Iwan Morgan, spécialiste de l’histoire politique contemporaine des États-Unis à l’University College de Londres. En 1968, lors de la seule élection ayant vu un indépendant remporter un État, George Wallace - un populiste raciste - avait profité de l’absence de candidat charismatique au sein du Parti démocrate qu’il venait de quitter.
Fin 2023, des démocrates et des républicains s’inquiétaient d’ailleurs du risque de voir No Labels trouver cette fois leur candidat providentiel, chaque parti accusant ce collectif centriste de faire le jeu de l’autre camp. Mais c’était surtout le Parti démocrate qui se plaignait, allant jusqu’à accuser No Labels d’être secrètement financé par de généreux donateurs conservateurs.
Pour Iwan Morgan, le camp Biden a en effet plus de raisons de craindre un candidat No Labels. “Le vote protestataire profite généralement au Parti démocrate. Mais une partie de ces voix pourrait se porter sur un éventuel candidat indépendant, au détriment de Joe Biden”, estime cet expert.
C’est d’autant plus vrai que le profil du parfait représentant de la 3e voie ressemble à s’y méprendre à un jeune Joe Biden. “Un tel candidat doit être en politique depuis un certain temps, être capable de faire des compromis avec les deux partis et avoir des positions modérées”, résume Thomas Gift, directeur du Centre de recherche sur la politique nord-américaine de l’University College de Londres.
Qui veut être "martyr de la cause" ?
Les difficultés du collectif No Labels a trouver un héraut ne surprend pas les experts interrogés par France 24. En effet, si la période électorale peut sembler idéale pour un candidat indépendant, “il n’en demeure pas moins qu’il n’aurait aucune chance réelle de gagner. Ce qui revient à dire qu’il faut trouver quelqu’un prêt à jouer le rôle de martyr de la cause”, note Thomas Gift.
Selon ce spécialiste, rares sont les politiciens, surtout d’envergure nationale, qui seraient prêts à se sacrifier dans le seul but de planter la petite graine pouvant un jour se transformer en belle fleur de la “troisième voie”.
Surtout que “dans le contexte d’extrême polarisation de la politique américaine, il y a de moins en moins de politiciens au centre de l’échiquier politique”, souligne Mark McLary. Les nouvelles stars politiques sont marquées très à gauche, comme Alexandria Ocasio-Cortez, ou alors sont des émules de Donald Trump, comme Marjorie Taylor Greene.
Les quelques politiciens susceptibles de plaire au collectif savent aussi que le fossé entre les deux camps s’est tellement creusé “que les électeurs ne prendront pas le risque de voter pour un candidat indépendant”, note Mark McLary, de peur de faire "gagner des voix" à leur adversaire. Autrement dit, même si une écrasante majorité des Américains ne veut pas d’un nouveau match Biden vs Trump, le vote utile risque de jouer à fond.
Ce qui ne veut pas dire que le collectif No Labels n'a aucune chance de trouver un candidat. Mais les tribulations pour éventuellement y parvenir, alors qu’une majorité des Américains rêvent de changement, n’augure rien de bon pour la bonne santé de leur système politique.