La synthèse de neuf années de travaux du Giec sur le climat, publiée lundi, est venue rappeler la nécessité d'agir rapidement contre le dérèglement climatique. Alors que la possibilité de maintenir le réchauffement sous la barre des 1,5 °C semble s'éloigner, les experts rappellent que "chaque dixième de degré compte".
"L'humanité marche sur une fine couche de glace et cette glace fond vite", alertait le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, lundi 20 mars. Et cette glace fond d'autant plus vite que le réchauffement climatique s'accélere. D'ici aux années 2030-2035, il atteindra 1,5 °C par rapport à l'ère pré-industrielle, ont confirmé lundi 20 mars les experts du Giec dans leur nouveau rapport de synthèse, la somme des neuf dernières années de recherche représentant le consensus scientifique le plus à jour sur le climat.
Une annonce qui apparaît comme une énième mauvaise nouvelle pour la planète alors que depuis la COP21 de 2015 en France ce seuil des + 1,5 °C était brandi comme une boussole des politiques climatiques. "Depuis les Accords de Paris, l'objectif affiché des États est de maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C par rapport à l'ère pré-industrielle et de multiplier les efforts pour le limiter à 1,5 °C", rappelle Wolfgang Cramer, directeur de recherches au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité d'écologie marine et continentale. "Cela donnait un horizon et une cible précis pour les politiques climatiques."
"Et effectivement, aujourd'hui, en regardant les différentes trajectoires possibles et les faibles efforts mis en place par les gouvernements, il paraît très difficile de tenir ce second objectif", poursuit le spécialiste, qui avait été l’un des auteurs principaux d'un précédent rapport du Giec publié en février 2022.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Aujourd'hui, selon la synthèse publiée lundi, pour avoir une chance de maintenir le réchauffement à 1,5 °C, il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre d'environ 45 % d'ici 2030 par rapport à aujourd'hui. Cela reviendrait à connaître chaque année la même baisse que celle vécue en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, lorsque les économies du monde entier étaient à l'arrêt.
Une baisse colossale alors que la planète semble pour le moment prendre la trajectoire inverse. Selon le Giec, elle se dirige vers un réchauffement de 2,5 °C à la fin du siècle si les promesses faites par les États sont respectées, 2,8 °C en suivant leurs politiques actuelles.
Le réchauffement climatique, la "fièvre" de la planète
Mais pour autant, il ne faut pas tomber dans le fatalisme, s'accordent à dire les experts. "Car nos actions actuelles vont aussi déterminer l'ampleur du dérèglement climatique à plus long terme", explique Wolfgang Cramer. "L'objectif, toujours, c'est de parvenir à rester le plus bas possible."
"Cet objectif, de toute façon, c'était déjà trop… Nous le voyons aujourd'hui : nous sommes déjà à 1,2 °C de réchauffement et nous en subissons les conséquences avec la multiplication des canicules, sécheresses, inondations… ", poursuit-il.
Pour comprendre l'importance de ces fractions de degrés supplémentaires, le spécialiste établit un parallèle avec un humain souffrant de fièvre. Habituellement, la température corporelle d'un individu est de 37 °C. Si on y ajoute 1 °C, il sera souffrant et aura légèrement mal à la tête. À 2 °C, il souffrira encore davantage. Mais à 3 °C, cela peut devenir dangereux, surtout si la personne est vulnérable.
Il en va de même pour la planète. "Les conséquences ne seront pas les mêmes à chaque degré et dans les différentes parties du globe. Pour les plus vulnérables, les conséquences seront bien plus importantes que pour celles qui le sont moins", explique-t-il. "1,5 °C vaudra toujours mieux que 1,6 °C, qui sera toujours préférable à 1,7 °C. Chaque dixième de degré compte".
