
À l’approche d’un nouveau train de sanctions de l’Union européenne vis-à-vis de Téhéran, l’inquiétude monte d'un cran chez les proches des prisonniers français détenus en Iran. Les familles redoutent que la République islamique ne les instrumentalise encore un peu plus. Témoignages.
"Difficile de parler et dire ce que l’on a sur le cœur sans prendre le risque de mettre nos proches dans des positions plus difficiles encore, commente Blandine, la sœur de Benjamin Brière, arrêté en mai 2020 et condamné à huit ans et huit mois de prison pour espionnage car accusé d'avoir photographié des zones interdites avec un drone de loisir dans un parc naturel. Bien sûr, les sanctions européennes sont peut-être porteuses d’espoir pour le peuple iranien, mais elles le sont peut-être moins pour nos proches. En fait, on ignore les conséquences que des sanctions européennes peuvent avoir sur les détenus européens. D’ailleurs, des familles préfèrent garder le silence pour ne pas entraver les efforts diplomatiques déployés par la France. Nous, on accepte de parler, mais on est effrayés par ce qui se passe."
Les dernières nouvelles de Benjamin Brière ne sont pas rassurantes. Le froid qui perce à travers les carreaux cassés de sa cellule et l'attente fébrile au milieu de codétenus condamnés à mort, ont entamé le moral du prisonnier de 37 ans, très probablement victime de la diplomatie des otages, que pratique périodiquement la République islamique depuis 1979. "Il ne cherche plus à nous cacher la réalité pour ne pas qu’on s’inquiète. Il est à bout de souffle".

Sept détenus connus des autorités françaises
Comme Benjamin Brière, au moins six autres ressortissants français sont actuellement détenus en Iran. Parmi eux, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, arrêtée en juin 2019 puis condamnée à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale. Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris ont été interpellés en mai alors qu'ils faisaient du tourisme en Iran. Bernard Phelan, franco-irlandais de 64 ans, souffrant de problèmes de cœur et d’une pathologie des os, a lui été arrêté le 3 octobre alors qu’il effectuait un déplacement dans le cadre de ses activités de consultant pour un tour opérateur. Trois autres ressortissants, dont les familles ont choisi de garder l’anonymat, sont également détenus dans des geôles iraniennes.
En tout, ce sont plus d'une vingtaine de ressortissants de pays occidentaux, binationaux pour la plupart, qui sont détenus ou bloqués en Iran. Face aux arrestations arbitraires et aux exécutions sommaires qui se multiplient dans le pays depuis l’arrestation de Mahsa Amini il y a plus de quatre mois, le Parlement européen a accru la pression sur Téhéran en approuvant, notamment le 18 janvier, un texte qui appelle l'Union européenne à désigner le corps des Gardiens de la révolution (IRGC) comme organisation terroriste. Une telle requalification est actuellement étudiée par Bruxelles. La démarche pourrait obtenir l’appui de la France.

