
Paris convoque, mardi, une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l'Ukraine. Objectif : définir les besoins des Ukrainiens et les aider à préparer l'après-guerre, dans un contexte où la situation humanitaire se dégrade avec l'hiver.
Après bientôt dix mois de conflit, la France accueille une conférence pour la résilience et la reconstruction de l'Ukraine, mardi 13 décembre à Paris, destinée à "exposer les besoins de l'Ukraine pour assurer sa résilience économique en période de guerre et sa reconstruction à moyen terme, ainsi qu'à favoriser la mobilisation des acteurs économiques français sur ces deux enjeux essentiels", selon les termes du ministère de l'Économie.
La conférence réunira 500 entreprises françaises, bailleurs de fonds et industriels, différents acteurs, publics et privés, pour définir les urgences et mieux coordonner leur accès.
"Entendre les besoins de la population civile"
Dix mois après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le conflit armé s'est installé dans la durée. Pour Caroline Brandao, chercheuse en droit international humanitaire, la solidarité internationale n'est plus aussi forte qu'il y a quelques mois. "On est peut-être arrivé à un moment où il faut étudier des pistes pour avancer et démontrer qu’il n’y a pas de désintérêt pour le conflit", avance l'experte. "Cette conférence peut représenter un message d’espoir pour les Ukrainiens, mais il ne faudrait pas qu’elle soit hors-sol."
L’enjeu majeur étant d’aider la population à affronter l’hiver, alors que les frappes contre les infrastructures énergétiques se poursuivent. "Il n’y a plus d’énergie, plus d’électricité, plus d’eau. Vivre dans ces conditions, c’est une double peine pour les personnes vulnérables, comme les enfants ou les personnes en situation de handicap, qui n’ont pas pu fuir."
Malgré les milliards d'euros versés en soutien aux populations, "la réponse humanitaire n’est pas à la hauteur", pour l'experte. "Il faut entendre les besoins de la population civile."
Selon le chef des droits de l'homme de l'ONU, Volker Türk, 17,7 millions de personnes ont désormais besoin d'une aide humanitaire et 9,3 millions d'aide alimentaire et de moyens de subsistance.
S’appuyer sur les municipalités et la société civile
Sur le terrain, la coordination entre ONG occidentales et organisations ukrainiennes se heurte à des difficultés. Les acteurs humanitaires, qui ont l'habitude de travailler sur des terrains de guerre dans des États en déliquescence, sont arrivés avec des méthodes inadaptées et se sont sentis dépassés par l'utilisation de la technologie par les Ukrainiens.
"Au début du conflit, l’aide internationale est arrivée avec ses propres méthodes", explique François Grünewald, directeur général du groupe Urgence Réhabilitation Développement (URD), institut indépendant spécialisé sur les pratiques et les politiques humanitaires. "Elle a dû se confronter à des dynamiques totalement différentes d'une société civile ukrainienne qui est très digitalisée."
Les réseaux d’entraide ukrainiens se sont en effet rapidement organisés sur des groupes Facebook et Telegram. "On avait donc deux bulles déconnectées qui ont mis beaucoup de temps à se coordonner", détaille-t-il.
L’une des pistes pour mieux se coordonner serait de passer par les collectivités locales. "Les municipalités et les acteurs de la société civile sont au cœur de la réponse humanitaire", affirme François Grünewald. "Il n’existe aujourd’hui aucun mécanisme pour travailler directement avec les municipalités alors qu’elles ont besoin d’argent pour s’approvisionner en matériel."
Selon l’expert, ce sont surtout les zones urbaines qu’il faut viser. "Les zones rurales se débrouillent avec le bois et les cheminées. Mais en ville, toutes les infrastructures de chauffage sont détruites et ont besoin d’être remplacées."
Tout détruire pour tout reconstruire
Penser à l’après, à la reconstruction à moyen terme, c’est une des priorités données lors de la conférence qui aura lieu le 13 décembre. "C’est ce qui permet de donner espoir aux Ukrainiens", explique le directeur du groupe URD. "La banlieue de Kharkiv, par exemple, c’est un océan de ruines. Dans l’ouest, des zones d’infrastructure économiques et industriels très importantes avec des vieilles usines de la période soviétique sont complètement endommagées. Il va falloir tout détruire pour tout reconstruire, cela va prendre énormément de temps."
La Banque mondiale estime à plus de 500 milliards de dollars le montant nécessaire à la reconstruction des infrastructures ukrainiennes endommagées ou complètement détruites par la Russie.
"Les conséquences humanitaires de cette guerre sont catastrophiques", a déclaré la vice-présidente de la Banque mondiale, Anna Bjerde, au journal autrichien Die Press. "Sans infrastructures, il n'y a pas d'économie, pas de recettes fiscales pour l'État ukrainien." Huit millions de personnes vivront dans la pauvreté en Ukraine à la fin de l’année 2022, a-t-elle ajouté. "Cela augmente le niveau de pauvreté de 2 à 25 % de la population."
Pour la Commission européenne, c’est à la Russie de payer. "La Russie et ses oligarques doivent indemniser l'Ukraine pour les dégâts et couvrir les coûts de reconstruction du pays", a souligné la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, lors d’une conférence de presse le 30 novembre.
Et les moyens de dédommagement existent, selon la dirigeante, qui a proposé d’utiliser "certains fonds" russes gelés par les sanctions de l’UE. Quelque 300 milliards d’euros de réserves de la Banque centrale russe ont été bloqués depuis le début de la guerre, ainsi que 19 milliards d’euros d’avoirs d’oligarques russes.
Russia must pay for its horrific crimes.
We will work with the ICC and help set up a specialised court to try Russia’s crimes.
With our partners, we will make sure that Russia pays for the devastation it caused, with the frozen funds of oligarchs and assets of its central bank pic.twitter.com/RL4Z0dfVE9
Une longue liste de participants
Accès à l’énergie et à l’eau, agroalimentaire, santé et transport : autant de secteurs et de problématiques qui seront abordés à Bercy, mardi. La conférence a vocation à apporter des réponses concrètes à très court terme, selon l'Élysée.
En plus des 500 entreprises françaises qui souhaitent contribuer à la reconstruction de l'Ukraine, la France mise sur près de 70 participants "de haut niveau", représentant les principaux États et organisations internationales partenaires de l'Ukraine. La présence de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été confirmée, ainsi qu'une intervention à distance d'Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU. Une allocution d'Olena Zelenska, Première dame d'Ukraine, est également prévue au programme.