Quatre-vingt-dix mille soldats mobilisés, dont des renforts américains venus d'Amérique du Nord, 50 navires de guerre, 80 avions et plus de 1 100 véhicules de combat, dont 133 chars déployés pendant plusieurs mois : l'Otan a vu les choses en grand pour son Steadfast Defender 2024, le plus important exercice militaire organisé par l'Alliance atlantique depuis des décennies.
À titre de comparaison, la dernière édition de l'exercice, organisée en 2021, n'avait mobilisé que 9 000 soldats. Dans un passé récent, seule l'opération "Trident Juncture", en 2018, aurait pu prétendre atteindre une échelle de grandeur comparable avec ses 50 000 participants.
"Ce sera une démonstration claire de notre unité, de notre force et de notre détermination à nous protéger les uns les autres", a fait valoir le 18 janvier le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur), le général américain Christopher Cavoli, au cours d'une conférence de presse à Bruxelles, où se trouve le QG de l'Alliance.
NATO’s new defence plans will strengthen and modernise our force structure to protect and defend every inch of Allied territory
These plans will be tested and put to action during exercise #SteadfastDefender24 pic.twitter.com/HpEw7ftfEj
"Il s'agit d'un record en termes de nombre de soldats", a insisté pendant cette même conférence de presse l'amiral néerlandais Rob Bauer, le chef du comité militaire de l'Otan, qui rassemble les chefs d'état-major des armées des pays membres de l'organisation.
Pour mener à bien cet exercice de grande envergure, les 31 pays de l'Alliance fourniront des troupes ainsi que la Suède, qui espère adhérer prochainement à l'Otan après le feu vert de la Turquie.
Principal contributeur européen, le Royaume-Uni va à lui seul déployer 20 000 militaires dans le cadre de ces manœuvres, a annoncé lundi 21 janvier son ministre de la Défense Grant Shapps.
Le défi d'un conflit en cinq dimensions
Pour retrouver un telle démonstration de force de la part de l'Otan, il faut remonter à l'exercice "Reforger" de 1988, qui avait déployé en Europe 120 000 militaires en pleine Guerre froide entre l'Union soviétique et l'Alliance atlantique.
"On en a perdu l'habitude mais, pendant la Guerre froide, ce genre d'exercice était le pain quotidien de l'Otan et se déroulait tous les deux ans. Puis, à partir des années 1990, période dite des "dividendes de la paix", on considérait que la guerre n'était plus possible en Europe. On revient ici aux fondamentaux d'un conflit de haute intensité", analyse le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU à New York.
Si la Russie n'est jamais mentionnée par l'Otan, c'est bien le scénario d'une d’agression de la part d’un "adversaire de taille comparable" à celui de l'Alliance qui sera simulé sur son flanc oriental. Autrement dit, le déclenchement de l'article 5 qui prévoit une assistance mutuelle entre États membres en cas d'attaque.
"C'est un exercice qui s'est préparé sans doute depuis au moins deux ans", estime Olivier Kempf, directeur du cabinet La Vigie et chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. "Il est ensuite possible que, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les Alliés aient voulu augmenter la taille de l'exercice pour bénéficier d'un meilleur retour d'expérience", ajoute l'expert.
Si l'Otan organise des "jeux de guerre" tout au long de l'année, Steadfast Defender se distingue aussi par son ambition de faire travailler ensemble toutes les composantes des armées alliées.
"Lors de cet exercice, on aura plusieurs divisions voire des corps des armées de Terre. C'est une échelle peu habituelle car cela entraîne des difficultés de logistique, de coordination et de communication car il faut mettre en place tout un système radio sur une zone assez restreinte. C'est extrêmement compliqué quand on y ajoute la coordination avec la marine et l'armée de l'air", note Olivier Kempf.
"D'autant qu'il n'y a plus seulement la coordination air, terre et mer. Il y a aussi le cyber et l'espace. On est désormais sur cinq dimensions", ajoute Dominique Trinquand. Selon l'expert militaire, une partie de Steadfast Defender 2024 devrait se dérouler dans les pays baltes, "le point sensible de l'Otan" qui dispose d' une façade maritime et où sont déjà déployés des soldats de l'Alliance depuis 2014, date de l'annexion de la Crimée.
Au cours de la deuxième partie de l'exercice Steadfast Defender, l'accent sera mis sur le déploiement de la force de réaction rapide de l'Otan en Pologne, selon l'agence Reuters.
"Si tu veux la paix, prépare la guerre"
Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, en février 2022, l'Alliance atlantique a continué de renforcer sa "présence avancée" sur le flanc oriental, y envoyant des milliers de personnes. Les Alliés ont notamment créer quatre groupements tactiques multinationaux supplémentaires en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie portant à huit le nombre de ces unités de l'Otan qui opèrent conjointement avec les forces nationales de chaque pays.
La perspective de cette mobilisation exceptionnelle de forces de l'Otan a rapidement fait réagir Moscou qui, depuis des années, perçoit l'élargissement à l'est de l'Alliance comme une menace existentielle.
"Ces exercices sont un autre élément de la guerre hybride déclenchée par l'Occident contre la Russie", a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères à l'agence de presse nationale RIA, dans des propos publiés dimanche.
"Un exercice de cette ampleur (...) marque le retour définitif et irrévocable de l'Otan aux schémas de la Guerre froide, lorsque le processus de planification militaire, les ressources et l'infrastructure sont préparés pour la confrontation avec la Russie", a ajouté Alexandre Groushko.
Si le narratif russe cherche à présenter cet exercice militaire comme une escalade fomentée par l'Occident, l'objectif poursuivi par l'Otan est bien dissuasif, rappelle le général Dominique Trinquand.
"Les armées sont faites pour préparer le scénario du pire tout en espérant qu'il ne se produira pas. Ici, il s'agit de dire aux Russes de ne pas aller plus loin et de leur montrer que nous sommes préparés si d'aventure ils n'avaient pas bien compris le message", explique l'ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU à New York.
"Paradoxalement, il faut voir cela comme quelque chose de plutôt rassurant", abonde Olivier Kempf. "Pour être bien clair : ce n'est pas un signal d'escalade. C'est un signal de dissuasion conventionnelle destinée à maintenir la paix".