En région parisienne, des volontaires utilisent une technique japonaise pour créer des "mini-forêts". Leur objectif : que ces petits espaces verts participent à ralentir le réchauffement climatique, favorisent la biodiversité et permettent de lutter plus efficacement contre les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes dans la capitale.
Par un pluvieux samedi de janvier dans la banlieue sud de Paris, Kader, 9 ans, s'affaire une pelle à la main. Dans le vrombissement des moteurs de voitures provenant de l'autoroute située à quelques mètres de là, il tente de creuser un trou pour planter un arbuste, à peine plus grand que lui. Au bout de quelques minutes, il jette la pelle et dégage la terre, transformée en boue par la pluie, directement avec ses mains.
À côté de lui, sa grand-mère et une dizaine d'autres volontaires de tout âge, bonnet sur la tête et bottes aux pieds, exécutent les mêmes gestes. Tous ont répondu à l'appel de l'association Boomforest. Depuis quelques années, elle est à l'initiative de la création de "micro-forêts" en zones urbaines, notamment dans la région parisienne. Après Nanterre, Cergy-Pontoise et le XVIIIe arrondissement de la capitale, c'est désormais à Chevilly-Larue, dans le Val-de-Marne, qu'elle veut recréer un espace forestier.
"J'ai sauté sur l'occasion de faire quelque chose de concret pour lutter contre le dérèglement climatique et de montrer à mon petit-fils comment planter des arbres", explique Grazia Valla, 79 ans, la grand-mère de Kader. "Il adore le potager partagé de Chevilly. À chaque fois que je m'occupe de lui, il réclame d'y aller", poursuit-elle, jetant un regard affectueux vers le petit garçon. "C'était dans la continuité de son intérêt pour les arbres et les plantes."
"C'est vraiment quelque chose de spécial de planter un arbre", témoigne, de son côté, Maxim Timothée, 31 ans. "Un arbre, ce n'est pas un objet et c'est dans ces moments-là qu'on s'en rend compte. Maintenant, je me sens lié à la vie de cet arbre : je veux le protéger car c'est moi qui l'ai planté."
La méthode Miyawaki
Les micro-forêts comme celle qui verra bientôt le jour à Chevilly-Larue s'inspirent de la méthode Miyawaki - du nom du botaniste japonais Akira Miyawaki qui l'a mise au point dans les années 1970. En étudiant les arbres que les Japonais laissent pousser naturellement autour des temples ou des sanctuaires, il s'est rendu compte qu'ils formaient des forêts, certes modestes en taille, mais qui ne nécessitent aucun entretien et qui, surtout, sont plus résistantes que celles créées par une volonté humaine.
À partir de ce constat, il a donc inventé une méthode destinée à recréer autant que possible ces espaces forestiers "natifs", qui auraient poussé dans un endroit donné si celui-ci n'avait jamais été modifié par l'Homme. Elle tient en trois grands principes : le sol doit être riche, les arbres plantés de façon dense - trois par mètre carré - et les espèces locales doivent être privilégiées.
Les avantages à la clé seraient nombreux : selon Boomforest, ces forêts grandiraient jusqu’à dix fois plus vite que les plantations classiques, contribuant ainsi à rafraîchir les zones où elles sont plantées, captant davantage de CO2, et offrant un nouveau nid de biodiversité.
Autant de promesses qui ont permis à la méthode Miyawaki de s'exporter aux quatre coins du globe. Des micro-forêts ont vu le jour en Amérique du Sud, au Liban, en Jordanie, en Inde et, depuis quelques années, en Europe. En France, Boomforest est donc à l'initiative de divers projets aux portes de Paris mais d'autres plantations sont sorties de terre à Toulouse, Bordeaux ou encore Mulhouse.
En Seine-Saint-Denis, la ville de Montreuil a vu naître l'un des premiers projets français du genre en 2018 grâce au budget participatif de la Ville de Paris. Situé entre les étals du marché aux puces et le périphérique, "environ 95 % des 1 200 jeunes arbres qui y ont été plantés ont survécu", selon Guillaume Dozier, bénévole pour Boomforest. "Les arbres ont maintenant atteint une hauteur de près de quatre à cinq mètres", se réjouit-il, ajoutant que la biodiversité de la micro-forêt est désormais en pleine expansion. "Chaque fois que nous y allons, nous remarquons qu'il y a de plus en plus d'insectes et d'oiseaux qui n'étaient pas là avant."
Comme à Montreuil, les volontaires de Chevilly-Larue suivent strictement les recommandations du botaniste nippon. Ils plantent donc les jeunes arbustes à quelques centimètres les uns des autres. "Il a été démontré que la plantation d'un seul arbre a le même effet rafraîchissant que dix climatiseurs. Mais les arbres sont sociaux et se portent beaucoup mieux lorsqu'ils sont plantés en compagnie d'autres arbres, explique Guillaume Dozier. Ils se donneront mutuellement de l'ombre et pourront échanger de l'eau, des nutriments et des informations. Si l'un d'entre eux est attaqué par une espèce invasive, il pourra prévenir les autres. Par exemple, ils rendront leurs feuilles amères pour les rendre moins comestibles pour l'attaquant."
Chênes, frênes, hêtres et saules au centre, noisetiers, houx, fusain sur les bords… Tous les jeunes arbres plantés sont aussi des espèces locales françaises, adaptés au climat de la région, assure par ailleurs Boomforest. Au total, quinze espèces différentes de plantes seront utilisées pour cette micro-forêt.
Rafraîchir la capitale
Outre les bienfaits pour l'environnement, à travers ces projets, les défenseurs de la méthode Miyawaki espèrent pouvoir rafraîchir Paris, en première ligne lors des épisodes de canicules de plus en plus fréquents. À l'été 2022, le mercure a dépassé à plusieurs reprises les 40 °C à Paris : une fournaise alors que la capitale ne compte que 9 % d'arbres. Pour faire face, la mairie de Paris a donc promis de planter 170 000 arbres d'ici 2026, en suivant essentiellement la méthode nippone.
Pour mener à bien ce projet, encore faudra-t-il trouver les espaces disponibles, nuance cependant Guillaume Dozier. "Le problème de Paris, c'est que c'est un peu une ville musée…", déplore-t-il.
Face à l'expansion des micro-forêts, quelques voix dissonantes se font cependant entendre. Certains chercheurs pointent notamment du doigt le coût engendré par leur mise en place - 3 000 euros les 100 m² selon Boomforest - et émettent des doutes quant à leur pérennité. En Europe, l’une des rares études scientifiques (2010) sur l’efficacité de la méthode Myawaki, réalisée dans une micro-forêt en Sardaigne, fait ainsi état d’une mortalité des arbres comprise entre 61 et 84 % au bout de douze ans.
Les chiffres et bienfaits souvent avancés par les promoteurs de la méthode - biodiversité plus riche, gros stockage du carbone - sont par ailleurs largement tirés des publications du botaniste japonais et de ses partisans et peu d'études tierces existent.
À la fin de l'après-midi, malgré la pluie de plus en plus lourde, Kader, Grazia, Maxim et les autres volontaires sont parvenus à planter des arbres sur environ 250 m². À terme, c'est près de 800 m² qui devraient être reboisés. Au cours des prochains mois, les volontaires de Boomforest reviendront à plusieurs reprises à Chevilly-Larue pour observer le développement de la nouvelle forêt et assurer son entretien. Avec un espoir : que dans 10 ans, elle ressemble à une forêt centenaire. "J'espère que mon petit-fils viendra s'y promener et qu'il se dira : 'Eh, j'ai vraiment fait quelque chose ici'", conclut Grazia Valla.
Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.