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Corruption, argent liquide et aveux : le Who’s who du Qatargate

Rebondissement spectaculaire dans le Qatargate, l’affaire de corruption présumée au Parlement européen : l'ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, placé en détention depuis le 9 décembre, a accepté, mardi, de collaborer avec la justice belge et de dire tout ce qu’il sait sur le scandale. Un coup de théâtre pour tous les acteurs de l’affaire.

L'enquête dirigée par le parquet fédéral belge sur le "Qatargate" a connu, cette semaine, un rebondissement qui devrait permettre aux enquêteurs de progresser rapidement.

L’ancien eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, qui avait été interpellé à Bruxelles le 9 décembre, a décidé de collaborer avec la justice. Son arrestation avait eu lieu en même temps que celles de l'élue socialiste grecque Eva Kaili – alors une des vice-présidentes du Parlement européen –, de son assistant parlementaire italien, Francesco Giorgi – compagnon d’Eva Kaili – et de Niccolo Figa-Talamanca, un ressortissant italien responsable d'ONG.

En plus de ces quatre personnes toujours en détention et mises en examen pour "appartenance à une organisation criminelle", "blanchiment d'argent" et "corruption", deux eurodéputés, Andrea Cozzolino et Marc Tarabella, sont en passe de perdre leur immunité.

Alors que le grand déballage ne fait que commencer, France 24 revient sur ces individus soupçonnés d'avoir perçu de grosses sommes d'argent liquide pour influencer les déclarations et prises de décision politiques au sein de l’institution européenne en faveur de puissances étrangères, dont le Qatar et le Maroc. À la fois Doha et Rabat ont fermement démenti ces allégations.

  • Pier Antonio Panzeri

Le Soir, le quotidien belge à l'origine des révélations sur le "Qatargate", présente désormais Pier Antonio Panzeri, incarcéré depuis cinq semaines, comme "une bombe humaine au service de la justice et de la vérité".

L’ex-député européen italien (2004-2019) a en effet décidé de collaborer avec la justice belge, s’engageant à tout révéler dans un dossier où il reconnaît sa culpabilité. 

En obtenant ce statut de repenti, il sera condamné à une peine de prison ferme "limitée". Son avocat, Laurent Kennes, a précisé à l'AFP que cette peine négociée avec le parquet n'excéderait pas un an ferme, dont une partie sous bracelet électronique.

"Il a envie de déballer, il veut voir le bout du tunnel", a ajouté l'avocat sur la chaîne francophone RTBF, soulignant que son client avait "reconnu avoir été l'un des dirigeants d'une organisation criminelle (...) en lien avec le Qatar et le Maroc".

Corruption, argent liquide et aveux : le Who’s who du Qatargate

Dans les rangs de la gauche depuis quinze ans, Pier Antonio Panzeri aurait, selon l'enquête belge, utilisé son ONG Fight Impunity, qui promeut "la lutte contre l'impunité pour de sérieuses violations des droits humains", pour construire, grâce aux contacts noués au cours de ses mandats politiques, une carrière de lobbyiste au profit du Qatar.

Toujours selon l'enquête belge, Fight Impunity devait approcher des personnalités ayant une certaine aura dans le domaine des droits sociaux afin d'améliorer l'image du Qatar.

Lors de son arrestation le 9 décembre, la police belge a découvert à son domicile bruxellois 600 000 euros en espèces, tandis que 17 000 euros ont été retrouvés dans sa maison familiale à Calusco d'Adda (dans le nord de l'Italie).

Pier Antonio Panzeri et sa famille "possèdent un patrimoine important composé de comptes courants communs et de biens immobiliers qui ne peuvent se justifier qu'avec la riche prérogative collectée en dix ans de mandat parlementaire européen", a indiqué le quotidien italien Corriere della Serra, le 22 décembre.

  • Eva Kaili

Inculpée le 11 décembre pour "appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d'argent et corruption" au sein du Parlement européen au profit du Qatar, Eva Kaili a été interpellée en flagrant délit, et par conséquence n'a pu invoquer l'immunité parlementaire. Lors de son arrestation, le 9 décembre, des sacs remplis de billets de banque d'une valeur de 150 000 euros ont été découverts dans son appartement à Bruxelles. Elle est toujours en détention en Belgique.

