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Le Venezuela se prépare-t-il à faire main basse sur une partie du Guyana ?
Le président vénézuélien Nicolas Maduro organise un référendum dimanche pour décider de créer ou non un nouvel État vénézuélien sur le territoire de l’Essequibo. Cette très riche région est pourtant sous contrôle du Guyana. Mais Caracas a-t-il les moyens de ses ambitions territoriales ? Ou s'agit-il avant tout d'un calcul électoraliste ?

C’est un référendum qui est censé mettre un terme à plus de 200 ans de conflit territorial. Du moins aux yeux des autorités vénézuéliennes… Elles ont appelé la population à voter, dimanche 3 décembre, pour ou contre la création d’un nouvel État vénézuélien, qui recouvre la région de l’Essequibo. 

Problème : cette éventuelle extension du Venezuela se trouve actuellement sous contrôle du Guyana voisin – c'est en tout cas l'avis de ce petit pays de 800 000 habitants et de la communauté internationale…

"El Esquibo es nuestro"

Nicolas Maduro, le président vénézuélien, demande dimanche aux électeurs s’ils seraient favorables à "la création d’un État de 'Guyana Esequiba’ et à l’élaboration d’un plan accéléré de prise en charge globale de la population actuelle et future de ce territoire".

C’est devenu une idée fixe pour le dirigeant populiste. "‘El Esequibo es nuestro’ [L’Essequibo nous appartient], déclare à longueur de discours le chef d’État, qui a pris la tête d’une grande ‘campagne pédagogique électorale’", raconte Le Monde dans un reportage consacré aux enjeux de ce référendum.

L’issue du scrutin ne fait guère de doute pour le quotidien français qui souligne que le "scrutin se tiendra sans observateur" et que personne n’ose faire campagne pour le "non".

De quoi donner des sueurs froides aux responsables du Guyana. "Les conséquences à long terme de ce référendum pourraient être une annexion de fait par le Venezuela de cette région qui s’étend sur 160  000 km², soit une bonne partie du Guyana [215 000 km², NDLR]", confirme Annette Idler, professeure associée à la Blavatnik School of Government de l’université d’Oxford et spécialiste des questions de sécurité internationale qui a travaillé sur le Venezuela.

Autrement dit, Caracas menace de priver son voisin de plus de la moitié de son territoire et de faire des quelque 125 000 habitants de l’Essequibo des citoyens vénézuéliens. Surtout, cette terre contestée est une source de richesse pour Guyana. L’Essequibo a toujours eu un sous-sol riche en matières premières précieuses comme l’or, les diamants ou encore l’aluminium.

Mais depuis 2015, cette région s’est transformée en paradis du pétrole et du gaz off-shore. Le groupe Exxon avait alors découvert un important gisement d’hydrocarbures aux larges des côtes de l’Essequibo. L’or noir a donné un coup d’accélérateur sans équivalent à l’économie de ce petit pays, dont le PIB a augmenté de pas moins de 62 % en 2022, un record absolu.

La découverte de ces réserves sous-marines de brut "a renforcé la détermination du Venezuela à appuyer ses revendications territoriales sur cette région", affirme Jose de Arimateia da Cruz, un spécialiste américain de l’Amérique Latine, dans une note rédigée en 2015 pour le Pentagone. Le gouvernement vénézuélien est d’autant plus remonté que le groupe Exxon avait choisi de négocier avec le gouvernement guyanais pour l’exploitation de ce gisement, suggérant que le géant américain des hydrocarbures reconnaissait la souveraineté du Guyana sur ces eaux et la région d’Essequibo.

Une dispute territoriale qui remonte à 1811

Pourtant aux yeux de Caracas, la question n’a jamais été tranchée. Ce différend remonte à l’époque coloniale. En 1811, lorsque le Venezuela proclame son indépendance, il estime que l’Essequibo lui appartient. Mais par un tour de passe-passe cartographique, le Royaume-Uni, qui occupe le territoire de l’actuelle Guyana, place cette région sous l’autorité de la couronne britannique. Et en 1899, une cour arbitrale donne raison au Royaume-Uni contre le Venezuela alors même que les États-Unis avaient apporté leur soutien à Caracas. 

