![Comment le Pérou est entré dans une zone de turbulence politique Comment le Pérou est entré dans une zone de turbulence politique](/data/posts/2022/12/14/1671019624_Comment-le-Perou-est-entre-dans-une-zone-de-turbulence-politique.jpg)
De son élection à sa récente sa mise en détention provisoire, le président péruvien Pedro Castillo a gouverné un peu plus d'un an un pays politiquement divisé. Sous le coup de plusieurs enquêtes judiciaires, il a été destitué par le Parlement et remplacé par Dina Boluarte. Mais la colère gronde dans la rue, et les manifestations réclamant de nouvelles élections ont déjà fait plusieurs morts. Retour sur les événements ayant conduit à cette situation.
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Pedro Castillo devient président d'un Pérou déjà politiquement "très divisé"
L'ambiance est déjà à la division lors du second tour de l'élection présidentielle au Pérou, en juin 2021. Deux candidats aux antipodes – n'ayant recueilli à eux deux que 32 % des voix au premier tour – se font face : l'instituteur novice Pedro Castillo et l'expérimentée Keiko Fujimori, 45 ans, candidate malheureuse au second tour en 2011 et 2016. Ce scrutin est alors le symbole d'"un pays très divisé", en proie à une crise politique et sociale, selon Gustavo Pastor, chercheur à l’Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes.
L'une prône le libéralisme économique, fidèle au courant fujimoriste de son père, l'ex-président Alberto Fujimori (1990-2000). L'autre, syndicaliste qui avait pris en 2017 la tête d'un mouvement de grève des enseignants, préconise un rôle actif de l'État en matière économique, y compris le recours aux nationalisations. Pedro Castillo défend également un changement de Constitution pour mettre fin aux abus du libéralisme. Keiko Fujimori, elle, défend la Constitution actuelle, promulguée par son père en 1993 et favorisant l'économie de marché.
Pedro Castillo est finalement élu puis proclamé nouveau président du Pérou en juillet 2021. Sa rivale pointe d'abord des "indices de fraude", avant de reconnaître sa défaite. La mission d'observation de l'Organisation des États américains (OEA), les États-Unis et l'Union européenne estiment quant à eux que le scrutin au Pérou a été libre et transparent.
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Pedro Castillo promet un pays "sans corruption"... avant d'être visé par six enquêtes judiciaires
Pedro Castillo prête serment en juillet 2021. "Je jure devant les peuples du Pérou, pour un pays sans corruption et pour une nouvelle Constitution", déclare-t-il alors. Il entend aussi rassurer ses détracteurs, notamment les milieux d'affaires : "Pendant la campagne électorale, on a dit que nous allions exproprier. C'est totalement faux. Nous voulons que l'économie soit en ordre".
Mais le nouveau président péruvien rencontre rapidement plusieurs obstacles : il novice en politique et des luttes internes divisent son parti, les attaques de l'opposition sont incessantes et les dissensions récurrentes au sein des ses différents gouvernements. Six mois après le début de sa présidence, Pedro Castillo a déjà nommé quatre Premiers ministres et son impopularité atteint un niveau record de 69 %.
En plus du chaos institutionnel, la justice ouvre plusieurs enquêtes pour des soupçons de corruption ou de trafic d'influence impliquant directement le président ou son entourage.
Des perquisitions sont effectuées au secrétariat général de la présidence, et même dans la résidence familiale des Castillo. La justice a déposé un recours constitutionnel l'accusant du délit d'organisation criminelle de corruption. C'est la première fois qu'un président en exercice au Pérou est visé par un tel recours.
Au total, Pedro Castillo fait l'objet de six enquêtes distinctes. Il peut faire l'objet d'enquêtes mais bénéficie pour l'heure d'une immunité jusqu'à la fin de son mandat, en juillet 2026. Le président péruvien nie toutes les accusations contre lui et sa famille, affirmant être victime d'une campagne destinée à le chasser du pouvoir.
