Hold-up des terres agricoles pour certains, véritable opportunité de développement pour les autres, l’achat des terres arables divise experts, politiques et autres responsables associatifs.Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
L'accaparement des terres arables s'est accéléré depuis quelques années, aux dépens parfois des paysans locaux. Une ruée qui se transforme en guerre entre les investisseurs pour l'acquisition des meilleures terres agricoles.
Des investisseurs en tous genres
Devenues la cible de toutes les convoitises, les grandes étendues fertiles sont dans le collimateur des multinationales et autres fonds d’investissements. On se souvient de la malheureuse aventure de Daewoo à Madagascar. La multinationale Sud-Coréenne s’était vue promettre 1,3 millions d’hectares (plus de la moitié des terres agricoles malgaches…), pour une durée de 99 ans, en échange de la création d’emplois et d’infrastructures. Une décision qui avait embrasé le pays et entraîné le renversement du président Ravalomanana.
La Chine fait figure de leader dans l’accaparement des terres arables. Parmi les pays qui investissent le plus, on compte entre autres l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud ou encore les Emirats Arabes Unis, tous en manque de terres agricoles pour nourrir leurs propres populations. Très dépendants de l’importation alimentaire, ils ont décidé d’investir directement dans l’achat de terres pour se prémunir contre la hausse du prix des denrées alimentaires et garantir leur sécurité alimentaire.
A Ajouter à la longue liste des investisseurs, certains particuliers qui veulent aussi leur part du gâteau. A l’image de Charles Beigbeder, devenu l’heureux propriétaire de 22 000 hectares de terres en Ukraine. En temps de crise des actions, la terre redevient une valeur sûre des marchés, un refuge pour qui veut investir sans prendre trop de risques.
Aucun continent épargné
On estime qu’en 2008, environ 10 millions d’hectares ont été cédés, principalement en Afrique et en Amérique du Sud. L’Asie, l’Europe de l’Est et l’Australie sont tout aussi concernées par ces transactions. Le Pakistan, l’Indonésie, l’Ukraine, ou encore la Roumanie sont les nouveaux greniers à céréales. Un phénomène qui s’accélère chaque année, en nombre de « deals » conclus mais aussi en proportion de surfaces cédées.
Comme l’explique Jeanne Zoundjihékpon, militante à l’ONG internationale GRAIN en Afrique francophone, l’accaparement des terres arables a de nombreuses conséquences néfastes sur les populations. « La terre est à la base de la vie sociale en Afrique. Si les paysans vendent leur terre, ce sont toutes les valeurs traditionnelles qui se perdent, tout le tissu social qui se déchire. Mais pas seulement, la sécurité alimentaire est aussi menacée. Les petits paysans dépendront de ce que les nouveaux exploitants produiront et des prix qui leur seront imposés. Les denrées alimentaires seront d’autant plus chères si la production agricole est destinée à la fabrication de biocarburants. Enfin, les monocultures pratiquées sur des surfaces importantes mettent directement en danger la biodiversité locale».
Un néocolonialisme agraire ?
Au Bénin, comme dans d’autres pays en Afrique, les transactions sont arrangées par des intermédiaires locaux. Ces « négociants » ont plus de facilité d’approcher les petits paysans, moins méfiants à l’égard des personnes de leur communauté. Rumeurs d’expropriation par l’Etat ou promesse de développement économique, ces « frères » ne manquent pas d’imagination pour convaincre les paysans de vendre leur parcelle. Des pratiques dénoncées par Nestor Mahinou, secrétaire exécutif de Synergie paysanne (syndicat paysan du Bénin). « Les paysans sont trompés par les mensonges de ces démarcheurs. Lorsque la vente est conclue, ils se retrouvent sans travail car les nouveaux exploitants ne les emploient pas. Ils sont alors obligés de quitter leur village pour aller chercher du travail en ville ».
Profitant de l’opacité du droit foncier des pays du Sud, les investisseurs sont très largement avantagés lors de ces transactions, qu’il s’agisse d’une vente ou d’une location. « Et les intermédiaires, eux, empochent une commission pouvant aller jusqu’à 50% du prix de la vente du terrain ! » poursuit Nestor Mahinou.
Le manque de devises et d’infrastructures agricoles modernes pousse les responsables politiques à faciliter l’entrée des multinationales étrangères. Une situation très grave qui préoccupe nombre d’associations locales et ONG internationales qui militent, en premier lieu, pour la modification des systèmes fonciers traditionnels. Car si aucune décision n’est prise afin de réguler la situation, cette course effrénée vers les terres arables risque de se transformer en catastrophe humaine.
Une enquête d'Alexandra Renard, Melissa Bell et Mounia Ben Aïssa.