Le différend rebondit ensuite en 1966, lorsque le Guyana obtient son indépendance. "L'accord de Genève, signé par le Royaume-Uni, le Venezuela et la Guyane britannique, exhorte les pays à convenir d'une résolution pacifique du différend par le dialogue", souligne Annette Idler. Mais le Guyana préfère une résolution par le biais de la Cour internationale de justice, ce que le Venezuela rejette.

Le Venezuela se prépare-t-il à faire main basse sur une partie du Guyana ?

Si le gouvernement vénézuélien revient à la charge maintenant avec un référendum, c’est en partie "parce que la Cour internationale de Justice s’est déclarée compétente en avril pour trancher le différend", souligne Annette Idler. Nicolas Maduro ne veut pas entendre parler de l’autorité de cette juridiction. Il a même appelé António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, à agir comme médiateur entre le Venezuela et le Guyana.

Il y a aussi - et peut-être surtout - un calcul électoraliste dans ce référendum. "Il ne faut pas oublier que l’élection présidentielle se déroule dans un an et Nicolas Maduro cherche à rassembler autour de lui en flattant le sentiment national des électeurs", explique Annette Idler.

En se présentant comme le champion du nationalisme, "il met aussi l’opposition dans une position délicate", décrypte la spécialiste. Les adversaires politiques de Maduro peuvent difficilement s’opposer à lui sur cette question qui engendre une certaine ferveur nationaliste.

Enfin, ce référendum offre aussi une opportunité au président si la campagne électorale ou le scrutin ne tournent pas à son avantage. "Certains observateurs estiment qu’il pourrait envenimer la situation avec le Guyana afin de pouvoir déclarer l’état d’urgence et annuler l’élection présidentielle si nécessaire", explique Annette Idler.

Face à la menace vénézuélienne, le Guyana compte beaucoup sur la Cour internationale de Justice. Elle a été saisie le 3 octobre pour empêcher Caracas de procéder à son référendum. La juridiction - qui dépend de l’ONU - a d’ailleurs appelé vendredi 1er décembre le Venezuela à s’abstenir, mais elle n’a pas de moyen d’imposer quoi que ce soit à Nicolas Maduro. 

Bluff de Nicolas Maduro ?

Le risque est que le Venezuela, un allié de la Russie dans cette région, veuille profiter du fait que l’attention internationale soit accaparée par deux conflits majeurs en Ukraine et au Proche-Orient pour faire avec l’Essequibo comme Moscou avait fait avec la Crimée en 2014. Des troupes vénézuéliennes se trouvent d’ailleurs à la frontière avec le Guyana "sous prétexte de lutter contre les activités minières illégales", souligne le Financial Times.

Si le Venezuela tentait réellement d’annexer l’Essequibo, "cela pourrait déstabiliser toute la région", craint Annette Idler. Des pays comme le Brésil ou l’Uruguay pourraient être amenés à choisir un camp dans ce conflit territorial.

Mais cette menace d’annexion peut aussi se révéler être un coup de bluff de Nicolas Maduro. Le Venezuela n’a, en effet, pas forcément les moyens de s’emparer de ce territoire. D’abord, "parce que les autorités n’exercent qu’un contrôle très relatif sur les régions frontalières d’où Caracas serait amené à lancer des troupes pour prendre possession de cette région", souligne Annette Idler. 

Ensuite, le président vénézuélien sait qu’un tel coup de force "pousserait les États-Unis à rétablir les sanctions que Washington vient de lever sur les exportions pétroles. Très fragile économiquement, le Venezuela ne peut probablement pas se permettre de prendre un tel risque.

L’espoir du Guyana est que ce référendum se révèle être à 100 % une opération électoraliste. Mais que se passerait-il si la population vote effectivement en faveur de la création d’un nouvel état d’Essequibo ? Nicolas Maduro pourrait difficilement se permettre de ne rien faire. Annette Idler résume : "Il devra alors choisir entre se discréditer aux yeux des électeurs et subir des nouvelles sanctions américaines."