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Tchernihiv, ville meurtrie, tente de se reconstruire malgré la guerre en Ukraine
envoyé spécial à Tchernihiv, en Ukraine – Deux ans après l'invasion russe, les traces de la guerre sont toujours bien visibles à Tchernihiv. La grande ville du nord de l’Ukraine a résisté pendant 40 jours à un siège dévastateur en février 2022. Aujourd'hui, les chantiers et les projets se multiplient pour aider à la reconstruction.

Une alerte vient de retentir sur les téléphones et dans la ville. Mais elle ne semble pas vraiment perturber le quotidien de Tchernihiv en cet après-midi gris de février. Il y a deux ans, le 24 février 2022, c'est au petit matin que les sirènes ont réveillé les quelque 300 000 habitants de cette municipalité située à 130 km au nord de Kiev. 

"J'ai pensé que c'était un exercice en me réveillant, se souvient Viktoria, professeure de langues, mais rapidement, on a compris ce qui se passait car des proches m'ont envoyé une vidéo des troupes russes qui venaient de traverser la frontière"

Ces soldats étaient massés depuis des mois en Biélorussie et en Russie dont les frontières se trouvent à moins de 100 km de la grande ville du nord de l'Ukraine. "Personne ne voulait y croire et personne n'était préparé à se réveiller avec la guerre"se rappelle Katerynaresponsable des services culturels de la ville. 

Les chars russes traversent les villages rapidement avant de se rapprocher de Tchernihiv. La ville se trouve à seulement deux heures de la capitale ukrainienne via l'autoroute, un objectif stratégique pour faire progresser les troupes et l'immense colonne de tanks et de matériel vers Kiev. Mais les troupes russes rencontrent une forte résistance à l'entrée de la ville, où se sont déployées les forces ukrainiennes. 

Commence alors un siège qui va durer 40 jours. De longues semaines marquées par des bombardements aveugles sur des bâtiments civils, des immeubles, des maisons. Tchernihiv a tenu, mais après le départ des troupes russes vers le Donbass, la ville compte ses morts : des centaines de civils ont été tués par les frappes ou le manque de soins et de médicaments.

Documenter les crimes russes 

Kateryna a voulu documenter et raconter ce "terrible mois de février" et les semaines qui ont suivi. Avec son équipe, elle est allée à la rencontre des habitants des villages occupés pour recueillir leur histoire, les récits des exactions et des humiliations infligées par les soldats russes. Les témoignages font aussi état d'une solidarité qui s'est nouée entre voisins. "Toutes ces personnes ont dit qu'elles étaient soulagées d'avoir pu raconter leur histoire". L'objectif aujourd'hui, c'est de les faire traduire et publier en anglais. "C'est notre arme puissante contre la propagande russe", souligne-t-elle.

Tchernihiv, ville meurtrie, tente de se reconstruire malgré la guerre en Ukraine

L'ancien cimetière de Tchernihiv est devenu un mémorial pour toutes les victimes du siège. De longues allées de glace et de boue mènent jusqu'à un bois en lisière. C'est là que les morts ont été enterrés, faute de pouvoir accéder au nouveau cimetière municipal régulièrement pris pour cible.  Parmi les sépultures, de simples croix parfois, des pierres tombales ont été ajoutées après le siège. Toutes ces vies se sont arrêtées entre mars et avril 2022.

The Reckoning Project est un collectif de journalistes et de chercheurs ukrainiens et internationaux qui rassemble des preuves des crimes de guerre russes. Vira en fait partie. La jeune journaliste est allée interroger les survivants de frappes qui ont visé un quartier résidentiel le 3 mars 2022 dans la ville. "Il n'y avait pas de caserne ou d'infrastructures militaires sur place, rien que des civils".

Ce jour-là, 47 personnes ont été tuées. Un travail minutieux a été entrepris pour collecter ces témoignages et constituer un futur dossier d'accusation devant la justice. "On ne savait pas que c'était si compliqué de prouver des crimes de guerre. Après le siège, on a mesuré l'importance de relever tout dans les moindres détails".

Une nouvelle maison avec un abri dans la cave

Des dizaines de milliers de personnes ont quitté Tchernihiv après le début de l'invasion russe. Beaucoup ne sont pas revenues mais des déplacés de la région de Donetsk ou de Bakhmout se sont installés ici. Aujourd'hui, l'urgence est toujours à la reconstruction. Le quartier de Bobrovytsia, situé dans les faubourgs, est celui qui a subi le plus de dégâts. De nombreuses maisons en bois, touchées par les obus russes, ont été réduites en cendres pendant le siège. 

Avec l'association Bo Mozhemo ("Car nous le pouvons"), Andriy, électricien, mobilise toutes les bonnes volontés pour réparer les toits et rebâtir de nouvelles maisons pour les ces familles qui ont tout perdu. "Nous avons besoin de matériaux de construction et d'outils bien plus que de vêtements ou de nourriture", précise-t-il.

Tchernihiv, ville meurtrie, tente de se reconstruire malgré la guerre en Ukraine

Ce sont principalement les dons qui permettent de financer ces chantiers de reconstruction comme celui d'Eugenia. La jeune femme habite avec son mari et sa fille dans un petit logement provisoire après la destruction de leur maison par une frappe russe. Elle a tenu à revenir sur les lieux après le siège. "Il y a beaucoup de solidarité autour de ce projet et en voyant notre maison prendre forme, le moral est revenu au fil des semaines". Sur le chantier, le visage d'Eugenia s'éclaire lorsqu'elle évoque déjà l'aménagement du futur salon. Elle veut aussi installer un abri indépendant dans la cave.

Après la fin du siège, la ville de Tchernihiv a longtemps été épargnée par les attaques. Mais le 19 août 2023, un missile russe a tué sept personnes en plein centre-ville. Le toit du théâtre municipal a été détruit. Les vitres des commerces aux alentours ont explosé. C'était un samedi ordinaire avec beaucoup de monde dans les rues. Un nouveau deuil douloureux pour la ville. 

Chacun a appris à vivre avec cette menace. Ces derniers mois, les lignes de défense ont encore été renforcées à proximité des frontières de la Russie et de la Biélorussie. Des tranchées ont été creusées et des fortifications dressées. Tout le monde est conscient que la guerre sera encore longue, et que le danger est toujours présent. Mais les initiatives foisonnent pour la reconstruction, comme un besoin d'envisager la vie d'après.