Corruption, argent liquide et aveux : le Who’s who du Qatargate

Née en 1978, Eva Kaili est une ancienne présentatrice de télévision, devenue, à 29 ans, la plus jeune députée du Parlement grec, sous l’étiquette du Parti socialiste (Pasok-Kinal). Un parti dont elle était devenue, au fil des ans, une figure controversée en raison de ses accointances avec la droite, et dont elle est aujourd'hui "écartée".

En 2014, elle est élue au Parlement européen. Elle conserve son siège en 2019 et devient, en janvier 2022, vice-présidente de l'organe législatif de l'Union européenne.

Fin novembre, quelques jours après le début du Mondial-2022 organisé par le Qatar, critiqué de toutes parts en raison de soupçons de corruption et des droits bafoués des travailleurs étrangers, Eva Kaili avait pris la parole à la tribune du Parlement européen pour défendre l'émirat gazier. Elle l'avait notamment qualifié de "chef de file en matière de droit du travail" tout en ironisant sur les soupçons de corruption entourant l’attribution de la compétition.

➡️Eva Kaïli, le 21 novembre dernier, défendait le Qatar contre les critiques sur son bilan en matière de droits du travail. Elle est aujourd'hui interpellée par la police dans le cadre d'une enquête sur la corruption impliquant le Qatarhttps://t.co/3FdcybelkG pic.twitter.com/b8aXSZNTa4

— LN24 (@LesNews24) December 11, 2022

Elle a très rapidement été destituée de sa fonction de vice-présidente de l’institution européenne, alors qu’elle rejette les accusations à son encontre et a affirmé, par l’intermédiaire de son équipe de défense, qu'elle était innocente.

Son père, surpris en train de transporter une grosse somme en liquide dans une valise, a été interrogé puis libéré.

  • Francesco Giorgi

Présenté par les médias belges comme "un suspect majeur de la vaste opération anticorruption du parquet fédéral", Francesco Giorgi, assistant parlementaire de l'eurodéputé Andrea Cozzolino et spécialiste des questions de droits humains, est le compagnon de l'eurodéputée socialiste Eva Kaili.

Corruption, argent liquide et aveux : le Who’s who du Qatargate

Cette dernière "ne connaissait pas l'existence" des sacs remplis de billets de banque qui ont été découverts dans son appartement à Bruxelles, selon son avocat grec Michalis Dimitrakopoulos, qui a pointé du doigt Francesco Giorgi, accusé d’avoir "trahi la confiance" de sa compagne.

En Grèce, un compte bancaire commun du couple a été saisi par la justice, ainsi qu'un terrain de 7 000 m2 sur l'île de Paros acheté grâce à ce compte.

Détenu depuis cinq semaines, Francesco Giorgi fait partie des responsables de l'ONG Fight Impunity, dont le président n'est autre que Pier Antonio Panzeri.

Le 22 décembre, l’agence Reuters a appris de deux personnes proches du dossier que Francesco Giorgi aurait admis avoir accepté des pots-de-vin de Doha afin d'influencer les décisions du Parlement européen à l'égard du Qatar.

Toujours selon Reuters, les deux eurodéputés Marc Tarabella et Andrea Cozzolino, qui risquent de perdre leur immunité à la demande de la justice belge, ont été les cibles d'accusations formulées par Francesco Giorgi.

  • Niccolo Figa-Talamanca

Quatrième mis en examen, le ressortissant italien Niccolo Figa-Talamanca a également été interpellé le 9 décembre et placé en détention, puis s’est vu accorder, le 14 décembre, une libération sous bracelet électronique. Mais cette mesure a finalement été suspendue, le parquet fédéral ayant interjeté appel.

Le 27 décembre, la chambre des mises en accusation a décidé de "remplacer la modalité du bracelet électronique (...) par une prolongation simple de la détention préventive".

À Bruxelles, l’ONG dont il est le responsable, No Peace Without Justice, créée par l'ancienne commissaire européenne (1995-1999) et figure de la gauche libérale italienne Emma Bonino, partage ses bureaux avec l'ONG de Pier Antonio Panzeri, Fight Impunity.

  • Marc Tarabella

Le domicile de l’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, 59 ans, a été perquisitionné le 10 décembre dans le cadre de l'enquête qui a donné lieu à 20 perquisitions entre le 9 et le 12 décembre en Belgique, sans qu’aucun argent liquide n'y soit découvert. Son ordinateur et son téléphone ont été saisis.