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Deux tentatives de destitution avortées, une troisième réussie
Ces enquêtes suscitent la colère au Pérou. Des manifestations à l'appel d'organisations politiques et civiles demandent la démission du président. Le Parlement, dominé par l'opposition de droite, débat par deux fois de procédures de destitution pour "incapacité morale" – elles ont déjà fait chuter deux présidents en exercice, Pedro Pablo Kuczynski (droite) en 2018 et Martin Vizcarra (centre) en 2020. Ces procédures sont toutefois rejetées en décembre 2021, puis en mars 2022.
Une troisième tentative de destitution a lieu début décembre. Pedro Castillo ordonne la dissolution du Parlement, le 7 décembre, quelques heures avant que celui-ci ne se réunisse. Dans sa déclaration solennelle à la télévision, il annonce un "gouvernement d'exception". La vice-présidente, Dina Boluarte, et d'autres personnalités dénoncent "un coup d'État". Washington exige que Pedro Castillo revienne sur sa décision. L'armée péruvienne, autrefois impliquée dans des coups d'État ou ayant soutenu des régimes autoritaires, ne bronche pas.
Le Parlement ignore l'ordre de dissolution et vote sa destitution peu après, à une large majorité – 101 des 130 parlementaires, dont 80 de l'opposition. Dina Boluarte, issue du même parti d'inspiration marxiste que Pedro Castillo (Peru libre), est investie à la tête du pays.
Le président destitué est arrêté par son propre garde du corps. Une enquête pour "rébellion" et "conspiration" est ouverte contre lui, s'ajoutant aux six autre enquêtes le visant. La justice ordonne sept jours de détention provisoire. Pedro Castillo fait une demande officielle d'asile au Mexique, qui dit consulter le gouvernement péruvien.
Le 8 décembre, les États-Unis félicitent le Pérou d'avoir garanti la "stabilité démocratique" et s'engagent à travailler avec la nouvelle présidente.
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Pedro Castillo "ne renoncera jamais", des manifestations mortelles
Après la destitution et la mise en détention provisoire de Pedro Castillo, de nombreuses manifestations rassemblent des partisans de l'ancien président éclatent à Lima et dans plusieurs autres villes péruviennes – notamment dans les régions andines, où cet ancien instituteur en milieu rural bénéficie du plus grand soutien.
Dina Boluarte appelle au calme le 9 décembre. Le lendemain, elle nomme son gouvernement et désigne un ancien procureur, Pedro Angulo, au poste de Premier ministre. Les manifestations s'amplifient, demandant la démission de la nouvelle présidente et la libération de Pedro Castillo. Des violences à Andahuaylas, dans le sud du pays, font deux morts le 11 décembre. Mercredi 14 décembre, le bilan provisoire est de sept morts et de plus de 200 personnes blessées.
Lors de son audience au tribunal pour réclamer sa libération, Pedro Castillo se montre combatif : "Je ne renoncerai jamais et n'abandonnerai pas cette cause qui m'a amené ici. J'exhorte les forces armées et la police nationale à déposer les armes et à cesser de tuer ce peuple qui a soif de justice". Il ajoute : "Je suis détenu de manière injuste et arbitraire, je ne suis ni un voleur, ni un violeur, ni un corrompu ou un voyou".
Les manifestations se poursuivent et des routes sont bloquées dans 13 des 24 régions du pays, selon la police. "Au début, il s'agissait d'une petite mobilisation (...) mais les jours suivants, elle est devenue plus importante (...) et plus violente", estime la médiatrice de la République, Eliana Revollar. "C'est une convulsion sociale très sérieuse, nous craignons que cela ne débouche sur un soulèvement parce qu'il y a des gens qui appellent à l'insurrection, qui demandent à prendre les armes".
La nouvelle présidente Boluarte a une nouvelle fois appelé au "calme et à la paix". Sous pression, elle a aussi annoncé vouloir avancer les élections générales de 2026 à 2024, sans parvenir à apaiser les tensions.
Avec AFP