logo

Deux ans après l'assassinat de Benazir Bhutto, le pays reste hanté par ses démons

, correspondant à Islamabad – L'assassinat de l'ex-Premier ministre, le 27 décembre 2007, et l'arrivée au pouvoir de son mari, neuf mois plus tard, avaient fait espérer une évolution des pratiques politiques dans le pays. Deux ans après, il n'en est rien...

Quinze mois après son arrivée au pouvoir, en septembre 2008, le président pakistanais Asif Ali Zardari est un président isolé, affaibli et impopulaire. Réfugié dans son vaste palais qui trône au bout de la plus large avenue d’Islamabad, l'époux de feu Benazir Bhutto, l'ex-Premier ministre assassinée le 27 décembre 2007, se trouve dans une inextricable impasse politique et judiciaire.

Le 17 décembre, celui-ci a subi un nouveau revers, et non des moindres. Au terme d’une longue passe d’armes avec le président de la Cour suprême pakistanaise, Iftikhar Muhammad Chaudhry, l’ordonnance de réconciliation nationale, qui dispensait de poursuites judiciaires quelque 8 000 politiciens de haut rang soupçonnés de corruption, a été annulée. Parmi eux : Asif Ali Zardari et plusieurs de ses conseillers et ministres, notamment... Le texte avait été imposé au Parlement en 2007, sous la présidence de l'ancien président Pervez Musharraf. "Comment pourrions nous tolérer que ces gens demeurent à leurs postes sans s’expliquer devant la justice ? Ils doivent démissionner, clarifier leur situation et, s’ils sont blanchis, alors seulement ils pourront réintégrer leurs fonctions", commente Marvi Memon, une jeune députée d’opposition.

À l'heure actuelle toutefois, le président Zardari semble peu enclin à optempérer : brandissant le spectre d’une "trop grande instabilité" dans le pays s’il venait à se retirer, il refuse catégoriquement de démissionner...

En coulisses, l’armée tient les rênes

L'épisode n'a rien d'anodin : alors que l'élection d'Asif Ali Zardari avait soulevé l'espoir d'un changement de gouvernance dans le pays, il montre que l'arrivée au pouvoir d'un nouveau président ne s'est pas accompagnée des changements escomptés. En clair : l'administration reste rongée par la corruption, et le chef d’état-major des armées continue de tirer les ficelles en coulisses...

Aujourd'hui encore, l’armée demeure en effet un acteur incontournable de la vie politique pakistanaise, qui a connu quatre coups d'État en un peu plus de 60 ans. Le dernier a été perpétré par le général Pervez Musharraf en 1999. Celui-ci avait alors prétexté devoir intervenir pour protéger la nation d’"une classe politique corrompue et incapable de gouverner". De là dire que le pays se trouve actuellement dans une situation similaire, il n'y a qu'un pas que certains observateurs franchissent allègrement...

Selon eux, le général Ashfaq Kayani, chef d’état-major des armées, continue de jouer un rôle actif dans la politique intérieure pakistanaise. L’hiver dernier par exemple, il était sorti de sa réserve pour empêcher l’opposition et ses quelque 10 000 partisans de marcher sur le palais présidentiel.

Quoi qu'il en soit, à Islamabad, Kayani apparait chaque jour davantage comme le dernier gage de stabilité d'un Pakistan dirigé par une classe politique gangrenée par l’affairisme et la corruption. Si, officiellement, celui-ci n’entretient aucune ambition présidentielle, il a toutefois su se rendre indispensable au sein de l’administration. Attaché au système démocratique, il a par ailleurs réussi à s'attirer les bonnes grâces des diplomates occidentaux, si bien qu'il est devenu le principal interlocuteur de Washington et reçoit désormais seul ses homologues américains.

Sa marge de manœuvre est telle qu'il peut se permettre d'élaborer avec eux la stratégie de lutte contre la rébellion talibane et n’en informer le président Zardari qu’une fois les principales décisions arrêtées. De son côté, l’armée américaine, qui voit en Kayani un allié du Pentagone, juge son influence salutaire...

Face à une telle influence de l'armée, beaucoup n'hésitent donc pas à affirmer que l'État pakistanais reste sous la tutelle de la grande muette même si, en apparence, les partis politiques s’affrontent dans un prétendu jeu démocratique.

L'an prochain toutefois, le général Kayani, qui atteindra l'âge limite de l'exercice de sa fonction, devra céder sa place. En quelques mois, le Pakistan pourrait donc connaître deux bouleversements importants : la mise à la retraite, certaine, de son chef d'état-major, et le départ, plus hypothétique, de son président. Deux bouleversements qui risquent de plonger le pays un peu plus encore dans l'inconnu...