L'UE ne lâchera pas l'Ukraine, quitte à faire sans la Hongrie. Alors que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a mis, vendredi 15 décembre, son veto à un accord sur un programme d'aide de 50 milliards d'euros en faveur de l'Ukraine, nombre de dirigeants européens ont réagi, espérant qu'un accord pourra être trouvé début 2024.
Viktor Orban a également prévenu qu'il était toujours en mesure de bloquer le processus d'adhésion de Kiev à l'Union européenne, dont le principe a malgré tout été approuvé jeudi soir par les dirigeants européens. Mais lors des discussions concernant le programme d'aide à l'Ukraine de 50 milliards d'euros sur quatre ans, ceux-ci n'ont rien pu face à l'opposition déterminée de ce proche allié de Vladimir Poutine, alors que l'unanimité était requise.
Le Kremlin a salué l'attitude du Premier ministre hongrois, son porte-parole Dmitri Peskov se disant "impressionné", tout en dénonçant la décision "politique" de l'UE d'ouvrir des négociations d'adhésion avec Kiev, qui pourrait déstabiliser le bloc à en croire Moscou.
Viktor Orban, qui ne cesse de critiquer l'UE à des fins de politique intérieure, a expliqué vendredi à la radio publique hongroise qu'il avait bloqué le programme d'aide à l'Ukraine afin de s'assurer que Budapest obtiendra les fonds qu'il réclame sur le budget européen.
L'UE avait annoncé, avant l'ouverture du sommet, le déblocage de 10 milliards d'euros de fonds destinés à la Hongrie après l'adoption d'une loi sur l'indépendance de la justice, mais Bruxelles continue de bloquer quelque 20 milliards d'euros supplémentaires en raison des atteintes répétées à l'État de droit dans ce pays.
La poursuite des négociations budgétaires en janvier sera "une excellente occasion pour la Hongrie de dire qu'elle devrait recevoir l'argent auquel elle a droit", a dit Viktor Orban.
Amers, les dirigeants européens assurent cependant que l'Ukraine sera soutenue financièrement par l'UE, "quoi qu'il arrive".
Surmonter le veto hongrois pour aider l'Ukraine
Se refusant de "crier victoire" après l'accord politique conclu jeudi soir par les pays membres sans la Hongrie sur l'ouverture de négociations d'adhésion avec Kiev, Emmanuel Macron a appelé le Premier ministre hongrois Viktor Orban à se "comporter en Européen" et à ne pas prendre l'UE "en otage" sur l'Ukraine, soulignant que la Hongrie et son Premier ministre avaient été "respectés" lors du sommet des Vingt-Sept.
"J'attends de Viktor Orban dans les prochains mois qu'étant respecté, ses intérêts légitimes étant pris en compte, il se comporte en Européen et ne prenne pas en otage nos avancées politiques", a-t-il dit.
Sur la question du budget européen et d'une aide pluriannuelle de 50 milliards d'euros à l'Ukraine, bloquée par Viktor Orban, "je pense qu'en février, ou en début d'année, ce sera sans doute plus simple" de trouver un accord, a estimé le président français.
En effet, face à cette impasse, les dirigeants européens ont convenu de se retrouver début 2024, lors d'un nouveau sommet, dans l'espoir d'un accord à 27. Mais s'ils devaient échouer, ils se sont néanmoins engagées à la soutenir, y compris à 26.
"D'ici là, nous utiliserons le temps pour nous assurer d'avoir, quoi qu'il arrive, une solution opérationnelle lors de ce sommet", a de son côté déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
"Nous travaillons très dur, bien sûr, pour parvenir à un accord entre les 27 États membres. Mais je pense qu'il est également nécessaire de travailler sur des alternatives potentielles afin de disposer d'une solution opérationnelle au cas où un accord à 27 ne serait pas possible", a-t-elle précisé.
"Je suis raisonnablement optimiste" sur les chances d'un accord à 27, a déclaré de son côté le chancelier allemand Olaf Scholz.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, est allé plus loin en se disant "extrêmement confiant et optimiste" sur la capacité de l'UE à tenir ses engagements envers l'Ukraine.
"L'Ukraine se retrouve dans une situation difficile avec le blocage au Congrès américain et le blocage coté européen, il y a de quoi s'inquiéter, mais je note les propos assez volontaristes des différents dirigeants européens", constate sur France 24 Lukas Macek, chef du centre de recherche Grande Europe de l'Institut Jacques Delors. "Si le blocage hongrois persiste, les États membres qui souhaitent soutenir l'Ukraine financièrement trouveront un moyen de le faire."
Une "victoire à la Pyrrhus"
De son côté, le ministère ukrainien des Affaires étrangères a appelé à la levée, dès janvier, du blocage de l'aide de 50 milliards d'euros de l'UE. "Nous nous attendons à ce que toutes les procédures juridiques nécessaires soient terminées en janvier 2024, ce qui nous permettrait de recevoir les fonds en question dès que possible", a-t-il déclaré dans un communiqué.
Dans son allocution diffusée sur les réseaux sociaux, le président Volodymyr Zelensky s'est pour sa part montré combatif : "Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre l'Ukraine forte et faire en sorte que, l'année prochaine, nous puissions tous être confiants : confiants dans l'appui en matière de défense, de macrofinance et dans le soutien politique."
We continue to work with partners in order to maintain unity in support for Ukraine. With those in Europe, America, and around the world who support us, our state, and international law.
Our foreign policy will be active in the coming weeks, and we are already planning… pic.twitter.com/YmNta6e5gV
Lukas Macek analyse le veto hongrois comme une "victoire à la Pyrrhus". "[Viktor Orban] renforce son isolement au sein de l'UE", explique-t-il, rappelant que le dirigeant hongrois vient tout juste de perdre un allié important, la Pologne, au sein de l'UE. "Le fait de pousser à bout ses partenaires européens est une stratégie risquée."
Outre le sujet de l'aide européenne, l'ouverture de négociations d'adhésion avec l'Ukraine – et la Moldavie – marque tout de même les limites de la stratégie d'obstruction du dirigeant hongrois et représente une victoire politique pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, à un moment où le soutien international à Kiev semble s'effriter.
"C'est une victoire pour l'Ukraine. Une victoire pour toute l'Europe. Une victoire qui motive, inspire, renforce", s'est réjoui le chef de l'État ukrainien.
À son arrivée à Bruxelles pour le deuxième jour du sommet, le président lituanien Gitanas Nauseda s'est quant à lui dit "fier d'être européen", même si la décision de jeudi n'est "que la première page d'un très très long processus".
Viktor Orban a quant à lui continué de fustiger une "mauvaise décision". "Nous pouvons bloquer ce processus plus tard et si besoin, nous mettrons les freins et l'ultime décision reviendra au Parlement hongrois", a-t-il averti.
Deux fois Premier ministre, de 1998 à 2002 et depuis 2010, Viktor Orban est certes le dirigeant européen en place avec le plus d'expérience de l'UE mais ses pairs savent aussi comment le "gérer", relève un diplomate européen. "Il connaît les règles du jeu. Il sait aussi comment formuler ses messages de telle façon qu'il lui reste toujours plusieurs issues de sortie", souligne-t-il auprès de l'AFP.
"Mais jeudi, il a cédé" sur l'adhésion de l'Ukraine, ajoute-t-il. De la même manière, il ne s'est jamais mis en travers des trains de sanctions européens contre la Russie depuis le début de la guerre, "quoi qu'on dise de sa proximité avec Vladimir Poutine".
Avec AFP et Reuters