Première menace sur la biodiversité
Les illustrations des conséquences de cette "fièvre" de la planète sont nombreuses. Parmi elles : l'extinction de la biodiversité. Le Melomys de Bramble Cay, un petit rongeur qui vivait sur de petites îles entre l'Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée a ainsi déjà disparu à cause du réchauffement climatique. "Les scientifiques ont montré que sa disparition est due à la submersion de son habitat", détaillait à France 24 en décembre dernier Camille Parsesan, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des liens entre biodiversité et climat. "Nous avons aussi relevé la disparition de 92 espèces d'amphibiens, tués à cause de la prolifération d'un champignon. On a la preuve que celui-ci s'est développé parce que le dérèglement climatique, en modifiant les écosystèmes, lui a offert des conditions propices." Autre exemple flagrant : les coraux. À 1,5 °C, 70 à 90 % d’entre eux pourraient disparaître. À 2 °C, le chiffre monte à 99 %.
Aujourd'hui, selon l'IPBES – les experts biodiversité de l'ONU – plus d'un million d'espèces sont menacées de disparition et "le dérèglement climatique est en passe de devenir la menace la plus importante qui pèse sur elles". "Plus il s'accentue, plus les écosystèmes sont perturbés, avec des conséquences sur la faune et la flore", notent-ils dans un rapport publié en 2021.
"Des phénomènes météorologiques plus nombreux et plus intenses"
"Chaque degré supplémentaire se traduira aussi par des phénomènes météorologiques plus nombreux et plus intenses", insiste encore Wolfgang Cramer. "Avec toujours plus d'impacts pour les 3,3 milliards de personnes qui vivent dans des zones vulnérables."
Depuis quelques années, certains scientifiques travaillent en effet à la "science de l'attribution", qui vise à étudier les liens entre des phénomènes météorologiques extrêmes et le dérèglement climatique. À travers leurs travaux, ils confirment que les canicules, inondations ou ouragans augmentent en intensité, en ampleur ou encore en fréquence en lien avec le réchauffement climatique. Ils estiment, par exemple, que cela a rendu la canicule qui a touché l'Inde et le Pakistan en mars et en avril 2022 trente fois plus probable.
"Face à ces menaces, nos efforts doivent aussi permettre de ralentir au maximum le réchauffement", abonde de son côté Gerhard Krinner, glaciologue et l’un des auteurs du résumé à l’intention des décideurs publié lundi. "C'est tout aussi important. Plus le réchauffement ira vite, moins la population aura de temps pour s'adapter. Cela augmentera le risque de pénuries, de famines ou de conflits."
Sans compter, note le glaciologue, que certains changements seront irréversibles et doivent donc intervenir "le plus tard possible". "Une espèce éteinte, par exemple, ne pourra pas réapparaître", cite-t-il. "Un glacier fondu aura énormément de mal à se recréer. La montée des eaux, quant à elle, va se poursuivre pendant des siècles plus ou moins vite en fonction du réchauffement."
La peur des points de bascule
Enfin, les deux spécialistes mettent en garde contre les "points de bascule". "Ces événements, dont il est très difficile de savoir à quel stade du réchauffement climatique ils pourraient survenir et qui auraient des conséquences majeurs pour la planète", insiste Wolfgang Cramer.
"C'est le cas, par exemple, de la déstabilisation de la calotte glaciaire antarctique. La probabilité que cela arrive aujourd'hui est faible mais augmente avec le réchauffement avec des réels risques d'une accélération énorme de la hausse du niveau de la mer entre 1,5°C et 2°C." Concrètement, si les sols gelés (le pergélisol) de l'Antarctique venait à fondre, il libèrerait des milliards de gaz à effet de serre stockés dans sa glace. Cela réchaufferait alors la planète et accélérerait encore la fonte de la glace – un cercle vicieux. Parmi les autres exemples souvent cités : la transformation de la forêt amazonienne en savane ou encore la fonte de la calotte du Groënland.
Tous ces scénarios peuvent être évités, martèlent les deux spécialistes. "Aujourd'hui, nous avons de nombreuses solutions en main, qui sont disponibles et efficaces, pour ralentir et limiter le dérèglement climatique. Les obstacles ne sont plus de l'ordre de l'innovation mais politiques", termine Wolfgang Cramer. "Les efforts que nous faisons maintenant feront toute la différence à long terme et peuvent encore nous éviter ces dixièmes de degrés supplémentaires", termine Gerhard Krinner.