"On vit au rythme de l’actualité"
Mais elle ne serait pas sans conséquences pour les otages français. Le chef des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique de la République islamique, a d'ailleurs mis en garde, samedi 21 janvier, l'Union européenne contre l'"erreur" que constituerait à ses yeux de les ajouter sur la liste des organisations terroristes. Des déclarations assidûment suivies par les familles. "On vit au rythme de l’actualité, raconte Noémie, la petite sœur de 33 ans de Cécile Kohler. On regarde plusieurs fois par jours l’actualité sur les sites français et iraniens. C’est difficile de ne pas être inquiets quand on voit le grand nombre de condamnations et d’exécutions. La peine infligée au ressortissant belge, condamné à 40 ans de prison et 74 coups de fouets, nous terrifie. Nos proches sont pris dans une escalade de tensions qui les dépassent. Et l’on est impuissants. À notre niveau, on attend juste de pouvoir avoir des nouvelles. De savoir comment Cécile va."
Les quelques informations qui filtrent à travers les dédales de l’administration carcérale iranienne sont maigres. Incarcérée depuis le 7 mai dernier, l’enseignante agrégée de lettres modernes, originaire de Soultz, n’a été autorisée à joindre par téléphone ses parents que le 18 décembre. Un appel vidéo de quelques minutes sous surveillance au cours duquel elle n’a pas pu parler librement. Sous le voile, la jeune femme en pleurs, apparaît physiquement épuisée. Dans la section 209 de la prison d’Evine, elle a d’abord été placer à l'isolement dans une cellule de haute sécurité avant de rejoindre des codétenues qui vont et viennent au gré des condamnations. Pas d’avocat indépendant, peu de visites consulaires. Et les livres qu’elle a demandés à sa famille lors de son appel ne lui sont toujours pas parvenus. Juste trois sorties de sa cellule par semaine dans la cour de la prison. "Ses conditions de détention sont épouvantables. Donc on ne veut pas commenter d’éventuelles sanctions au risque de compromettre ses chances de libération ou la mettre plus encore en difficulté".
Même infortune pour Fariba Adelkhah détenue elle aussi à Evine. La spécialiste du chiisme et de l’Iran postrévolutionnaires à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris a été arrêtée en juin 2019 puis condamnée en mai 2020 à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale. Assignée à résidence depuis octobre 2020 à Téhéran, avec obligation de porter un bracelet électronique, elle a été réincarcérée en janvier 2022 pour avoir enfreint ces règles, selon les autorités judiciaires. "Fariba a pu constater l’intensification des arrestations depuis sa cellule où les détenues sont toujours plus nombreuses, explique Sandrine Perrot, membre du comité de soutien de la première heure. Des dizaines de détenues vivent dans une seule grande cellule dans des conditions de promiscuité et d’insalubrité évidentes. La surpopulation carcérale entraîne des vrais problèmes sanitaires". Si la chercheuse franco-iranienne peut compter sur la visite de sa famille iranienne et de son avocat ou consulter quelques livres d’une bibliothèque pour garder le moral, elle ne peut en revanche pas passer d’appels à l’étranger ni recevoir de courrier. Et souffre de ne pas voir d’amélioration de sa situation.

"On attend un véritable front européen"
Contrairement aux autres familles, le comité de soutien de Fariba Adelkhah regrette que la question politique des détenus ne soit pas davantage médiatisée. "On parle constamment dans les médias des enjeux sur le nucléaire ou de la position de la Russie engagée dans la guerre en Ukraine par rapport à l’Iran, mais pas ou peu des otages français qui sont une véritable monnaie d’échange pour l’Iran", poursuit Sandrine Perrot. On voit que la diplomatie française fait, de son côté, des efforts, mais on ne voit pas l’Europe faire bloc sur cette question alors qu’il y a maintenant une dizaine d’otages européens. On attend un véritable front européen". Quant à la question des sanctions, Sandrine Perrot a l’impression qu’elles affectent davantage le quotidien des Iraniens qu’elles n’affaiblissent le régime. "Cette question a changé l’ambiance dans les prisons. Le personnel pénitentiaire sous pression, lui aussi, montre des signes de tension quand ils ne sont pas d’accord entre eux, par exemple. La situation pèse aussi naturellement sur les détenus. La perspective de nouvelles sanctions fait monter un peu plus l’angoisse des prisonniers".
Déterminés à conjurer l’arbitraire des arrestations, les proches des détenus français, condamnés à l’attente et l’angoisse, veulent agir. Les familles et comités de soutien de Fariba Adelkhah, Benjamin Brière et Cécile Kohler organisent un rassemblement "symbolique et pacifique" le samedi 28 janvier, à 14 h 00, sur le parvis des Droits de l’Homme à Paris, pour que les sept otages français ne tombent pas dans l’oubli. "On a tissé des liens entre proches des détenus. Et on est tous bien décidés à faire tout ce qui est possible pour les sortir de ces situations absurdes".