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Malgré les embardées impressionnantes que fait le pick-up pour éviter les trous béants de la route en terre, Géandro Guerreiro tente tant bien que mal de visualiser sur son téléphone la carte sur laquelle se trouve ses prochaines cibles. "Aujourd'hui, on a une dizaine de terres à contrôler dans ce périmètre. Les propriétaires ne seront sûrement pas là, mais l’objectif est de constater l’infraction, de survoler la zone et de notifier les coupables au plus vite."
Le responsable de la mission de terrain supervise une quinzaine de policiers de l’Ibama dans ce no man’s land amazonien rongé par les pâturages. "Tout ce que vous voyez en gris, ce sont des terres déboisées illégalement et déjà mises sous embargo", explique-t-il, pointant une carte constellée de taches. Ici à Pacaja, dans le Para, comme partout depuis le retour de la gauche au pouvoir à Brasilia, Géandro Guerreiro admet qu’il faut avancer avec précaution.
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"L’hostilité souvent au rendez-vous"
Dans un récent entretien avec la presse internationale, le président de l’Ibama, Rodrigo Agostinho, a affirmé que l'augmentation du nombre d'armes – dont l’acquisition a été assouplie sous l'ancien président Jair Bolsonaro – rend le travail des agents de terrain beaucoup plus dangereux.
"L’hostilité est souvent au rendez-vous." La main sur son arme et le gilet pare-balles sans cesse sur le corps, même pour la pause déjeuner, Géandro Guerreiro baisse la voix, mais ne baisse pas la garde. Il y a un peu plus d’un mois, près d’Altamira, dans le territoire indigène d'Ituna Itata, ses collègues ont essuyé des tirs de la part d’habitants et d'éleveurs illégaux. Un jeu d’équilibriste délicat dans des territoires immenses et reculés, où il est difficile de faire appliquer la loi.
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Ce jour là, l'unité de Géandro Guerreiro prend la main dans le sac un père et son fils, agriculteurs. Des "petits" paysans en quête d’une vie meilleure, très loin de l’image du gros méchant exploitant. Armés de machettes, les deux hommes s’apprêtaient à défricher un bois qui, disent-ils, leur appartient. Le ton monte. "Sous Bolsonaro, on était libres au moins. Il nous donnait le droit de faire notre vie ici !" C’est justement la raison pour laquelle Géandro Guerreiro et ses collègues sillonnent avec empressement cette région du Para qui a subi un record de déforestation sous l’ancien gouvernement : pour éviter que la prescription – de cinq ans – ne prévale. Celle-ci permet à quiconque s’octroyant un terrain et le déclarant officiellement auprès de l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra) de l'exploiter s'il n’est pas contrôlé par la police environnementale avant ce délai. Pour le dire autrement : la règle du "pas vu, pas pris".
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"Plus ça les énerve, plus ça veut dire que nous faisons bien notre travail"
Depuis que le vent a tourné à Brasilia, et que le palais présidentiel a changé de locataire avec l'arrivée au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva en janvier, l’Ibama tente d'éviter le pire en mettant les bouchées doubles. Triples même, à l’image de son budget : celui-ci a été quasiment multiplié par trois depuis le début de l'année. Organisme étouffé sous Jair Bolsonaro, l’Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables – son vrai nom – a repris sa guerre contre les responsables de la déforestation.
Jair Schmitt, directeur de la protection environnementale, s’enorgueillit d’avoir lancé des centaines de missions de contrôle dans les régions amazoniennes, où la déforestation battait jusque-là des records. Et les résultats sont là : "Nous avons appréhendé plus de deux millions de mètres cubes de bois illégal, contrôlé plus de 85 territoires indigènes, saisi 5 000 têtes de bétail élevées sur des terres illégales et détruit plus d’une dizaine de sites d’orpaillage", notamment dans l'État de Roraima, dans le nord du pays, où la crise humanitaire frappant les indigènes yanomamis a choqué le monde entier.
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Sans oublier près de 500 000 hectares illégalement défrichés placés sous embargo. "Et ça ne fait que commencer", assure-t-il, un brin agacé d’avoir à répéter sans cesse ses faits d’armes. "Et plus ça les énerve – dit-il en parlant des soutiens de Jair Bolsonaro –, plus ça veut dire que nous faisons bien notre travail." L'argent, lui aussi, rentre à nouveau, grâce aux nombreuses amendes (enfin) appliquées sur le terrain. Selon le premier bilan statistique de l'institution, ces amendes pour déforestation ont rapporté en 2023 près d’un milliard d’euros – contre presque moitié moins en 2022.
L’Ibama revient de loin. Et pas seulement sur le terrain. Au siège aussi, à Brasilia, on souffle à nouveau. Pour preuve, la ligne téléphonique des relations presse répond enfin. Responsable de la communication, Daiane Cortes se rappelle un climat délétère quand elle est arrivée en poste : des fonctionnaires menacés, des postes abandonnés, des salles fantômes et un service de presse qui avait précisément reçu pour consigne de ne pas répondre… à la presse. À la fin du mandat de Jair Bolsonaro, les anciens occupants auraient même effacé les codes d’accès des réseaux sociaux et toute trace de leurs actions.
"On a été sabotés"
Il a fallu donc tout reprendre à zéro. Et embaucher. Car Jair Bolsonaro avait aussi vidé l’organisme de ses bras et de ses cerveaux. "On a été sabotés, nous sommes donc en train de reconstruire la maison depuis ses fondations", explique Jair Schmitt. "Le problème, c’est qu’on embauche pas assez vite. On a ouvert 230 places de fonctionnaires lors du dernier concours public, on attend l’autorisation du ministère de la Gestion pour en lancer un deuxième. Entre Brasilia et le terrain, il nous faudrait 2 400 agents de plus."
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Quand on s’inquiète de la difficile maîtrise, par la police environnementale, des récents incendies près de Manaus et de la sécheresse historique touchant les fleuves Amazone et Solimoes, le directeur réplique : "On a réduit de 50 % la déforestation entre janvier et septembre par rapport à la même période l’an dernier. Ce qui a brûlé près de Manaus, ajouté au phénomène naturel El Nino qu’on ne contrôle pas, c’est aussi la conséquence de la déforestation réalisée les années précédentes au même endroit. Mais l’IPÊ [l’Institut de recherches écologiques, NDLR] affirme qu’il y a une réduction de 25 % des départs de feu entre janvier et octobre."
Seule ombre au tableau de cette nouvelle relation entre la police environnementale et le gouvernement : un possible forage pétrolier opéré par le géant national Petrobras au large de l’embouchure du fleuve Amazone. Avec ses 5,6 milliards de barils potentiels, le forage pourrait augmenter de 37 % les réserves pétrolières du pays. Défendu par le président Lula, le projet est très critiqué par l’Ibama, qui a refusé une première licence en mai. La zone de forage offshore se situe à 500 kilomètres de l’embouchure du fleuve et à 170 kilomètres du fleuve Oyapock, qui marque la frontière avec la Guyane française. Un projet pharaonique conspué par les ONG de défense environnementale, qui ont peur que le fragile corail du littoral amazonien disparaisse à jamais. Le 22 novembre, lors d’une conférence de presse, le président de l’Ibama Rodrigo Agostinho a annoncé qu’il n’avait pour l’instant pris aucune décision dans le dossier mais qu’il la rendrait début 2024.
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