Le 13 décembre, le Parti socialiste belge décide de suspendre Marc Tarabella de sa qualité de membre le temps de l’enquête. "Je n'ai rien à me reprocher", déclare-t-il le même jour, après avoir été entendu par la Commission de vigilance du PS belge. "Et si la justice m'appelle, je serai à sa disposition", ajoute-t-il.

Le 2 janvier, le Parlement européen a annoncé avoir lancé une procédure d'urgence, à la demande des autorités judiciaires belges, pour lever son immunité.

Corruption, argent liquide et aveux : le Who’s who du Qatargate

D’après le quotidien belge L'Écho, Pier Antonio Panzeri a déclaré aux enquêteurs avoir donné plus de 120 000 euros en liquide à Marc Tarabella, en plusieurs fois, pour son aide dans les dossiers liés au Qatar.

Mardi 17 janvier, Maxim Töller, avocat de l’élu belge, a vivement contesté que son client puisse être l'un des "corrompus". "Que ce soit cadeau ou argent, monsieur Tarabella n'a rien reçu", a soutenu l'avocat à l'AFP, affirmant que les déclarations de Pier Antonio Panzeri aux enquêteurs étaient fausses.

L'élu socialiste admet cependant avoir effectué, en février 2020, un voyage payé par le Qatar, sans le déclarer auprès du Parlement comme il en avait l'obligation.

"Il était invité (...) pour un congrès. C'est l'organisation qui a payé", a indiqué son avocat Maxim Töller sur la chaîne belge RTL. "Il va régulariser les choses (...). Il n'y a rien d'illégal à avoir un voyage payé par une organisation", a-t-il insisté, précisant que l'élu "a été voir la construction des stades et a demandé à rencontrer des travailleurs".

En novembre, Marc Tarabella avait souligné dans l'hémicycle européen "l'évolution positive" des droits humains au Qatar.

  • Andrea Cozzolino

Comme pour Marc Tarabella, le Parlement européen devrait se prononcer mi-février sur la levée d’immunité d’Andrea Cozzolino, eurodéputé italien (Parti démocratique).

Le Napolitain, né en 1962, avait pour assistant parlementaire Francesco Giorgi, le compagnon de l'eurodéputée socialiste grecque Eva Kaili, qui aurait formulé des accusations contre lui dans le cadre de l’affaire.

Décrit par la presse belge comme "très proche de Pier Antonio Panzeri", dont il a pris la suite à la présidence de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb au Parlement européen, Andrea Cozzolino indique vouloir être entendu par la Commission des affaires juridiques, à huis clos, "où il réaffirmera sa totale innocence et répondra à toutes les questions".

Le 12 décembre, le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D) du Parlement européen a décidé de le suspendre de sa responsabilité de coordinateur. Le 16 décembre, le Parti démocrate italien le suspend à son tour, "à titre préventif", du registre de ses membres "jusqu'à la clôture des enquêtes en cours concernant le scandale du ‘Qatargate’", de sorte à "protéger l'image du parti".

"La demande de levée d’immunité adressée au Parlement européen par la Belgique consiste en quelques lignes et ne constitue qu’une hypothèse d’enquête, qui ne semble d’ailleurs même pas concerner notre client puisque rien ni personne ne l’implique directement dans des faits de corruption", ont réagi ses avocats dans un communiqué transmis à la presse.

  • Luca Visentini

Libéré sans charge mais sous contrôle judiciaire, le 11 décembre, après deux jours de garde à vue, Luca Visentini, patron de la Confédération syndicale internationale, a admis le 20 décembre avoir reçu de Fight Impunity, l'ONG présidée par Pier-Antonio Panzeri, un don en espèces d'environ 50 000 euros.

Mais il a assuré que ce don n'était lié à aucune tentative de corruption ou trafic d'influence au profit du Qatar.

À propos de ce "don en espèces", il indique l'avoir accepté "en raison de la qualité du donateur et de son caractère non lucratif". "On ne m'a rien demandé et je n'ai rien demandé en échange de l'argent et aucune condition n'a été posée pour ce don", assure-t-il.

"Si j'avais été corrompu ou si j'étais un corrupteur, mes positions politiques auraient été très favorables au Qatar, mais les jours précédents, j'avais déclaré que les réformes faites dans ce pays étaient totalement insuffisantes", a confié au Corriere della Serra le syndicaliste de 53 ans après sa libération.

"Suspendu" de ses fonctions par l'organe de direction du syndicat, il est tenu d’informer les autorités s’il devait quitter l’UE.